Danseuse à mi-temps - L'Infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016

 

Eure-et-loire

Initiatives

Laure Martin  

Depuis vingt-quatre ans, à Auneau, Christine Doumergue mène de front deux carrières complémentaires à son équilibre : le métier d’infirmière libérale et l’activité de professeure de danse, qui occupent chacun la moitié de son emploi du temps.

Dans les vestiaires de la salle de danse, les élèves de Christine enfilent leur costume de scène. Le spectacle de fin d’année s’est déroulé il y a une dizaine de jours, et aujourd’hui, rendez-vous est pris avec le photographe pour immortaliser les danseuses dans leur tenue. Des souvenirs confectionnés sous le regard bienveillant de Christine, qui observe du coin de l’œil ses élèves prenant la pose pendant que d’autres se maquillent.

Il y a vingt-quatre ans, Christine a ouvert son école de danse à Auneau. Depuis, chaque année, elle crée un spectacle de fin de saison avec sa collègue qui l’a rejointe huit ans après l’ouverture pour faire face au succès grandissant de l’école. Cette année, les inondations ont failli avoir raison des six mois de travail intense de tous les élèves et des deux professeures. « La salle de spectacle, inondée par les intempéries, n’était pas accessible la semaine de la représentation sur décision des pompiers, rapporte Christine. Nous avons reçu l’autorisation le samedi matin à 9 heures, jour du spectacle. J’ai alors prévenu les élèves et nous avons répété toute la journée, jusqu’à deux heures avant le spectacle. » Avec huit cents spectateurs en deux jours, la représentation des vingt-huit ballets a été un succès.

Des ballets appris pendant les cours que Christine dispense : une dizaine d’heures par semaine avec quatre à cinq heures de préparation hebdomadaire. Pour pouvoir s’y consacrer, elle a décidé de ne travailler que deux jours et demi par semaine comme infirmière libérale.

Gymnastique, natation et danse jazz

Christine découvre la danse à l’âge de neuf ans. « J’ai essayé la gymnastique mais cela ne m’intéressait pas », se souvient-elle. Elle commence par la danse classique jusqu’à ses 15 ans, puis ras-le-bol. « Mes frères et sœurs faisaient tous de la natation, alors j’ai fait comme eux. » Un entraînement sérieux de deux heures, trois fois par semaine, qui la conduit jusqu’en compétition. « Après plusieurs années d’entraînement, je me suis rendu compte que ce n’était pas fait pour moi et j’ai surtout pris conscience que la danse me manquait. J’ai donc repris la danse contemporaine et jazz. » Après son baccalauréat, elle se rend à l’Ifsi de Versailles (Yvelines) de 1982 à 1985, ce qui l’oblige à ralentir la pratique de la danse. « Je me suis lancée dans des études d’infirmière car, à l’origine je voulais être puéricultrice, explique-t-elle. J’ai toujours aimé les enfants, à la maison nous étions cinq et j’allais souvent chercher mes petits frères et sœurs à la crèche. Et puis ma sœur aînée est également infirmière… » En fait, Christine ne sera jamais infirmière puéricultrice car, lorsqu’elle exerçait en chirurgie infantile en garde de nuit, elle a été choquée par l’acharnement d’une collègue puéricultrice qui, sans passer la main, a piqué douze fois un enfant. « Cela m’a traumatisée, je me suis dit que je ne pourrais jamais faire cela. »

À la fin de la première année d’Ifsi, « j’ai pensé tout arrêter pour me consacrer uniquement à la danse, dit-elle. J’ai raté ma première année à cause de l’examen pratique qui consistait à effectuer le premier lever d’un enfant opéré de l’appendicite car, lorsque je suis rentrée dans la chambre, il était déjà debout, et on m’a reproché de ne pas avoir fait semblant ». Résultat : recalée. Mais ses parents ne sont pas d’accord avec son choix d’une carrière dans la danse. Christine poursuit donc ses études d’infirmière, ce qui ne l’empêche pas pour autant de suivre des stages de danse en parallèle. Jusqu’à ce que son destin la rattrape.

Carnaval, dîners-spectacles et fêtes de village

Un jour, en prenant le métro, elle remarque une publicité pour un centre de formation de danse permettant de devenir danseuse ou éducatrice en danse. Très rapidement, Christine, qui a terminé l’Ifsi, décide de poursuivre ce rêve. « J’ai été acceptée dans ce centre de formation à 23 ans, ce qui est relativement tard par rapport aux autres élèves. » Christine prend une disponibilité de l’hôpital, mais décide de travailler en clinique et en intérim les week-ends et pendant les vacances pour financer ses études. Et à l’issue de trois années de cours, elle obtient son diplôme pour la danse jazz et la danse classique. Mais, la même année, le ministre de la Culture, Jack Lang, fait adopter une loi instaurant un diplôme d’État pour l’enseignement de la danse. « Mon cursus et mon diplôme n’ont donc pas été reconnus. » Christine ne se décourage pas et intègre un nouveau centre de formation, ce qui implique, pour elle, trois années d’études supplémentaires. « L’enseignement y était beaucoup plus complet, avec de l’histoire de la danse, de la musique, de l’anatomie, et le niveau en danse était très élevé. »

Alors qu’elle est toujours au centre de formation, Christine déménage à Auneau, à environ quarante-cinq minutes de Paris. Elle fait les allers-retours quotidiennement pour suivre ses cours. Elle commence également à en dispenser à La Celle-Saint-Cloud et à Chartres au sein d’écoles de danse. C’est à cette période qu’elle décide de s’installer comme infirmière libérale, d’abord en tant que remplaçante pendant les vacances scolaires. Puis comme associée, avec une infirmière d’Auneau, une solution plus simple pour gérer son agenda professionnel et sa vie de famille puisqu’entre-temps, elle est devenue mère de deux enfants. Un ami pharmacien, habitant Auneau, lui donne alors l’opportunité d’ouvrir ses propres cours de danse. « Il a toujours été très actif pour la ville, indique la professeure de danse. Dans notre commune, il y avait déjà des cours de dessin et de poterie et, lorsque je lui ai proposé des cours de danse modern jazz, il a tout de suite accepté. » Christine commence avec vingt personnes dans une salle prêtée par la commune ; aujourd’hui, elle a cent quarante élèves âgés de 4 à 50 ans. Avec le pharmacien, ils montent également une troupe de spectacle composée d’une douzaine de danseurs et d’autres personnes davantage amatrices. Ils organisent des spectacles pour le carnaval, participent à des parades, des dîners-spectacles, des fêtes de village. Ce qui représente des représentations cinq à six fois par an, pendant une petite quinzaine d’années. « Puis j’ai laissé cette idée s’essouffler : certains membres de la troupe ont fondé en parallèle un groupe de musique et j’avais de plus en plus de travail avec l’école de danse. »

Croquis, patrons et découpes

Tous les ans, pour le spectacle, Christine trouve l’inspiration dans les expositions, au cinéma ou en allant voir d’autres représentations. « Avec ma consœur, nous nous mettons d’accord sur le thème du spectacle et, ensuite, nous travaillons nos ballets avec nos élèves respectives, chacune de notre côté, en faisant des ajustements communs de temps à autre. » Cette année, la thématique du spectacle était Jules Verne. Le public apprécie lorsqu’il y a un fil conducteur tout au long du spectacle. « Lorsque je le crée, je pense avant tout aux spectateurs, à ce qu’ils vont aimer regarder pendant deux heures, avant même de penser à mes danseuses. » Quant à la musique, elle est longue et difficile à trouver. La professeure de danse est d’ailleurs toujours prête à dégainer son application de reconnaissance musicale dès qu’elle entend une chanson qui lui plaît.

Pour les costumes de ses danseuses, Christine donne aussi de sa personne. « Je fais les croquis, les premiers modèles et coupe tous les tissus à la taille de chaque danseuse, indique-t-elle. Ensuite, je les donne à coudre aux parents lorsque c’est possible pour eux, sinon, c’est moi qui les confectionne. » C’est sa grand-mère et sa mère qui lui ont appris à coudre. « J’ai beaucoup de patrons alors je les bidouille entre eux afin de créer de nouveaux modèles adaptés à ce que je recherche. J’aime bien coudre, mais les séries de costumes, c’est rébarbatif », admet-elle en éclatant de rire. Christine trouve son équilibre grâce ses deux métiers : « Parfois la danse devient trop intense, notamment au moment du spectacle de fin d’année, reconnaît-elle. Après l’euphorie de la représentation, prendre en charge des patients avec des ulcères, cela fait redescendre sur terre. » Et si ses patients la sollicitent beaucoup, la danse lui permet de penser à autre chose et d’évacuer. « Intérieurement, je suis quelqu’un de stressé, qui cogite beaucoup, la danse me fait du bien. » Elle continue d’ailleurs de s’entraîner en suivant des stages tous les ans pour se moderniser et se mettre au goût du jour.