Le champ des possibles - L'Infirmière Libérale Magazine n° 320 du 01/12/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 320 du 01/12/2015

 

Agnès Creyemey, éducatrice de rue à Bordeaux (Gironde) auprès des usagers de drogues

La vie des autres

Marie-Capucine Diss  

À pied ou en bus, Agnès Creyemey part à la rencontre d’usagers de drogue, pour aider ceux qui le souhaitent à se soigner et à s’insérer socialement. à bifurquer vers une autre voie.

Depuis dix-sept ans, Agnès Creyemey est éducatrice au CEID (Comité d’étude et d’information sur la drogue et les addictions) de Bordeaux (lire l’encadré). Elle partage son temps entre le travail de rue, des permanences au Caarud (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue) Planterose et à bord d’un bus permettant de toucher un public vivant dans les communes rurales des environs. La rue, le centre d’accueil et le bus : ces trois espaces permettent d’établir et d’entretenir un lien avec les personnes de la rue. Car Agnès Creyemey considère le “aller vers” comme la base de son métier. Elle se rend sur les “lieux de manche” et dans les squats, quand elle y est invitée par l’un des occupants. Mais elle fréquente aussi les festivals de la région. Depuis quelques années, l’éducatrice de rue a noté, parmi le public qu’elle suit, une augmentation notable du nombre de jeunes de moins de 25 ans en errance. Souvent issus des dispositifs d’aide à l’enfance, ils ont dû faire face à un vide de prise en charge, une fois leur majorité atteinte. Psychologiquement et socialement fragilisés et trop jeunes pour bénéficier du RSA, ils n’ont suivi qu’une seule voie, celle de la rue, avec vie en squat, mendicité et usage de “produits”. L’éducatrice de rue a fait de ces jeunes l’une de ses priorités : « Ils en sont encore à la découverte, à l’initiation. Avec eux, il est plus facile de tenter des choses pour les déshabituer des codes de la rue. Les jeunes voient l’errance, la vie en squat comme un gage de liberté. De mon côté, je considère qu’ils ne sont pas si libres que cela. Vivre de la mendicité comporte bien des contraintes. J’en discute souvent avec eux et, pour les provoquer, je leur dis qu’ils ont juste remplacé le “métro-boulot-dodo” par “la manche-le supermarché-le squat”… »

« S’extraire du monde de la rue »

Avec la fin de l’été, apparaissent en ville de nouveaux venus, attirés par les travaux saisonniers que proposent les domaines viticoles environnants. L’éducatrice part à leur rencontre se présenter et leur exposer ce qu’ils peuvent trouver au centre Planterose : la possibilité de prendre une douche, de laver le linge, de recharger son téléphone portable ou de rencontrer des professionnels pour des besoins spécifiques, sociaux ou liés à la santé. Elle oriente chacun, en fonction de sa demande, en lui indiquant le prénom d’un de ses collègues du Caarud : infirmière, médecin, assistante sociale, animateur. Si le besoin s’en fait sentir, elle l’accompagne pour sa première venue au centre Planterose. « Certains n’ont pas de demande, ils viennent juste pour être là, boire un café, s’extraire du monde de la rue. Être dans un endroit plus calme où ils n’ont pas besoin de défendre leur place… » Une première visite est l’occasion de nouer un lien, prélude à un accompagnement personnalisé.

« Les aider à avoir des objectifs »

Pour Agnès Creyemey, c’est la situation globale, la précarité des consommateurs de produits psychotropes, leur parcours, qui sont avant tout à prendre en compte. Donc c’est par un ensemble de solutions, immédiates ou à plus long terme, de discussions, informelles ou plus ciblées, que se noue peu à peu la relation d’accompagnement. L’éducatrice tente de faire bifurquer ses interlocuteurs vers une autre voie. Les contacts peuvent être fugaces, ou durer des années ; ils peuvent emmener la personne vers un ailleurs ou ne rien changer à sa situation. Il est fondamental de ne projeter aucun souhait personnel sur les personnes suivies : « J’essaie de créer la demande de quelque chose, de les aider à avoir des objectifs. J’accompagne chacun là où il veut aller et à partir de là où il est. Je n’ai pas de critères, pour moi, il n’y a pas de bonne insertion. C’est chacun qui choisit le parcours qui lui fait le moins mal. »

En tournée dans l’arrière-pays

Depuis sept ans, chaque vendredi, Agnès Creyemey monte dans le bus du CEID en compagnie de sa collègue infirmière. Direction les bords de Garonne, à Langon, à une cinquantaine de kilomètres de Bordeaux. Sur place, elles servent une boisson chaude aux usagers venus procéder à un échange de seringues. La discussion peut être rapide et centrée sur la prévention des risques. L’infirmière pratique une prévention de poste avancé, avec notamment la possibilité de procéder à un dépistage rapide à orientation diagnostique du VIH. L’éducatrice a la satisfaction d’avoir mis en place ce programme avec le concours des usagers. D’abord sur un parking, en centre- ville, le bus s’est ensuite déplacé vers le fleuve, pour une plus grande discrétion. Puis le bouche à oreille a fonctionné. Les usagers qui se rendaient au bus ont fait part à l’éducatrice de personnes ayant besoin de ce dispositif et habitant plus loin dans les terres. Désormais, le bus sillonne aussi l’arrière-pays langonnais. Les deux professionnelles se rendent dans des communes plus petites et dans certains squats des environs. Agnès Creyemey adapte son trajet en fonction des personnes qui l’appellent les jours précédant sa venue. Et c’est l’une des choses qu’elle apprécie le plus dans son métier : prendre en compte l’existant, se laisser guider par une demande.

Elle dit de vous !

« Ce n’est pas évident pour une infirmière habituée à travailler à domicile de venir dans un squat, pour un soin auprès de jeunes en errance. Ainsi, nous étions à Langon, avec un jeune homme qui s’était fait mordre par un chien. Sa blessure nécessitait des soins. Ma collègue infirmière a trouvé, via son réseau, une professionnelle susceptible de s’adapter aux problématiques d’un squat, un peu sensibilisée à ce type de public. Le jeune homme était un peu agressif, en raison de ses consommations. Autour de nous, il y avait six chiens et des usagers un peu énervés. Au niveau de l’hygiène, ce n’était pas cela : pas d’eau courante, des poils de chien partout, des bouteilles et des seringues au sol… Pour le suivi des soins, ma collègue avait dit à l’infirmière libérale de l’appeler en cas de problème. Heureusement, il y a des professionnelles de santé qui acceptent de s’adapter à ce type de milieu et de public. Quand on les trouve, il faut les garder précieusement. »

DES CENTRES ET DES ACTIONS

L’accompagnement des usagers de drogue

En 1972 a été créé à Bordeaux l’un des premiers CEID. Financée par l’Assurance maladie, sous le contrôle de l’Agence régionale de santé, cette association pour laquelle travaille Agnès Creyemey accueille et prend en charge les personnes présentant des problèmes liés à des usages de substances psychoactives ou à d’autres pratiques addictives. En Aquitaine, le CEID se décline en une trentaine de structures, consultations et dispositifs complémentaires. Ses moyens pour toucher un public précaire et éloigné des dispositifs de soins sont le Caarud Planterose, le travail de rue et le programme mobile d’échange. La prise en charge ambulatoire de la toxicomanie et autres addictions est assurée à Bordeaux par le Csapa (Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie) Maurice-Serisé. Le Csapa, au sein du CEID, gère aussi des appartements thérapeutiques et des dispositifs de réinsertion sociale et d’accès à un hébergement.