Vingt mille lieux sous les mers - L'Infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016

 

BOUCHES-DU-RHÔNE

Initiatives

Laure Martin  

C’est au volant de son scooter que Kamel Benabid arpente les rues du centre-ville de Marseille pour aller dispenser des soins à ses patients. Régulièrement, il troque sa mallette et son scooter pour un masque et une bouteille de plongée. Et part à la découverte des fonds marins.

En ce mois de mars, le soleil surplombe la cité phocéenne. Les gabians – nom occitan du goéland leucophée – se dégourdissent les ailes pendant que les vagues s’abattent doucement sur la coque du bateau, tout juste sorti du port de la Pointe-Rouge. Kamel Benabid, à la barre, met le cap sur l’île de Riou, à proximité des côtes marseillaises. Ce bateau, qu’il partage avec son épouse et un groupe d’amis, est le moyen le plus pratique pour s’adonner à leur passion commune, la plongée sous-marine.

En caisson hyperbare avec des patients

Diplômé en 2001 de l’Ifsi de Vienne (Isère), Kamel débute aux urgences d’une clinique lyonnaise (Rhône), avant de rejoindre l’hôpital de Saint-Étienne (Loire). Puis en 2005, avec sa compagne Valérie, diplômée de l’Ifsi trois ans après lui, ils décident de partir aux Antilles, « car on avait envie de voir ailleurs et c’était le bon moment pour bouger ». Après un périple de quelques mois dans toute la Caraïbe, c’est finalement en Guadeloupe qu’ils découvrent la plongée sous-marine, au cœur de la Réserve Cousteau. « On a passé notre baptême de plongée là-bas, puis notre niveau 1 qui nous a permis d’évoluer en palanquée* jusqu’à 20 mètres. » Après un an de travail et de loisirs sous le soleil, ils rentrent en France et passent trois mois à arpenter les routes marseillaises à bord d’un camping-car tout en faisant de l’intérim. Au lieu de partir comme prévu en Polynésie, c’est à Marseille qu’ils décident de poser leurs bagages, car « nous sommes tombés amoureux des calanques et de la vie ici. Nous avons retrouvé un club de plongée à La Ciotat où nous avons passé nos différents niveaux de plongée jusqu’à atteindre le niveau 4 permettant d’être moniteur-initiateur ». Et d’ajouter : « C’était le plus vieux club de plongée de France, celui qui a vu passer des légendes du monde de la plongée comme Albert Falco, chef plongeur de la Calypso [le célèbre navire du commandant Cousteau], ce qui nous a motivés encore plus. »

En parallèle, les deux infirmiers reprennent leur travail à l’hôpital, à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille. La passion de Kamel lui permet, après quelques années en réanimation, de travailler dans un service spécifique de l’hôpital, celui du caisson hyperbare. « Pour pouvoir travailler dans ce service, il faut être plongeur de niveau 2 minimum », explique Kamel, également formé à l’Institut national de plongée professionnelle ainsi qu’à l’hôpital. Car il accompagne les patients dans le caisson : « Nous devons donc être en mesure de le manipuler mais aussi de rassurer les patients et de leur expliquer comment équilibrer leurs oreilles avec la pression. » Les patients pris en charge dans ce type de service ont généralement des problèmes de cicatrisation. « L’oxygène dissous permettra, entre autres, d’alimenter des zones mal vascularisées, facilitant ainsi la cicatrisation. » Les patients font généralement des cures de plusieurs séances d’une heure trente, à raison d’une à deux par jour. Ce caisson permet aussi de soigner les intoxications au monoxyde de carbone. « Ce type d’intoxication donne lieu à de nombreuses urgences en hiver, c’est pourquoi il y a toujours une équipe d’astreinte 24 heures sur 24. »

Tournée en scooter

En janvier 2012, après quatre ans dans ce service, Kamel ressent le besoin de changer d’air. « Je m’ennuie très vite et, après dix ans d’exercice hospitalier, je voulais voir autre chose. » Il décide, avec son épouse, de s’installer en libéral. Le couple possède désormais un cabinet commun, mais chacun dispose de ses propres patientèle et associé. Et c’est en scooter que Kamel se rend chez la petite quinzaine de patients qui se situent en majorité dans les Ier et IIe arrondissements de Marseille. « Faire ma tournée en scooter me permet de prendre davantage de temps auprès de mes patients : je n’ai pas à me garer ni à subir les embouteillages. » Et de poursuivre : « Le cadre de vie, le fait de ne plus être en blouse toute la journée, d’avoir mes propres patients, de pouvoir prendre le temps qu’il faut avec eux me fait vraiment découvrir une autre facette du métier. » Autre fait appréciable : il ne travaille plus sous l’autorité d’autres professionnels de santé, mais en collaboration. Et, surtout, ce nouveau mode d’exercice lui permet de profiter de sa famille et de sa passion.

Avant d’acquérir leur bateau en 2013, Kamel et Valérie ont toujours été membres de clubs de plongée pour assouvir leur passion. En échange, ils participent à des baptêmes de plongée et effectuent du monitorat. Désormais, ils font partie du Yachting Club de la Pointe-Rouge, ce qui leur permet d’amarrer leur bateau au port éponyme.

Clichés sans bulles

Le couple effectue entre 100 et 150 plongées par an, toujours en binôme – la règle de base de la plongée sous-marine. Mais Kamel ne se contente pas de plonger, il prend également de nombreuses photos. « C’est en Guadeloupe, lorsque nous avons découvert la plongée, que nous avons commencé à prendre un appareil photo compact dans un caisson pour revenir avec des souvenirs. » Le hasard les fait rencontrer, il y a environ quatre ans, un journaliste travaillant pour des magazines de plongée. Très vite, une collaboration se met en place. « Nous faisons des tests et des essayages de matériels de plongée pour son magazine », raconte Kamel, qui a progressivement investi dans du matériel de photo professionnel afin de former un binôme photographe sous-marin-journaliste. Ses compétences, il les a acquises avec l’expérience. « Je n’ai jamais pris de cours de photo. » Pourtant, de nombreuses techniques sont à maîtriser, notamment l’usage du flash sous-marin, car plus la plongée est profonde, plus les couleurs s’estompent. Pour les photos animalières, il est aussi nécessaire d’être très proche de l’animal car, avec la distance, la couche d’eau entre l’objectif et le sujet est importante, ce qui peut jouer sur la qualité de la photo. Pour se faire encore plus discret et se fondre dans le milieu marin, Kamel s’est récemment formé à la plongée en circuit fermé, qui permet de plonger sans faire de bulles et ainsi approcher la faune marine de très près sans la déranger.

Ce travail avec le journaliste a conduit Kamel à réaliser de nombreux reportages sur des épaves navales de la Seconde Guerre mondiale, ou bien dans des spots de plongée : à Bali, en Jordanie, aux Maldives, en Égypte, dans le bassin méditerranéen, en Martinique… « Quand on travaille pour des magazines, on nous fait voir les meilleurs endroits », souligne-t-il, satisfait de voir ses photos publiées dans des revues spécialisées.

Cette passion pour la photographie sous-marine l’a également amené à participer à des concours de photos. La première compétition à laquelle Kamel a pris part avec Valérie est le challenge de Marseille. Première tentative, première victoire. Puis en 2015, ils arrivent à la troisième place de la coupe de France de photos animalières, et à la neuvième du championnat de France de photos sous-marines animalières. Kamel souhaite s’investir autant qu’il le peut dans cette activité. L’année dernière, il a organisé au Yachting Club de la Pointe Rouge son premier concours de photos, qui entre dans le cadre de la coupe de France. Cette coupe est organisée autour de plusieurs événements qui ont lieu toute l’année à travers la France. Le photographe qui obtient la meilleure moyenne gagne la coupe. Le club est par ailleurs en lice pour l’accueil des championnats de France en 2017, année où Marseille sera capitale européenne du sport.

Sympathisant d’une ONG

En juillet 2015, lors d’une sortie en mer, Kamel rencontre l’équipage du Sea Shepherd, une ONG fondée en 1977 par Paul Watson, militant écologiste canadien, et vouée à la protection des océans et des créatures marines. « En nous voyant avec mon binôme, armé de mon appareil photo, l’équipe nous a demandé si nous voulions bien faire des images d’une de leurs opérations en cours, l’opération “Mare Nostrum”, qui vise à s’attaquer aux déchets plastiques en mer. Ces objets, comme les filets de pêche abandonnés ou perdus, emprisonnent les animaux, les tortues, les poissons et, à l’échelle mondiale, leur quantité est énorme. » Sympathisant de Sea Shepherd, il accepte la demande. « Mais la météo a empêché toute sortie en mer pendant quelques jours. Nous avons alors proposé une plongée dans le port de Marseille, que la mairie nous a autorisés à filmer. » La vidéo tournée à cette occasion a été fortement médiatisée en raison des nombreux déchets qui ont été retrouvés sur le sol marin. « Tous les ports sont sales, et le Vieux-Port de Marseille, comme les autres, a accumulé des décennies de déchets. Mais comme la vidéo a beaucoup fait parler, des opérations de nettoyage y sont désormais organisées », conclut-il, satisfait.

* Groupe de plongeurs qui évoluent à la même profondeur, pendant la même durée, et qui effectuent le même trajet.