Les Idels en région, du strapontin au siège - L'Infirmière Libérale Magazine n° 323 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 323 du 01/03/2016

 

Dossier

Géraldine Langlois  

Unions régionales des professionnels de santé, acte II. Entrées en scène en 2010, ces institutions ont peu à peu bâti leur crédibilité. Suffisant pour convaincre toutes les Idels de voter pour leur renouvellement, d’ici le 11 avril ? Pour les acteurs syndicaux, l’échéance a une importance majeure.

En avril, pour la deuxième fois, les Idels éliront leurs représentants aux Unions régionales des professionnels de santé (URPS), sept ans après leur création par la loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009. Par une cotisation de 0,1 % sur leur revenu, prélevée annuellement par l’Urssaf, toutes les Idels cotisent pour abonder le budget des URPS-infirmiers, qui défendent leur place notamment au sein des Agences régionales de santé (ARS), dont les compétences vont croissantes (et qui entre autres organisent les élections aux URPS). Avec le report de quatre mois des élections, les quatre syndicats d’infirmières libérales, tous représentatifs selon les critères en vigueur, ont eu le temps de faire le bilan du premier mandat et de préparer les cinq prochaines années. Cette fois, en tout cas, ils ne partent pas de zéro.

HABITUDES BOUSCULÉES

En 2010, l’arrivée de ces nouveaux interlocuteurs au milieu du dialogue bien rodé entre les ARS et les médecins avait en effet bousculé les habitudes et modifié le paysage, tant au niveau consultatif que sur le plan décisionnel. « C’est la première fois que les infirmières étaient dans des instances régionales où elles avaient leur mot à dire », remarque Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) et de l’URPS-infirmiers des Pays de la Loire (et non candidate aux élections en avril). Les unions infirmières ont dû trouver leur place, et faire reconnaître leur crédibilité, face aux ARS, mais aussi par rapport aux médecins, présents depuis les anciennes Unions régionales des médecins libéraux (URML) (les “ancêtres” des URPS-médecins) et qui ont souvent fait montre de réticences, au moins au début, à travailler avec les Idels ou à les voir arriver dans le paysage. Les Idels ont, enfin, assis leur position vis-à-vis des URPS, tout aussi nouvelles, des autres professionnels de santé libéraux non médicaux. Certaines ont eu du mal à faire entendre leur voix, note William Livingston, trésorier de Convergence infirmière. « Interpeller et frapper aux portes, c’est parfois difficile au début », remarque Annick Touba.

Patrick Experton, président de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil) et de l’URPS-infirmiers d’Aquitaine, observe cependant qu’au final, dans sa région, « les infirmiers siègent dans toutes les commissions de l’ARS (lire dans l’encadré ci-dessus), et non plus sur un strapontin » et qu’ils ont fait valoir leur expertise. Dans nombre de régions, la confiance avec l’ARS, notamment, a fini par se tisser. Parfois même, comme en Rhône-Alpes, avec les unions des autres professionnels (lire p.33). Les URPS-infirmiers des différentes régions, en revanche, ont plus rarement bâti des ponts entre elles et leurs territoires d’action.

ÉTIQUETTES SYNDICALES

Une autre difficulté, au départ, a « peut-être été, selon Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale infirmière (FNI), d’éviter le mélange des genres ». La posture attendue des élus de l’union n’était pas celle des militants syndicaux, mais certains ont continué à mélanger les deux casquettes… Pour Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière, les dissensions syndicales ont parfois ralenti l’installation des unions. L’alliance entre la FNI, Convergence et l’Onsil contre le Sniil au moment de la constitution des bureaux a généré de fortes tensions. Elles se sont, ici, aplanies, et là, ont abouti au retrait de fait de certains élus. En Aquitaine, « nous avons mis un point d’honneur à faire abstraction des étiquettes syndicales », souligne ainsi Patrick Experton, même si, selon lui, les élus de l’un des quatre syndicats n’ont guère participé… En Rhône-Alpes, le président de l’URPS Lucien Baraza, de Convergence infirmière, a demandé aux élus de « déposer leurs valises syndicales hors de l’URPS ». Idem en en Haute-Normandie, où François Casadei, du Sniil, a choisi de les faire travailler en assemblées générales et non en bureau. Un fonctionnement atypique. Tous syndicats confondus, en ce qui concerne le gommage des étiquettes une fois élus, dans le fonctionnement des unions, « on aurait pu faire mieux », estime Annick Touba.

Après l’installation est venu le temps de l’action et, à part dans un petit nombre de régions, les URPS ont mené des projets intéressants (lire pp.32-33)… Pour aider les élus sous son étiquette à monter des projets, la FNI a mis sur pied, en 2012, Sphère consulting santé, une société d’ailleurs présidée par un Idel (le président de l’URPS-infirmiers Bretagne, Daniel Guillerm) qui réalise des audits et accompagne ses clients dans l’ingénierie de projets. Les URPS de Picardie et de Franche-Comté y ont recouru, l’une pour le projet Isipad (Intervention soins infirmiers post-ambulatoire à domicile, lire p.32), l’autre pour un projet de télémédecine sur les plaies.

FICHIERS ERRONÉS

Le premier mandat est terminé, revoilà venu le moment des élections. Mais, après le constat par le ministère d’un « écart significatif » entre les listes de l’Assurance maladie et de l’Ordre national infirmier (ONI), un report de quatre mois du vote a été décidé pour laisser le temps aux nombreuses Idels non inscrites à l’Ordre de faire cette démarche en vue de pouvoir voter et se présenter aux URPS. Cette condition pour être électeur et éligible n’avait pas été exigée lors du précédent scrutin, en décembre 2010 – la création de l’Ordre, houleuse, était encore très récente. Contacté par nos soins, l’ONI indique s’être mobilisé comme promis auprès du ministère (qui, lui, n’a pas donné suite à notre demande d’information). L’Ordre a ressenti un regain d’inscriptions, notable sans être pour autant massif, et toutefois plutôt en vue d’être éligible aux URPS que de “simplement” pouvoir y voter.

Toutes les infirmières n’ont donc pas, semble-t-il, adhéré à l’ONI. Les syndicats, eux, ont été conduits à remanier leurs listes pour en exclure les candidats initialement prévus mais toujours pas inscrits au tableau. L’Onsil a retiré un nombre « non négligeable » de noms sur les siennes, indique Patrick Experton, décrivant « une incontestable perte de forces vives qui auraient été très utiles ». Les Idels qui se sont abstenues de s’inscrire à l’Ordre l’ont fait par conviction, poursuit-il, or « nous avons besoin de personnes qui ont des opinions fortes ». Convergence a aussi été contrainte de revoir ses listes et a déploré, pendant le processus de vérification préalable à la clôture des listes d’électeurs, de nombreuses erreurs dans les fichiers de référence. La FNI et le Sniil ne signalent que des modifications marginales, leurs candidats étant plutôt déjà inscrits à l’ONI. En tout cas, certains redoutent une future contestation des résultats par des non-inscrites à l’Ordre, celles donc qui ne pourraient pas voter bien qu’elles cotisent, comme toute Idel, pour financer leur URPS…

Pour la campagne 2016, les syndicats ont souvent repris sur leurs listes, en position éligible, les élus du premier mandat, à plus forte raison les présidents d’URPS. Histoire de capitaliser sur l’expérience acquise. Ils ont aussi jonglé pour inscrire sur leurs listes des candidats de tous les territoires couverts par les unions, même si ce n’est pas obligatoire. La fusion de certaines régions a ajouté un degré de complication : pas facile de définir les têtes de liste pour les régions qui fusionnent et dont les présidents sont du même syndicat… Voire de trouver des candidats disposés à se lancer dans de longs déplacements pour participer à des réunions au siège de la future union.

PROGRAMMES ENTRE LOCAL ET NATIONAL

Au moment de notre enquête, à plus de deux mois de la campagne officielle, les syndicats n’avaient pas encore publié leur programme et restent discrets sur leurs projets (sur le sujet, relire aussi nos pages 6-7 du numéro 317 de septembre 2015). Leurs responsables affichent des intentions très “nationales”, même s’ils assurent que leurs listes défendront des projets de dimension régionale, dans le prolongement des projets déjà réalisés notamment. Le Sniil souhaite ainsi plaider pour « la pérennité de l’exercice infirmier », et développer les liens avec l’hôpital et les équipes de soins de proximité, éventuellement dans les maisons pluridisciplinaires de santé, mais « seulement si les infirmières sont associées dès le début au montage du projet, à égalité avec les autres professionnels », indique Annick Touba. Deux mots d’ordre sont brandis du côté de la FNI : liberté (autonomie d’exercice, indépendance professionnelle) et pouvoir d’achat (face aux différents “concurrents” des Idels à domicile, hospitalisations à domicile, services de soins infirmiers à domicile et autres prestataires…). Et trois mots d’action : « agir, oser, construire ». « Dans chaque région, nous allons construire un programme qui va reposer sur un bilan et une promesse avec des propositions ancrées sur les territoires », confie Philippe Tisserand. Il devrait aussi être basé sur les résultats d’un sondage réalisé par le syndicat.

Convergence infirmière, qui a modifié ses statuts avec l’objectif de se structurer davantage au plan régional, souhaite « faire des URPS le relais de la politique nationale en région », déclare William Livingston. Ses professions de foi aborderont les questions régionales d’un côté et nationales de l’autre, avec par exemple un projet de statut pour l’exercice libéral, que le syndicat estime menacé de toutes parts. L’Onsil souhaite pour sa part étendre aux régions qu’elle pourrait présider le dossier de soin partagé qu’elle a mis en place en Aquitaine et qui constitue, aux yeux de Patrick Experton, un « formidable outil pluriprofessionnel ».

OBJECTIF REPRÉSENTATIVITÉ

Deux enjeux importants entourent ce scrutin. L’un est national : du résultat de cette élection dépendent la reconnaissance de la représentativité des syndicats au plan national et donc leur possibilité de participer et leur “poids” au sein des négociations conventionnelles et d’instances nationales. Les uns (plutôt l’Onsil et Convergence) auront pour objectif d’atteindre le seuil des 10 %, synonyme de représentativité, et de présider davantage d’unions qu’aujourd’hui (Convergence en préside deux, l’Onsil une, et en 2016 présentent des listes dans respectivement dix et onze régions) ; les deux autres syndicats, le Sniil et la FNI, qui présentent une liste dans dix-sept et seize régions, se battent plutôt pour la première place, en termes de voix, de sièges et de présidences… L’autre enjeu est régional : il s’agit pour chacun d’obtenir le maximum d’élus, des sièges dans les bureaux des unions pour peser dans les décisions, et surtout décrocher leur présidence.

L’alliance, en 2010, de la FNI, de Convergence et de l’Onsil contre le Sniil, pour l’empêcher de présider certaines unions, aura-t-elle lieu à nouveau ? En début d’année, Philippe Tisserand ne l’excluait pas, mais la configuration actuelle des élections rend les résultats plus aléatoires, pense-t-il, et une telle alliance nationale ne lui paraît pas aussi évidente qu’il y a cinq ans. « Tout dépendra des résultats », remarque William Livingston, pour qui Convergence a des rapports étroits avec la FNI. Patrick Experton n’est « ni pour ni contre » : « Nous devons ré-analyser la situation, que tout le monde donne des gages, déclare-t-il. Il faut arrêter cette guerre syndicale qui ne mène à rien. » Annick Touba estime pour sa part que « les affinités entre personnes ne suivent pas forcément les lignes de syndicats » et se dit prête à discuter avec d’autres.

Ces élections 2016, modifiées par l’obligation d’inscription à l’Ordre et le redécoupage des régions, comportent à nouveau bien des inconnues.

Repères

• Le rôle des URPS-Idels

Ces jeunes institutions proposent et mènent des projets concernant l’exercice infirmier. Les Idels élues aux URPS participent aux instances officielles, comme la Conférence régionale de santé et de l’autonomie et sa commission spécialisée de l’offre de soins, ou encore à des groupes de travail organisés par les ARS, à l’image de comités stratégiques des parcours de santé et de soins, de groupes thématiques du schéma régional d’organisation des soins… Elles peuvent être consultées sur la démographie en vue de la définition des zones d’installation, la création ou l’extension de structures de santé (dont les HAD et Ssiad), les conditions d’exercice de leur profession…

DATES CLÉS

Six mois de rebondissements

19 SEPTEMBRE 2015 : lors d’une réunion au ministère, les syndicats et l’Ordre apprennent que les élections des URPS-infirmiers, prévues en décembre, sont reportées en avril.

12 OCTOBRE : élections URPS pour les médecins.

31 OCTOBRE : date limite pour les inscriptions des Idels à l’ONI pour figurer sur les listes d’électeurs et de candidats aux URPS.

7 DÉCEMBRE : élections URPS dentistes, masseurs-kinésithérapeutes et pharmaciens. À noter que, pour les biologistes responsables, les sages-femmes, les pédicures-podologues, les orthophonistes et les orthoptistes, les représentants ne sont pas élus mais désignés.

23 DÉCEMBRE : les listes d’électeurs chez les Idels sont publiées. Peuvent voter toutes les Idels dont l’activité principale s’exerce dans le cadre conventionnel. Les remplaçantes ne sont pas concernées.

1er FÉVRIER 2016 : date limite de dépôt des listes de candidats.

19 FÉVRIER : publication des listes de candidats.

28 MARS – 8 AVRIL : campagne électorale.

4 AVRIL : envoi du matériel de vote.

11 AVRIL : date limite de renvoi des bulletins (cachet de la poste faisant foi). Scrutin de liste proportionnel à la plus forte moyenne.

15 AVRIL : proclamation des résultats après dépouillement.

20 AVRIL : date limite de contestation des élections.

JUIN : premières assemblées générales des nouvelles URPS.

Analyse
DÉPLACEMENTS

La fusion des régions change la donne

La réduction au 1er janvier 2016 du nombre de régions (et donc d’Agences régionales de santé et d’Unions régionales des professionnels de santé) de 22 à 13 en métropole, auxquels s’ajoutent les quatre URPS de Guadeloupe, Guyane, Martinique et océan Indien, impacte le scrutin. Les syndicats ont moins de listes à composer. Les régions fusionnées sont plus étendues. Les distances à parcourir pour se rendre au siège de l’URPS (près de celui de l’ARS) devraient logiquement être accrues.

Plus de 500 kilomètres séparent les extrémités de l’Aquitaine- Limousin-Poitou-Charentes… Le budget “déplacements” des élus risque d’exploser.

La visio-conférence (de surcroît dépendante de la qualité de la connexion) ne pourra pas remplacer toutes les réunions. Beaucoup espèrent conserver des antennes des URPS dans les capitales des anciennes régions. Mais cela aussi aura un coût. Des référents dans les ARS doivent aider les URPS dissoutes à transférer leur patrimoine (quand elles ont acheté leurs locaux) ainsi que les éventuels contrats de travail. Pour Philippe Tisserand, cette réforme éloigne à nouveau les infirmiers des lieux de décision. Les URPS ont tissé des relations avec des interlocuteurs dans les ARS, « et patatras, on doit tout recommencer », regrette Patrick Experton.

Analyse
CANDIDATS SYNDICATS

Quatre couleurs, un rare mélange

Deux, trois, quatre… Selon les régions(1), les électeurs aurontle choix entre plusieurs listes, présentées par les quatre syndicats d’Idels : Sniil, FNI, Convergence infirmière et Onsil. En Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, une liste se veut inédite, elle est assurément un exemple rare de “panachage”. Elle déclare en effet une majorité d’adhérents de l’Onsil, mais aussi plusieurs non-syndiqués et quelques membres d’autres syndicats (Sniil et FNI), qui présentent pourtant, comme Convergence infirmière, leur propre liste dans la région. À sa tête, Dominique Jakovenko, actuel vice-président de l’URPS(2), se dit agacé par les affrontements entre syndicats. Ce choix d’une liste « plurielle » n’était pas facile à faire accepter sur le principe mais bien légal, insiste-t-il : les listes doivent être portées par un syndicat mais leurs candidats peuvent ne pas y être inscrits. L’URPS, rappelle le candidat, représente toutes les Idels, y compris les non-syndiquées, la grande majorité. Par cette ouverture, qui est aussi un argument de campagne, il espère séduire les électeurs que les programmes “conventionnels” ne convainquent plus ainsi queles abstentionnistes.

(1) Sauf à Mayotte, dont le représentant professionnel au bureau de l’URPS est désigné par le préfet sur proposition de l’ARS après avis de l’Ordre des infirmiers de La Réunion et de Mayotte.

(2) Par ailleurs membre de notre comité scientifique.

EN SAVOIR +

→ TOUS LES CANDIDATS région par région, à retrouver via notre carte interactive, sur notre site à l’adresse espaceinfirmier.fr/urps2016

→ “VIS MA VIE D’ÉLU URPS” Lire le témoignage dans ce numéro, p.67.

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