Recours du patient face à un refus du soignant - L'Infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016

 

APPLICATION DU TIERS PAYANT

Votre cabinet

Me Geneviève Beltran*   Véronique Veillon**  

Il arrive que des professionnels de santé refusent de soigner des bénéficiaires de la CMU-C, entre autres. Voici les recours possibles pour le patient.

Le refus de soins

Une définition très large

Les refus de soins explicites ou directs se caractérisent par le fait, pour un professionnel de santé, de ne pas accepter, de façon assumée, de recevoir certaines personnes du seul fait qu’elles sont bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), de l’Aide médicale de l’État (AME) ou de l’Aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS), voire du tiers payant intégral.

Les refus de soins discriminatoires

Conformément à l’article 1110-3 du Code de la santé publique (CSP) : « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins. Un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne pour l’un des motifs visés au premier alinéa de l’article 225-1 ou à l’article 225-1-1 du Code pénal* ou au motif qu’elle est bénéficiaire de la protection complémentaire ou du droit à l’aide prévus aux articles L. 861-1 (CMU-C) et L. 863-1 (ACS) du Code de la Sécurité sociale ou du droit à l’aide prévue à l’article L. 251-1 (AME) du Code de l’action sociale et des familles. » Si le tiers payant n’est pas encore expressément visé, sans doute le sera-t-il prochainement, ainsi que le préconise le Défenseur des droits qui propose (avis du 15 janvier 2015) de compléter cet article par une typologie des principales situations caractérisant les refus de soins fondés sur le type de protection sociale.

L’encadrement juridique des refus de soins est “éclaté” entre le CSP, le Code pénal, le Code de déontologie médical. Par ailleurs, il n’est pas fondé sur les droits des patients, mais sur les droits et obligations pour un professionnel de santé de pratiquer ou de refuser les soins. Cette dispersion fait donc intervenir une multiplicité de juridictions compétentes et il n’existe pas de sanction unique des refus de soins illégaux. La nature de la sanction diffère donc selon la juridiction saisie : sanctions disciplinaires devant les juridictions ordinales (blâme, interdiction d’exercer), sanctions pécuniaires devant les juridictions civiles, sanctions conventionnelles et peine d’emprisonnement et/ou amende en matière pénale.

La procédure prévue par le CSP : complexe, peu lisible et peu compréhensible pour le patient

Le patient peut saisir le directeur de l’organisme local d’Assurance maladie ou le président du conseil territorialement compétent de l’ordre professionnel concerné. Cette saisine vaut dépôt de plainte. Elle est communiquée à l’autorité qui n’en a pas été destinataire. Le récipiendaire en accuse réception à l’auteur, en informe le professionnel de santé mis en cause et peut le convoquer dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte. Une conciliation est menée dans les trois mois de la réception de la plainte par une commission mixte composée à parité de représentants du conseil territorialement compétent de l’ordre professionnel concerné et de l’organisme local d’Assurance maladie.

En cas d’échec de la conciliation, le président du conseil territorialement compétent transmet la plainte à la juridiction ordinale compétente avec son avis motivé et en s’y associant le cas échéant. En cas de carence du conseil territorialement compétent, dans un délai de trois mois, le directeur de l’organisme local d’Assurance maladie peut prononcer à l’encontre du professionnel de santé une sanction dans les conditions prévues à l’article L. 162-1-14-1 du Code de la Sécurité sociale : pénalité financière forfaitaire, suspension de la participation des caisses au financement des cotisations sociales. En effet, le non-respect du droit au tiers payant peut être considéré comme un manquement aux engagements conventionnels. Le bilan annuel 2012 de conciliation de la Cnamts fait apparaître plus de 1 000 saisines relatives à des refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C. Les résultats montrent une forte augmentation des refus de tiers payant (32 %). Le Conseil de l’Ordre des médecins a déjà sanctionné les professionnels qui refusaient d’appliquer le tiers payant. À titre d’exemple, la décision du 15 février 2016 – un mois d’interdiction d’exercer la médecine (quinze jours de sursis) – pour un médecin qui a refusé à trois bénéficiaires de l’AME, en possession d’une attestation valide, la dispense d’avance de frais.

La possibilité de saisir le Défenseur des droits

Le Défenseur des droits est régulièrement saisi de réclamations relatives à des refus de soins fondés sur l’état de santé mais également sur le type de protection sociale. En théorie, la procédure est simple puisqu’il suffit de compléter un formulaire en ligne sur le site www.defenseurdesdroits.fr ou d’adresser un courrier au Défenseur, en joignant une copie de toutes les pièces en sa possession permettant de comprendre la situation du patient. La majorité des plaintes des patients n’aboutissent pas. Les patients, qui doivent apporter la preuve du refus opposé par les praticiens, ce qui s’avère extrêmement difficile dans la pratique, abandonnent la procédure (jugée trop complexe) ou trouvent une solution amiable pour rétablir l’accès aux soins (le plus souvent par un simple changement de médecin). Quant aux saisines des instances de l’ordre, elles demeurent très limitées et les sanctions encourues sont peu dissuasives.

Améliorer le dispositif de dépôt et de gestion de la plainte

Le Défenseur des droits a formulé des propositions d’amélioration pour lutter contre les refus de soins fondées sur le type de protection sociale : mise en place par la Cnamts d’un dispositif de recensement des pratiques illégales des professionnels de santé (dépassements d’honoraires et refus de tiers payant) afin qu’ils puissent faire l’objet d’une sanction prononcée par le directeur de l’organisme local d’Assurance maladie ; confier aux Agences régionales de santé la fonction de guichet unique pour le recueil des plaintes, leur transmission aux CPAM et aux ordres, et le suivi de leur instruction ; aménager la charge de la preuve ; aider les usagers à faire valoir leurs droits (permettre aux associations d’accompagner voire de représenter le plaignant par exemple).

* « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (article 225-1).

Définitions

• Tiers payant : possibilité pour le patient de ne pas faire l’avance des frais pour payer ses soins.

• Tiers payant partiel : le patient n’acquitte que le ticket modérateur, à savoir la somme qui reste à sa charge après règlement par l’Assurance maladie et qui peut être pris en charge par sa mutuelle.

• Tiers payant intégral : le patient n’acquitte aucun frais.

Calendrier

TIERS PAYANT DE DROIT :

• Depuis le 1er juillet 2015, pour les bénéficiaires de l’Aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS), de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l’Aide médical de l’État (AME).

• Le 1er juillet 2016, pour tous les patients pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie (patients en ALD par exemple).

• À compter du 30 novembre 2017, pour tous les Français, mais seulement sur la partie remboursée par la Sécurité sociale. En effet, le Conseil constitutionnel a invalidé, le 21 janvier, le dispositif qui généralisait le tiers payant non seulement pour les régimes obligatoires mais également pour la part complémentaire.