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L'infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016

 

ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL

Actualité

Laure Martin  

ÉTUDE > Dès ce mois de septembre, une expérimentation est menée dans une cinquantaine de supermarchés français afin de choisir, parmi quatre logos, le futur système d’étiquetage nutritionnel graphique le plus efficace pour faciliter le choix d’achat alimentaire du consommateur.

L’objectif affiché par le ministère de la Santé est à la fois d’améliorer la composition du panier alimentaire des Français, et plus spécifiquement celui des ménages défavorisés, par une information nutritionnelle simple à analyser, ainsi que d’apporter une réponse à l’augmentation du nombre de Français en surpoids et diabétiques.

Deux logos analytiques, deux autres synthétiques

Menée par le Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS), une organisation professionnelle de l’industrie agroalimentaire, cette expérimentation a été officiellement définie dans un décret publié au Journal officiel le 21 juillet. C’est avec la loi de modernisation de notre système de santé (article 14) et le Plan national santé environnement (PNSE) que le gouvernement a affiché cette volonté d’un logo ; la règlementation européenne rend possible, mais non obligatoire, cet étiquetage.

Quatre logos sont testés : deux logos descriptifs qui renseignent sur la teneur des aliments en sel, gras, sucre, etc., et deux logos dits “synthétiques”, créés par les scientifiques et industriels français, basés sur des codes couleurs. La ministre de la Santé a décidé d’évaluer ces quatre systèmes, validés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), en « conditions réelles d’achat » pour déterminer celui qui apparaîtra comme le plus adapté à l’information des consommateurs.

800 produits étiquetés

Le nouvel étiquetage doit en effet rendre plus compréhensibles les informations actuelles qui détaillent la quantité de glucides, protides ou encore lipides. L’étude, financée par les pouvoirs publics, se déroule sur dix semaines. Cinquante grandes surfaces sont tirées au sort, testent, par groupes de dix, l’une des quatre signalétiques, tandis que dix d’entre elles n’ont pas de logo. Dans chaque magasin, plus de 800 produits sont étiquetés et à chaque fois tous les produits d’une même gamme. Les résultats de l’étude sont attendus pour décembre. L’Anses devrait ensuite rendre un nouvel avis scientifique étayé qui sera suivi, début 2017, de la recommandation des pouvoirs publics pour une mise en place sur les emballages par les producteurs d’aliments au cours du premier semestre 2017.

Éducation de la population

Le Dr Brigitte Rochereau*, médecin généraliste nutritionniste libérale, remet en cause cette volonté gouvernementale. « Cet étiquetage n’est pas nécessaire car un aliment n’est pas un médicament », défend-elle. Et d’expliquer : « Avec ce système, on lui enlève sa dimension sociale, on hygiénise la nourriture, on occulte sa dimension de partage, d’échange et de goût. » Pour la population en général, « cet étiquetage risque d’être angoissant, notamment plus les plus anxieux des mangeurs ». Elle craint, de fait, une modification des comportements alimentaires de ceux qui n’en ont pas forcément besoin. « Si la personne n’a pas de problème de santé, il vaut mieux qu’elle ne regarde pas les étiquettes », conseille-t-elle. Pour les populations cibles, celles qui ont par exemple des régimes sans sel, qui sont en hypercholestérolémie ou les personnes diabétiques, « ce système va certainement les intéresser, néanmoins, il faut privilégier la personnalisation de l’information, l’adapter au consommateur et, en cas de problème, les médecins sont là ». Elle plaide donc davantage pour l’éducation des personnes.

Florence Lavandier*, cadre diététicienne au CHU de Tours (Indre-et-Loire), membre du conseil d’administration de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN) et responsable du groupe de travail qualité nutritionnelle, considère aussi qu’une formation de la population est nécessaire, et qu’elle relève de l’Éducation nationale. Néanmoins, ce type de graphique nutritionnel devient selon elle essentiel quel que soit le type de population. « En réponse à l’augmentation de l’obésité et donc des maladies cardiovasculaires et du diabète, il y a un aspect prévention qui est primordial, notamment pour les personnes qui ne rencontrent pas les professionnels de santé », soutient-elle.

“Traduction” aux patients

Quant à ceux qui ont des pathologies déclarées, « notre objectif est de les rendre autonomes, de leur apprendre à se repérer sur les choix alimentaires, et donc de comprendre l’étiquetage nutritionnel », explique-t-elle. Or, actuellement, l’étiquetage est complexe et davantage compréhensible par les professionnels de santé. « Pour l’instant, nous faisons de la “traduction” aux patients, rapporte-t-elle. Si les étiquettes mentionnent le sucre, le sel ou le gras, c’est plus compréhensible pour eux. » Selon la diététicienne, le modèle idéal devrait associer des codes couleurs afin d’avoir une information visuelle accessible à la population en général, et une information “écrite” telle qu’elle existe aujourd’hui, « notamment pour le patient qui souhaite “aller plus loin” ». Mais, au final, ce sont les industriels qui décideront réellement de l’application ou non de ce nouveau logo, et donc de son impact.

* Le Dr Brigitte Rochereau et Florence Lavandier déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts avec l’industrie agroalimentaire.

Conflits d’intérêts

L’expérimentation n’était pas encore lancée que la polémique faisait déjà rage : Le Monde du 8 juillet a mis en exergue « une accumulation [de] conflits d’intérêts » entre l’industrie agroalimentaire et les comités scientifique et de pilotage de l’étude. Yves Lévy, le PDG de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a démissionné en juillet du comité de pilotage co-présidé par le directeur général de la santé, le Pr Benoît Vallet, et par le président du FFAS, sans s’exprimer davantage sur les raisons de son départ. Selon Le Monde du 12 juillet, le fait que les « réserves et critiques » du responsable sur « la rigueur méthodologique de l’étude » n’aient pas été prises en compte par le comité de pilotage serait à l’origine de cette démission. Le Pr Vallet a, quant à lui, révélé, dans un entretien au Quotidien du médecin le 18 juillet, qu’Yves Lévy aurait pris cette décision en raison du départ de deux chercheurs de l’Inserm du comité scientifique « qui estimaient que le concept même de ce travail risquait de ne pas aboutir ». Le Pr Lévy aurait alors considéré qu’il n’apporterait pas grand-chose au comité de pilotage dans ces conditions. Le ministère de la Santé a reconnu l’existence d’un lobbying autour du logo nutritionnel. Mais le Pr Vallet a affirmé, toujours dans le même entretien, que le financement du volet scientifique de l’étude reposait strictement sur des fonds publics. Il a par ailleurs fait savoir qu’un représentant de la Commission européenne intégrerait le comité de pilotage – dont font également partie des représentants d’associations de consommateurs – afin de s’assurer que le logo préconisé par l’Anses à l’issue de l’expérimentation répondra aux recommandations européennes.

Les quatre systèmes graphiques expérimentés

→ SENS (proposé par la grande distribution, à gauche)

Un système à quatre couleurs, comportant en outre une indication sur la fréquence de consommation. Il est construit à partir d’une classification réalisée sur la base de la teneur du produit en nutriments majeurs.

→ Nutri-Score / 5-C (mis au point par l’Inserm, à droite)

Un système à cinq couleurs, répartissant les produits en cinq catégories élaborées sur la base d’un score caractérisant la qualité nutritionnelle du produit à partir des teneurs en nutriments majeurs. Ce système est approuvé par le HCSP.

→ Nutri-Repère (défendu par le FFAS)

Il améliore le système déjà utilisé des “RNJ” (repères nutritionnels journaliers) visualisant la contribution en pourcentage et valeur absolue d’une portion d’aliment aux apports nutritionnels de référence en énergie, matières grasses, acides gras saturés, sucres et sel.

→ Traffic Lights

Système mis en œuvre au Royaume-Uni depuis plusieurs années, il est fondé sur une échelle à trois couleurs fournissant la contribution en pourcentage et valeur absolue d’une portion d’aliment aux apports nutritionnels de référence en énergie, sucre, sel, matières grasses et acides gras saturés.