Le partiel pris à partie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017

 

PROFESSION

Actualité

Laure Martin*   M. H.**  

EXERCICE PARTIEL > Malgré son rejet par le Haut Conseil des professions paramédicales, l’ordonnance qui introduit la notion d’accès partiel à la profession a été publiée le 20 janvier.

Ça y est, elle est parue. L’ordonnance 2017-50 du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé transpose une directive européenne visant à faciliter la mobilité des professionnels dans l’Union européenne. Que dit ce texte ? Que chaque État membre « accorde un accès partiel au cas par cas à une activité professionnelle » réglementée sur son territoire sous certaines conditions.

Des conditions, le texte en fixe trois. D’abord, le professionnel doit être pleinement qualifié pour exercer, dans son État d’origine, l’activité professionnelle pour laquelle il sollicite un accès en France. Ensuite, l’activité professionnelle légalement exercée dans l’État d’origine et la profession correspondante en France doivent être si différentes que l’application de mesures de compensation reviendrait à imposer au demandeur de suivre le programme complet d’enseignement et de formation requis pour avoir pleinement accès à la profession en France. Enfin, l’activité professionnelle pour laquelle l’intéressé sollicite un accès peut objectivement être séparée d’autres activités relevant de la profession en France.

« Des craintes pour la qualité des soins »

Si l’État autorise l’exercice partiel au demandeur étranger, celui-ci dispose des mêmes droits que les professionnels français, mais il est également soumis aux mêmes obligations et responsabilités civiles, disciplinaires et pénales. Il doit également informer les patients des actes qu’il est habilité à effectuer. Il pourra voter, mais non être élu, aux conseils de l’Ordre. Le tableau de l’Ordre concerné, enfin, doit comporter une liste distincte mentionnant les actes que les intéressés sont habilités à effectuer. À noter que l’accès partiel ne s’applique pas aux professionnels bénéficiant de la reconnaissance automatique de leurs qualifications.

Le rapport au président de la République, qui accompagne cette ordonnance au Journal officiel, indique que l’accès partiel est une faculté « encadrée par des conditions très strictes et par un examen au cas par cas de ces demandes qui pourront être refusées pour un motif impérieux d’intérêt général tenant à la protection de la santé publique ». Pas sûr que cette présentation rassure les professionnels de santé. Outre le Haut Conseil des professions paramédicales, qui avait voté quasi-unanimement contre le projet (lire notre n° 331 de décembre), « les associations, syndicats et ordres de toutes les professions de santé ont dénoncé cette directive, rapporte Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Nous avons des craintes pour la qualité des soins et le contrôle des professionnels. Avec cette directive, une nurse assistante hongroise, qui est en fait une auxiliaire de vie en France, va pouvoir devenir une infirmière-assistante en France ».

« Provocation du gouvernement »

Aux yeux du syndicaliste, la transposition dans le droit français de cette directive constitue une « provocation » du gouvernement car, « lorsqu’il a fallu transposer la directive LMD [licence-master-doctorat] et la reconnaissance pour la profession infirmière, la France a été le 24e pays à la transposer. Cette fois-ci, pour l’accès partiel, nous serions le 3e… ». Selon le secrétaire général du SNPI, tous des Ordres des professionnels de santé entendent faire un recours devant le Conseil d’État, dont un décret devra justement fixer les modalités d’application de l’ordonnance.

Le 24 janvier, jour d’une mobilisation infirmière à Paris, l’Ordre national des infirmiers a en effet annoncé, dans un communiqué, qu’il allait déposer un recours au Conseil d’Etat, mais aussi mobiliser les parlementaires afin d’empêcher la ratification du texte au Parlement. Il rappelle que les commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont rendu des avis défavorables à l’accès partiel (au moment de l’examen de la proposition de directive, précise l’APM). Par la voix de son président Didier Borniche, l’ONI dénonce « une déréglementation scandaleuse et irresponsable de l’accès aux professions de santé dans une logique de nivellement par le bas et de dépréciation de la qualité des soins. Quel est le sens dans ce contexte de l’intégration de la profession infirmière dans le processus LMD ? ».

Parmi les autres réactions de protestation, notons le texte commun de neuf syndicats de professionnels libéraux, dont trois d’Idels (FNI, Convergence infirmière et Onsil). De son côté, le Sniil propose ironiquement, dans un communiqué, que, « tout comme l’on pourra bientôt voir apparaître des “balnéothérapeutes” ou des « assistants de soins », on puisse désormais nommer au gouvernement des « assistants-ministres », avec accès partiel aux activités professionnelles dans le domaine de la politique ». Plus sérieusement, il dénonce les « graves répercussions » de la publication de cette ordonnance, notamment « une vraie injustice entre professionnels de santé, puisque ceux exerçant “complètement” seront les seuls à pouvoir être sanctionnés pour insuffisance professionnelle (puisque seuls obligés à détenir toutes les compétences requises au titre d’un diplôme) » ou encore « une baisse dans la qualité des soins, notamment infirmiers, puisque seuls les infirmiers diplômés d’État sont formés à la prise en charge globale du patient et ont compétence à voir l’intégralité du patient ».

À lire : Journal officiel du 20 janvier 2017 (lien : bit.ly/2kN4f4X), textes 26 et 27.

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Sondage sur notre site espaceinfirmier.fr, du 25/1au 31/1, 150 réponses.

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SOPHIE : « Comme les boulangeries : il y a celles qui fabriquent leurs pains et les autres qui cuisent le surgelé. »

CHRISTINE : « C’est du grand n’importe quoi. »

THIERRY : « On est mort. »

BRUNO : « Non, si c’est comme l’histoire du plombier polonais qui devait nous envahir… »

THIERRY : « L’uberisation n’a rien à voir avec le plombier polonais. La profession était protégée mais la boîte de Pandore est désormais ouverte. Place nette aux MSP [maisons de santé pluriprofessionnelles] avec du personnel moins cher. »

La menace “proportionnalité” ?

Des organisations représentant les pharmaciens, médecins et dentistes au niveau européen s’alarment d’une directive dite “proportionnalité”, qui pourrait soumettre toutes les professions réglementées, y compris de santé, aux mêmes procédures d’évaluation, indique Le Quotidien du pharmacien du 26/1. La Commission européenne souhaiterait réduire les barrières à l’accès de certaines professions, et ainsi éviter que certaines règles nationales ne soient « disproportionnées ». Même si elle assure que ce sont bien les États qui réglementent les professions, rapporte Le Figaro du 10/1. Avec cette précision de Bruxelles : « L’encadrement de nombreuses professions est bien évidemment justifié, pour des raisons de santé et de sécurité, notamment. Mais, dans bien des cas, des règles inutilement strictes et dépassées peuvent compliquer exagérément l’accès de candidats qualifiés à ces emplois, […] au détriment des consommateurs. »