Une envie de vin dans sa vie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016

 

GARD

Initiatives

Laure Martin  

Depuis une dizaine d’années, l’entretien de la vigne et la fabrication du vin sont devenus le quotidien de Carole Leblanc, infirmière libérale à Collias. Plusieurs heures par jour, elle assouvit sa passion au domaine des Cabotines. Son vin se déguste, bien sûr, avec modération…

« Avec les vignes, j’ai découvert ce que voulait dire le mot “passion” », confie Carole. Aujourd’hui, il faut absolument qu’elle aille faire le palissage* des vignes, « car si j’attends encore quelques jours, elles auront trop poussé, et je risque de casser les branches et les futures grappes de raisins », précise-t-elle. Les vignes n’attendent pas ! Chaque mois, à chaque saison, Carole a son lot de tâches à accomplir : traiter la vigne, la tailler, l’ébourgeonner, la rogner, faire le palissage. Objectif : arriver au mois de septembre avec de belles grappes saines à récolter pour les vendanges. Ensuite, vient le temps de la production, des contrôles successifs pour s’assurer de la bonne qualité du vin, de la mise en bouteille – 7 000 à 8 000 bouteilles par an – suivie de la vente au caveau et des salons pour se faire connaître.

« Mystérieux et mystique »

Cette passion pour le vin, Carole l’a depuis qu’elle est jeune, car cette Québécoise d’origine a depuis longtemps associé la France au vin. « J’ai toujours été fascinée et passionnée par la dégustation, explique-t-elle. Pour moi, le vin possède un côté mystérieux et mystique que j’ai toujours voulu découvrir et approfondir. » Lors de son arrivée en Alsace il y a vingt-cinq ans, parallèlement à son travail d’infirmière en clinique, elle décide de suivre des stages pour parfaire sa connaissance du vin. « J’ai également suivi des cours à l’école de sommelier du lycée hôtelier Alexandre-Dumas à Illkirch-Graffenstaden, qui propose aux particuliers de se perfectionner en dégustation », raconte-t-elle. Elle affine son palais et ses connaissances viticoles en multipliant les visites des vignobles français et les dégustations. « J’ai aussi lancé un club de dégustation de vins pour des initiés à Strasbourg », rapporte-t-elle avant d’ajouter : « J’ai rencontré beaucoup de vignerons pendant cette période, je me suis fait un réseau et j’ai surtout consolidé mon envie de vouloir faire du vin avant la fin de ma vie. » Mais, avec un salaire d’infirmière, l’objectif semble difficile à atteindre…

Du Québec à la France

Carole n’avait initialement pas prévu de devenir infirmière. Elle obtient d’abord un diplôme en psychologie au Québec. « Mais je sentais que ce n’était pas le bon choix. Je me suis donc orientée vers des études d’infirmière, que j’ai suivies à Laval, à côté de Montréal. Les soins infirmiers me paraissaient plus concrets, je me sentais plus utile. » Autres avantages : à l’époque, le Québec manque considérablement d’infirmières. « J’étais donc assurée d’avoir un métier que je considérais déjà à l’époque comme exportable car j’avais de grands projets humanitaires en tête lorsque j’ai débuté. » Ce métier lui offre aussi de belles perspectives d’évolutions avec la possibilité de devenir infirmière clinicienne ou docteur en sciences infirmières. À la fin de ses études, Carole exerce quelques années au sein d’une agence privée de soins à domicile avant de s’envoler, par amour, pour la France.

« L’arrivée en Alsace n’a pas été si simple d’abord parce que mon diplôme n’a pas été reconnu en raison d’un changement de réglementation très peu de temps avant mon arrivée », se souvient Carole. Seules les deux premières années de sa formation québécoise sont considérées comme acquises. Elle doit donc refaire la dernière année et passer son diplôme d’État français. Puis, n’ayant pas la nationalité française, elle ne peut pas exercer dans un hôpital français. « J’ai donc travaillé une dizaine d’années dans une clinique privée en carcino-ORL puis en réanimation chirurgicale », raconte-t-elle. Et c’est justement par l’intermédiaire de ce travail qu’elle obtient un financement pour suivre une formation professionnalisante dans le domaine du vin – un brevet professionnel régisseur d’exploitation agricole. « Pendant plusieurs années, j’ai déposé mon dossier pour pouvoir suivre cette formation de deux ans, explique Carole. Mais, comme ma demande ne débouchait pas, j’ai commencé la première année en la finançant sur mes fonds propres et pendant mes jours de congés hebdomadaires », jusqu’à ce qu’elle se voit accorder un financement pour la deuxième année. « Je me suis lancée dans cette formation en toute connaissance de cause, indique-t-elle. Le fait que je commence la première année sans aucun financement a peut être joué sur la décision de la commission qui a pu constater à quel point j’étais motivée ! »

« Je cumulais beaucoup de tares ! »

De cette formation naît l’envie de s’installer et d’avoir son propre domaine. Une installation qui n’est pas non plus des plus simples. « En Alsace, il était très compliqué pour moi de m’installer car les parcelles de terre coûtent très cher, et s’ajoute à cela le fait que je suis une femme, étrangère, non issue du milieu agricole et sans argent, énumère-t-elle en éclatant de rire. Je cumulais beaucoup de tares. » Elle pense donc au fermage, c’est-à-dire à la location de vignes, un bon moyen selon elle de savoir si cette activité lui plaît vraiment et de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un simple caprice. Carole étudie donc la carte de France et recherche un endroit avec un potentiel agricole où elle aimerait vivre. Elle a d’abord un projet dans les Côtes-du-Rhône. Mais, alors qu’elle est en stage à Carpentras dans le cadre de sa formation, elle s’inscrit à une randonnée organisée à Collias, pour aller à la découverte des castors. Elle découvre alors ce petit village du Gard niché le long du Gardon. « Je suis arrivée ici à 18 heures, au soleil couchant sur le pont, pour une balade de dix kilomètres au bord de la rivière, et j’ai trouvé l’endroit magnifique. » Elle revient le lendemain, se rend à la mairie pour se renseigner sur d’éventuelles parcelles de vignes à louer et rencontre par hasard un homme à qui elle explique son projet. « Il m’a mise en contact avec une autre personne prête à me louer ses vignes. » Carole se retrouve donc avec un caveau, une cave et des vignes, dont la parcelle des Cabotes à l’origine du nom du domaine des Cabotines, et un bail de neuf ans qu’elle a renouvelé l’année dernière. « Pendant les deux premières années, il y a eu de grands travaux au domaine, se remémore-t-elle. J’ai dû concevoir toute l’organisation des vignes, de la cave et du caveau, prévoir les travaux, acheter un tracteur alors que je n’en avais conduit que deux fois. » Elle s’étonne encore : « J’ai accompli un travail de dingue, j’ai eu de grandes émotions et, avec le recul, je me demande comment j’ai fait alors que je n’y connaissais rien. » Mais le fruit de ses efforts la conforte dans son choix puisqu’en septembre 2006, elle organise ses premières vendanges et sa première récolte de rosé, « un millésime extraordinaire ». Désormais, elle cultive du vin rosé et du vin rouge, sur trois hectares de parcelles bio. Dans sa vigne, il n’y a ni machine à vendanger, ni désherbant, ni insecticide. « Tous les ans, à la fin des vendanges, avec ma compagne, on se pose la même question de savoir si on poursuit cette activité l’année suivante, car ce travail, bien que gratifiant, est très fatigant en plus de nos activités respectives. » Et certaines années sont plus difficiles que d’autres, comme en 2015 où il n’y a pas eu de récolte car toute la production a été décimée par le black rot (“pourriture noire”), une maladie cryptogamique de la vigne. « Je l’ai très mal vécu car j’avais beaucoup travaillé. »

« Ne pas faire un travail routinier »

Ce travail de l’exploitation agricole est difficile mais représente une complémentarité à son travail d’infirmière, un moyen de « se reconnecter avec l’essentiel ». Car, après s’être installée à Collias et avoir consacré du temps au lancement du domaine des Cabotines, Carole a repris son travail d’infirmière en libéral en 2008. « La pratique libérale change beaucoup de l’hôpital car on est l’amie, la sœur, la famille, la psychologue des patients, on est vraiment multifonction. Au début, cela me faisait rager, je me disais que je n’étais pas là pour cela et puis, finalement, cela m’a plu, tout comme cette notion de liberté, cette possibilité qu’on a de pouvoir s’installer n’importe où [ou presque… NDLR] et de ne pas faire un travail routinier. » Et de poursuivre : « Néanmoins, je possède une vision nord-américaine du soin, cela fait partie de mes valeurs, de ma culture, même si cela fait vingt-cinq ans que je vis en France. C’est-à-dire que je considère devoir être présente, aux côtés de mon patient, pour favoriser son autonomie. Je ne veux pas “faire à sa place” s’il peut le faire, et cela ne correspond pas toujours à la vision française des soins. »

Reconnue par ses pairs et les œnologues

De fait, son travail de la terre lui offre un retour aux sources et lui permet de vivre des rapports plus simples, concrets, sensuels et harmonieux avec ses vignes. « C’est moins fatigant psychologiquement car j’ai un rapport à la terre et non à l’humain, je n’ai donc rien à négocier avec personne. » Et donc, chaque année, même si elle se pose la question, elle continue l’aventure. « Certes, avec les vignes, je n’ai pas la même liberté qu’avec mon métier d’infirmière libérale. Je n’avais d’ailleurs pas cette envie d’être “bloquée”, de devoir être présente tout le temps pour l’entretien des vignes. Mais, finalement, avec le recul, cela me convient car cela me pousse hors de mes limites et me fait trouver des ressources en moi. » Malgré ce travail intense qu’elle mène à côté de son activité d’infirmière libérale, Carole a encore des difficultés à se considérer comme une “vraie” vigneronne, « peut-être parce que je suis arrivée dans le métier tardivement ». Mais elle est bien la seule à ne pas s’accorder cette légitimité car la qualité des vins produits au domaine des Cabotines est reconnue par ses pairs et les œnologues. Et puis, ce n’est pas qu’un simple “passe-temps”. « Je mets beaucoup d’amour dans ce travail afin de proposer des produits sains et bons dont je suis fière. » Son travail est d’ailleurs récompensé puisque les vins du domaine sont référencés dans les guides Hachette et Bettane & Desseauve et ont remporté des médailles. Un documentaire sur l’histoire du domaine a même été filmé par une réalisatrice anglaise. « Je suis fière de mes récompenses car je mets du cœur à l’ouvrage, conclut Carole. Il s’agit de la plus belle aventure de ma vie. »

* Le palissage est une technique agricole qui consiste à conduire une plante sur une structure en y attachant ses tiges et ses branches à l’aide de liens, dans le but d’en améliorer la qualité et le rendement.