« Savoir-vivre » exigé - L'Infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 325 du 01/05/2016

 

Cindy Logan, responsable d’une agence d’aide à domicile à Cenon (Gironde)

La vie des autres

Olivier Blanchard  

Les aides à domicile – au nombre de 554 000 en France en 2014 – constituent une présence habituelle dans la prise en charge de la dépendance à domicile. Pourtant, entre difficultés de recrutement et manque de communication, leur métier peine à se faire (re) connaître.

« J’ai fait quelques CDD en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, mais le travail ne me convenait pas du tout ! J’ai toujours refusé le “traitement de masse”. Ce que je veux, c’est faire du cas par cas, avoir des contacts humains, travailler en collaboration et être polyvalente. » Cindy Logan, jeune trentenaire, justifie ainsi, dans un sourire, son choix de se lancer dans l’aide à domicile. Pourtant, après quatre années de science économique et un master de management en secteur médico-social, d’autres pistes s’ouvraient à elle. « Au départ, je voulais travailler avec des enfants. Mais, lors de mes expériences en maison d’enfant à caractère social, je me suis rendu compte que les enfants sont toujours entourés et que je ne gérais au final que des dossiers. Avec les personnes âgées, c’est différent, car elles sont souvent tellement isolées que mon action fait une différence concrète. » C’est ainsi qu’en septembre 2014 elle devient responsable d’une agence d’aide à domicile qui propose ses services dans tout le secteur de la Gironde, l’une des agences de Domicil+, groupe fondé en 2007 à Perpignan et déployé pour l’instantdans le sud. « C’est une structure strictement privée, qui fonctionne sur ses fonds propres et ne reçoit aucune subvention de l’État », souligne Cindy Logan. Certes, un agrément de l’état ouvre aux bénéficiaires la possibilité d’une réduction ou d’un crédit d’impôts, indique le groupe sur son site Internet. Mais « aujourd’hui, poursuit Cindy, certains bénéficiaires doivent être à l’article de la mort pour avoir droit à quelque chose, alors que d’autres personnes sont plus entourées et ont davantage d’aides… Et lorsque nous demandons à rencontrer les évaluatrices du conseil départemental, ce n’est jamais possible », soupire-t-elle.

L’agence de Cindy Logan s’occupe aujourd’hui d’un peu plus de 115 dossiers en moyenne : 5 sont « très lourds » (plus de 170 heures de présence par mois, la nuit notamment), 30 exigent des « actes essentiels de la vie » (personnes dépendantes) et 80 demandent du ménage ou des accompagnements véhiculés pour les personnes qui ne peuvent plus conduire. Pour répondre à ces demandes d’aide et d’accompagnement dans la vie quotidienne, l’agence emploie 55 personnes, soit une pour deux dossiers. « C’est beaucoup », dit-elle, avant d’en énumérer des raisons : « La Gironde est plutôt étendue, et nous recrutons au plus près du bénéficiaire ; beaucoup de nos employés ne veulent que de petits contrats et refusent souvent de faire des remplacements ; à Bordeaux, le nombre d’agences est important, et la tentation existe d’aller voir ailleurs si on leur propose quelque chose de mieux. »

60 % en agence, 40 % en visite

Au final, cela peut donc donner une impression de turn-over important. D’ailleurs, dans l’agence, seuls deux employés ont plus de quatre ans d’ancienneté, vingt-cinq plus d’un an, et les contrats durent en moyenne six mois. « Un employé est stable s’il passe la barre des huit mois. Je sais bien qu’au niveau communication, ce n’est pas bon pour nous, car les gens à domicile préfèrent toujours une équipe stable… » Au final, la journée type de la responsable se partage entre son travail administratif en agence (organisation des plannings, facturation, gestion des impayés…) et des visites à domicile, l’occasion de prendre contact avec un nouveau bénéficiaire ou de suivre, parfois tous les mois, les prises en charge en cours. « Nous faisons jusqu’à cinq visites par jour mais c’est très aléatoire car le secteur est grand ou difficile d’accès. Je passe soixante pour cent de mon temps en agence et le reste en visites. »

Difficultés méconnues

Disposant des agréments de la CPAM et du conseil départemental (lui permettant de percevoir directement l’Allocation personnalisée d’autonomie), l’agence doit embaucher au moins pour moitié des gens formés, qu’ils soient auxiliaires de vie sociale, aides-soignants ou qu’ils aient suivi la filière du bac professionnel sanitaire et social. « Nous accordons beaucoup d’importance au savoir-vivre des personnes qui, parfois, ne passent même pas la barre de l’entretien téléphonique. Ce sont souvent les gens qui n’ont aucune formation particulière au départ qui se révèlent les meilleures surprises, généralise Cindy Logan. Peut-être parce qu’ils sont souvent plus âgés et qu’ils ont acquis un vrai “savoir-être” de travail, qu’ils ont compris ce qu’on attend d’eux. Mais, en ce moment, j’ai l’impression que Pôle emploi propose à toutes les personnes qui ne sont pas qualifiées soit McDo, soit aide à domicile, et nous recevons des gens qui n’ont aucune consciencedes difficultés du travail », qui n’a pourtant, selon elle, « rien à voir avec de l’entretien industriel ». Selon un rapport du Sénat (lire aussi en encadré), 62 % des aides à domicile, en quasi-totalité des femmes et âgées en moyenne de 45 ans, n’ont aucun diplôme dans le secteur sanitaire ou social. Les nouvelles recrues de Cindy Logan travaillent en binôme puis seules, en CDI à temps partiel de durée annuelle ajustable selon les besoins de l’agence, au smic (9,67 euros brut horaire), plus les frais de déplacements.

Elle dit de vous !

« J’ai l’impression de faire le même type de travail que les infirmières libérales : on doit avoir tout le temps la tête partout, être sur une situation tout en pensant aux deux autres qui vont suivre. Nous avons un peu le même rythme de travail, la même pression du téléphone et des problèmes pour se déplacer… Mais cela fait que ni elles ni moi ne sommes disponibles pour nous rencontrer et parler d’une situation. Pourtant,je pense que c’est nécessaire et, dans les semaines qui viennent, on va essayer d’organiser un peu plus de rencontres, notamment lors de nos visites régulières chez les bénéficiaires. De plus, quand les infirmières acceptent le binôme avec les aides à domicile, y compris en leur montrant certains gestes pour les transferts, certains réflexes ou certains petits soins, c’est bénéfique pour tous ! »

SECTEUR DE L’AIDE À DOMICILE

« Des efforts de professionnalisation »

Dans un rapport de 2014 (lien : bit.ly/1remrE0), le Sénat invoque d’autres explications au turn-over parmi les aides à domicile : celles-ci « demeurent faiblement valorisées et les missions qu’elles exercent sont souvent considérées comme une forme d’aide-ménagère améliorée ne nécessitant pas de compétences particulières ». également évoquées, « une situation matérielle dégradée et des conditions de travail difficiles » (dont un temps partiel « fréquent et souvent subi »). Ces métiers « ont pourtant très largement évolué », s’exerçant « auprès de personnes atteintes de pathologies de plus en plus lourdes et complexes ». Sur certains actes, la limite entre aide et soin reste d’ailleurs floue, entretenant un malaise de la profession… et de soignants. « Des efforts de professionnalisation importants ont été engagés », ajoutent les sénateurs, évoquant notamment l’accès au diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS, cf. bit.ly/1WcBaKH) par la validation des acquis de l’expérience.