Le « sport médicament » sur prescription - L'Infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017

 

Thérapeutique non médicamenteuse

Cahier de formation

Le point sur

Thierry Pennable  

La prescription par un médecin traitant d’une activité physique est désormais possible pour tout patient en affection de longue durée. Plus de quarante communes sont déjà dotées d’un dispositif favorisant l’accès à ce complément thérapeutique reconnu.

Depuis le 1er mars 2017, tous les médecins traitants peuvent prescrire des activités physiques à leurs patients. Un décret du 31 décembre 2016 a précisé la mise en œuvre de ce concept contenu dans la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016. « Ce décret était attendu car la loi ne prévoyait que la possibilité pour le médecin traitant de prescrire une activité physique adaptée aux patients atteints d’une affection de longue durée sans en définir les modalités d’application », remarque le Dr Alexandre Feltz, à l’initiative du premier dispositif sport-santé sur ordonnance mis en place à Strasbourg (Bas-Rhin) en novembre 2012. Les bénéfices d’une activité physique régulière dans la prise en charge des maladies chroniques sont bien connus et l’idée de la proposer aux patients n’est pas nouvelle. Depuis 2005, la Fédération nationale d’athlétisme propose des activités physiques adaptées (APA) pour les patients sur recommandation du médecin traitant. Plus généralement, les trois quarts des médecins généralistes interrogés par l’Ifop en 2015(1) déclaraient avoir déjà prescrit une activité physique à un patient au cours de leur carrière. Et une large majorité d’entre eux estime que la prescription d’une APA par le médecin traitant est une bonne idée (82 %), voire une très bonne idée (40 %). Avec le nouveau décret, et en accord avec le patient atteint d’une affection de longue durée (ALD), le médecin traitant peut dorénavant lui prescrire une activité physique dispensée par un kinésithérapeute, un ergothérapeute, un psychomotricien ou un éducateur sportif titulaire d’un diplôme permettant d’animer ou d’encadrer une APA.

Des activités adaptées mais pas de la réhabilitation

« Le concept de sport-santé correspond à une activité physique maintenue tout au long de la vie et pratiquée dans l’espace urbain, les piscines, les gymnases, les pistes cyclables et autres, précise Alexandre Feltz, il doit être différencié de la réhabilitation à l’effort pratiquée dans un établissement de santé. » Une précision conforme au cadre de l’APA, définie comme la pratique de mouvements corporels dans un contexte d’activité du quotidien, de loisir, de sport ou d’exercices programmés. L’APA, ou l’APS pour activité physique et sportive, s’adresse à des personnes ayant des besoins spécifiques qui les empêchent de pratiquer ces mouvements dans des conditions ordinaires. Sont particulièrement visés les patients atteints de maladies cardiovasculaires, diabète, obésité, cancers en rémission ou broncho-pneumopathie chronique obstructive, mais, « au-delà des patients en ALD, de tels dispositifs pourraient bénéficier à toute personne dite “fragile” », anticipe le médecin, également en charge des politiques de santé à la mairie de Strasbourg, qui souligne le versant social du dispositif.

Un accompagnement médico-social

« Les personnes qui ont à la fois des problèmes de santé et sociaux ont besoin d’être accompagnées vers une (ré) intégration sociale », estime Alexandre Feltz, qui doute d’une pratique qui se limiterait à une prescription faite à un patient orienté vers un lieu d’activités. « Un dispositif structuré est nécessaire pour répondre aux inégalités sociales très importantes chez les malades chroniques. Et pour toucher ceux qui ont besoin d’un accompagnement individualisé. » Le médecin plaide pour un binôme “médecin traitant - éducateur sportif” qui a fait ses preuves dans le dispositif strasbourgeois. « Le médecin assure la prise en charge médicale du patient, lui explique l’intérêt de l’exercice physique pour sa santé et fait le lien avec l’éducateur sportif spécialisé qui adapte les activités aux capacités du patient. » L’organisation en binôme répond au double objectif du sport-santé, l’amélioration de l’état de santé et l’inscription du malade dans la société. Particulièrement pour ceux qui ne seraient pas allés d’eux-mêmes vers des clubs ou des salles de sport. Alors que de plus en plus de structures sportives proposent des activités adaptées de type gym-santé, basket-santé, athlé-santé et autres. « Les inégalités sociales induisent des inégalités face à l’activité physique, constate le Dr Feltz. Parmi plus de 1 000 patients régulièrement suivis à Strasbourg, 70 % d’entre eux ne savent pas faire de vélo ni nager. » L’intervention de l’éducateur sportif prend tout son sens car « ce n’est pas le rôle du kiné d’apprendre à faire du vélo », remarque le médecin.

Pas encore de financement

Dès la sortie du décret, l’absence de financement a soulevé de vives déceptions chez ceux qui nourrissaient beaucoup d’espoirs depuis l’inscription du sport-santé dans la loi. « La sortie du décret (…) a balayé d’un bloc tous ces espoirs… », s’insurge Jean-Marc Descotes, cofondateur de la Fédération nationale Cami sport & cancer(2). « En évitant soigneusement l’aspect financier de la prise en charge de ces programmes, [le ministère de la Santé] ne peut garantir ni la pérennité des actions, ni l’implication des acteurs, ni l’efficacité réelle des séances d’APS proposées », ajoute cet ancien champion de karaté-do qui intervient depuis seize ans auprès de patients touchés par un cancer. Une déception partagée par le Dr Alexandre Feltz, qui a fondé le dispositif strasbourgeois grâce au financement par la municipalité pour plus de 60 %, soutenue par l’Agence régionale de santé (17 %), le régime local d’Assurance maladie (8 %) et la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (4 %). À Strasbourg, le dispositif prévu sur trois ans est gratuit pour le patient la première année et coûte de 20 à 100 euros les deux années suivantes en fonction du coefficient familial du bénéficiaire. Le Dr Feltz souligne néanmoins des avantages à la parution du décret qui « décrit le processus de prescription et identifie les intervenants professionnels. Et ne remet pas en question les expériences déjà menées en France mais les stabilise ». Aujourd’hui, une quarantaine de communes se sont dotées d’un dispositif de sport-santé. « Le financement sera une deuxième étape » estime le Dr Feltz, qui attend « une directive ministérielle pour engager plus avant les différents acteurs que sont les collectivités, les mutualités, et, surtout, la Sécurité sociale ». Objectif : favoriser l’accès des patients en difficulté à ce qu’il appelle le “sport médicament”.

À relire, notre cahier de formation du n° 325 de mai 2016 “Prévenir et soigner par l’activité physique”

(1) Institut français d’opinion publique (Ifop), “Les médecins généralistes et la prescription d’activités physiques”, 23 octobre 2015 (à lire via bit.ly/2lFupWS).

(2) Tribune de Jean-Marc Descotes, “Le sport sur ordonnance, une occasion ratée”, dans Le Monde du 18 janvier 2017 (à lire via bit.ly/2j1pQ54). La Cami sport & cancer qu’il a fondée avec le Dr Thierry Bouillet a pour but d’aider les personnes atteintes d’un cancer à pratiquer une activité physique ou sportive.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Le “Vidal du sport”

Un dictionnaire Médicosport Santé, sorte de “Vidal du sport santé”, conçu et produit par le Comité national olympique du sport français (Cnosf) en association avec les éditions Vidal, est attendu courant 2017. « Il ne faut pas s’attendre à un guide pratique directement utilisable par les médecins généralistes, relève le Dr Alexandre Feltz, qui l’a lu en avant-première. Un travail énorme a été fourni pour un outil d’une grande richesse maisaussi d’une grande complexité. L’organisation par pathologie ne correspond pas à notre pratique où les patients atteints de diabète ou de cancer peuvent être réunis dans les activités. C’est en revanche une mine d’informations en termes de recherche et de formation. »

Ce dictionnaire devrait d’abord sortir sous une version numérique.