Initier et accompagner les soins de support - L'Infirmière Libérale Magazine n° 320 du 01/12/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 320 du 01/12/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Mme H. a terminé ses traitements pour un cancer du sein.Sa dernière cure de chimiothérapie remonte à quatre mois. Alors qu’elle a pu maintenir une activité professionnelle pendant les traitements, elle vous dit qu’elle est très fatiguée et que cela commence à l’handicaper.

Vous lui rappelez qu’une fatigue est fréquemment due aux effets cumulés du cancer et des traitements, et qu’il n’est pas rare qu’elle survienne à distance des derniers traitements. Vous lui expliquez que les premières recommandations concernent le maintien d’une activité physique et l’adaptation des temps d’activité et de repos à son état de fatigue. Vouslui proposez de faire un pointavec elle sur les mesures qui lui semblent possible de mettre en place pour améliorer la situation.

« La douleur, la fatigue et les difficultés alimentaires peuvent concerner tous les types de cancer. Ce sont les symptômes les plus fréquemment invoqués par les patients auprès de soignants », constate Anne Couchaux, infirmière coordinatrice du Réseau territorial de santé Sud 77 (lire l’encadré p. 37). Quelques conseils simples permettent à l’infirmière d’établir une démarche de soins et d’assurer son soutien au patient. Lorsque ces premières mesures s’avèrent insuffisantes, l’infirmière peut maintenir l’accompagnement du patient en l’orientant vers les professionnels indiqués.

DOULEUR

Une fréquence élevée

« Les douleurs sont très fréquentes dans le cadre du cancer, note l’infirmière coordinatrice. Lorsque la situation évolue, il peut être nécessaire d’ajuster le traitement prescrit initialement par une augmentation des doses ou un passage à un palier supérieur d’antalgiques, ou de modifier un traitement dont le patient ne supporte pas les effets secondaires. » Des douleurs modérées à sévères sont rapportées par 17,5 % des patients(1).

La douleur liée au cancer

Rare et non significative

Le cancer est rarement douloureux par lui-même, ce qui explique qu’une cellule tumorale peut naître, se développer et former une tumeur importante sans provoquer de douleur. La tumeur peut néanmoins être à l’origine de douleurs par envahissement ou compression d’organes, de vaisseaux ou de nerfs.

Le traitement des causes

Exemples de traitements spécifiques :

→ la chirurgie pour retirer un ganglion ou un nodule tumoral localisé et lever une compression douloureuse ou consolider un os fragilisé (fémur par exemple) ;

→ la ponction d’un épanchement liquidien situé par exemple dans la plèvre (pleurésie) ou l’abdomen (ascite) ;

→ la radiothérapie dite “palliative” ou “symptomatique”, en particulier en cas de métastases osseuses douloureuses, dont l’effet peut être rapide ou retardé (de plus de quatre semaines parfois) ;

→ la chimiothérapie, les nouvelles thérapies ciblées ou les traitements hormonaux qui font régresser la masse tumorale et dont l’effet bénéfique peut aussi être retardé de plusieurs semaines ;

→ les injections d’alcool au niveau du plexus nerveux responsable de la douleur afin de “l’anesthésier” (on parle d’alcoolisations) sont intéressantes pour certaines douleurs liées au cancer du pancréas ;

→ les cimentoplasties, sous forme d’injection d’un ciment synthétique dans la cavité créée par une métastase osseuse, permettent de traiter la douleur et de consolider l’os atteint ;

→ la radiofréquence consiste à envoyer un courant électrique au sein de la masse tumorale douloureuse pour la faire diminuer de volume et soulager la douleur.

La douleur liée aux traitements

Les deux tiers des patients rapportent des douleurs consécutives aux traitements : la chirurgie (cicatrisation, neuropathies par section nerveuse, “membres fantômes”), la chimiothérapie (mucites, douleurs musculaires et osseuses) ou la radiothérapie (inflammations, nécroses). Pour un quart d’entre eux, ces douleurs sont considérées comme fortes. Elles sont plus fréquemment rapportées par les femmes, les personnes de moins de 50 ans ou en situation de précarité, et les personnes atteintes d’un cancer du sein ou du poumon.

La surveillance

La douleur affecte directement la qualité de vie, physiquement en limitant les capacités fonctionnelles du patient et psychologiquement en contribuant à la survenue d’épisodes de dépression, d’anxiété et de détresse. Or, selon une enquête coordonnée par l’INCa(1), « l’évaluation et le traitement des douleurs résiduelles ou chroniques chez les patients atteints d’un cancer restent aujourd’hui encore problématiques […] 62 % des patients souffrant de douleurs en situation de cancer avancé seraient sous-traités du fait d’une prescription inadaptée à l’intensité de leur douleur ». Il est donc recommandé d’évaluer régulièrement la douleur chez toute personne en traitement pour un cancer, particulièrement lors des évolutions de la maladie et des traitements.

Les traitements complémentaires

D’autres interventions peuvent avoir une action sur la douleur comme le soutien psychologique, la relaxation, la sophrologie, l’hypnose, la neurostimulation, la kinésithérapie, les massages, etc. Elles permettent parfois de diminuer le dosage et les effets indésirables des médicaments antalgiques grâce à leurs effets bénéfiques sur la douleur physique, le bien-être moral et la qualité de vie.

FATIGUE

La fatigue chronique est le symptôme le plus fréquemment ressenti par les personnes traitées. Elle se caractérise par une sensation de fatigue continue, difficile à surmonter, associée à un sentiment de total épuisement, tant d’un point de vue émotionnel que psychique et physique. Elle concerne 15,5 % des patients deux ans après leur diagnostic(1). Elle peut persister pendant des années après la fin des traitements et altérer significativement la qualité de vie.

La physiopathologie

La physiopathologie de la fatigue reste mal connue et pourrait être en lien avec :

→ la prolifération tumorale qui peut engendrer une fatigue par l’atteinte locale d’un organe (rein, foie, cerveau, certaines glandes endocrines…). Par exemple, une ou plusieurs tumeurs situées au niveau du poumon peuvent diminuer l’hématose (oxygénation du sang au niveau des poumons), la saturation en oxygène du sang, voire entraîner une insuffisance respiratoire ou cardiaque ;

→ des mécanismes centraux à l’origine d’une stimulation de l’hypothalamus qui provoquerait une diminution du tonus musculaire et aboutirait à de la fatigue.

Les étiologies

De nombreuses causes peuvent se cumuler :

→ facteurs somatiques : anémie (chez plus de 50 % des patients), troubles métaboliques ou ioniques (magnésium, calcium, potassium, phosphore), insuffisance organique (thyroïdienne, cardiaque…), carences vitaminiques ou protéiques (malnutrition) ou encore infections (favorisées par les mucites, une voie d’abord ou une neutropénie) ;

→ facteurs liés aux traitements : l’accumulation de métabolites toxiques résultant de la lyse cellulaire provoquée par la chimiothérapie ou la radiothérapie, la chimiothérapie elle-même, la chirurgie (immobilisation, stress, anxiété), la radiothérapie (surtout irradiations abdominales, thoraciques et ORL), l’immunothérapie (syndrome pseudo-grippal sous interféron) ou la consommation d’anxiolytiques ;

→ facteurs psychologiques : anxiété, dépression ou troubles du sommeil liés à l’anxiété mais aussi aux douleurs.

Les éléments d’évaluation

Repérer la fatigue chronique

→ La fatigue physiologique aiguë a un rôle protecteur et une cause généralement identifiable (exercice physique ou mental). Elle est perçue comme normale et non surprenante.

→ La fatigue pathologique chronique n’a pas de fonction connue et son étiologie est obscure. Elle est ressentie comme anormale, disproportionnée et généralisée. Sa durée prolongée a un impact majeur sur la qualité de vie.

Les signes fréquents

→ Difficulté à effectuer des tâches physiques simples.

→ Manque d’énergie, de force.

→ Difficultés à se concentrer, à effectuer un raisonnement compliqué, à lire un texte ou suivre une longue discussion.

→ Sensation de vertige.

→ Difficultés à dormir.

→ Être facilement irritable, nerveux, abattu, triste, souvent au bord des larmes, dépressif.

Évaluer le niveau de fatigue

Comme la douleur, la fatigue est un phénomène subjectif que l’infirmière peut évaluer avec une échelle visuelle analogique (EVA) ou une échelle numérique (de 0 à 10, 0 pour zéro fatigue à 10 la plus forte fatigue que le patient puisse imaginer). Il existe des questionnaires spécifiques pour des évaluations plus approfondies de la fatigue ou de la qualité de vie. Mais le niveau de fatigue, pour l’infirmière à domicile, peut aussi, voire surtout, s’évaluer indirectement par son impact sur les activités quotidiennes, par la présence de signes caractéristiques ou le vécu exprimé par le patient.

Le traitement de la fatigue

En cas de cause identifiée

Traitement des causes organiques et psychologiques :

→ prise en charge de l’anémie, augmentation du traitement antalgique, correction des troubles métaboliques, changement de traitement si possible en cas de fatigue iatrogène, adaptation des apports nutritionnels ;

→ prise en charge en cas d’origine psychologique car les relations entre fatigue et symptômes dépressifs sont étroites.

Sans cause identifiée

Traitement symptomatique sous forme de :

→ traitement médicamenteux sans qu’aucun n’ait fait la preuve de son efficacité : psychostimulants (méthylphénidate ou dextroamphétamine), corticostéroïdes à faible dose (dexaméthasone et prednisone), inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et amantadine… ;

→ mesures non médicamenteuses qui peuvent apporter une amélioration : exercices physiques progressifs adaptés au patient, modifications des habitudes de repos et d’activité, thérapeutiques cognitives (relaxation, réduction du stress), hygiène du sommeil.

Les conseils pour gérer la fatigue

Dégager des priorités

Quelques questions pour privilégier ce qui fait plaisir au patient et donne du sens à ses journées…

→ À quelles activités puis-je renoncer le plus facilement ?

→ Quelles sont les limitations les plus pénibles à surmonter ?

→ Pour quelle activité voudrais-je surtout mobiliser l’énergie dont je dispose ?

Maintenir une activité adaptée

L’activité physique permet à l’organisme de constituer des réserves d’énergie qui contribuent à faire diminuer la fatigue. « Avec l’avancement de la maladie et l’administration des traitements, la fatigue peut être de plus en plus difficile à gérer, observe Anne Couchaux. L’objectif est de maintenir un seuil d’activité adaptée aux possibilités du patient, une activité physique régulière, modérée, intégrée dans le déroulement de la journée, comme des déplacements à l’intérieur ou à l’extérieur du logement. Lorsqu’elle est possible, une orientation vers une activité physique adaptée est un soutien intéressant. » Se renseigner auprès des comités départementaux de la Ligue contre le cancer dont certains proposent des séances d’activité physique adaptée (par exemple les comités du Maine-et-Loire).

Rester actif

À côté de l’exercice physique, d’autres activités comme des jeux, mots croisés, activités artistiques (chant, musique), la concrétisation de projets délaissés ou la planification d’une activité agréable peuvent faire diminuer la sensation de fatigue.

Se reposer

Rester au lit trop longtemps et dormir n’est pas toujours la solution la plus efficace et cela peut perturber le sommeil nocturne. Une sieste peut aider, particulièrement après le déjeuner, sans dépasser une demi-heure, si possible, pour ne pas tomber dans une phase de sommeil profond. Il est intéressant de trouver des moments de repos autrement qu’en dormant (détente, lecture…).

Favoriser le sommeil

Rappel de quelques règles simples d’hygiène du sommeil :

→ dormir selon les besoins, pas plus, et éviter les siestes longues ou trop tardives (après 16 heures) ;

→ adopter un horaire régulier de lever et de coucher ;

→ limiter le bruit, la lumière et une température excessive dans la chambre à coucher ;

→ éviter la caféine, l’alcool et la nicotine, les exercices physiques après 17 heures et les repas trop copieux le soir.

PROBLÈMES D’ALIMENTATION

Des symptômes fréquents

L’accompagnement et la prise en charge nutritionnels font régulièrement partie des soins de support en cancérologie. « Les problèmes nutritionnels concernent d’abord les cancers du tube digestif et les cancers ORL parce que les patients sont souvent déjà dénutris à l’entrée dans la maladie, mais tous les patients en chimiothérapie sont concernés par des difficultés alimentaires, constate Anne Couchaux. Il est préférable d’anticiper ces difficultés en donnant des conseils pour combattre les éventuels effets secondaires comme la perte d’appétit, de goût et d’odorat, les éventuelles nausées et autres dès le départ du traitement. C’est aussi le moment de relever un poids de référence et de demander au patient de se peser régulièrement pour repérer une perte de poids problématique. »

Des répercussions péjoratives

Lorsque les premières mesures simples sont insatisfaisantes, une orientation vers une diététicienne s’impose car un état de dénutrition augmente le risque de toxicité de la chimiothérapie et diminue son efficacité, augmente le risque de complication, et affecte directement la survie et la qualité de vie. C’est un facteur de mauvais pronostic dans certains cancers comme ceux des voies aéro-digestives supérieures. Inversement, dans certains cas, les traitements du cancer peuvent s’accompagner d’une prise de poids qui pourrait accroître les risques de récidive de certains cancers, comme celui du sein. La nutrition est donc un enjeu avant, pendant et après la phase de traitement.

Quelques conseils en fonction des symptômes(2)

En cas d’altération du goût ou de l’odorat

→ Se rincer la bouche avant de manger et après afin de nettoyer les papilles qui permettent de reconnaître le goût des aliments.

→ Consommer les aliments froids pour atténuer les odeurs et les goûts prononcés. ?Utiliser des ustensiles en plastique si les aliments ont un goût métallique.

→ Ajouter des assaisonnements pour rehausser leur goût si les aliments paraissent fades.

→ Éviter le sel et les aliments riches en sel si les aliments ont un goût “trop salé” pour le patient.

En cas de nausées et vomissements

→ Fractionner les repas, manger souvent, en petites quantités, des aliments froids ou à température ambiante.

→ Éviter les aliments très gras, frits ou trop épicés.

→ Boire de l’eau pétillante, ou bien du soda (en enlevant le gaz au préalable), boire par petites gorgées, hors des repas.

→ Ventiler la pièce après avoir cuisiné.

En cas de bouche sèche ou irritée

→ Sucer des glaçons, boire par petites gorgées ou utiliser de la salive artificielle (sur prescription médicale).

→ Choisir des aliments doux et neutres comme les laitages, les flans de légumes, consommés tièdes ou froids.

→ Éviter les jus acides, boissons alcoolisées, aliments épicés, trop salés et les pommes de terre, qui collent à la gorge.

→ Lubrifier le tube digestif avant les repas avec une cuillère de crème fraîche, de mayonnaise ou d’eau gélifiée.

→ Adapter la texture des repas (molle, liquide, pâteuse).

→ Tenir à disposition de la sauce ou du jus tout prêt pour napper les plats de viande et de légumes trop secs.

→ Hydrater les lèvres avec de la vaseline, de l’huile d’amande douce ou un stick.

→ Faire des bains de bouche sans alcool.

(1) “La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après cancer”, collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014 (via le lien raccourci bit.ly/1LnPl6i).

(2) D’après “Voyage gourmand”, document du réseau Oncologie 93 (lire Savoir plus p. 47)

Question de patient

Le fait de ressentir une douleur signifie-t-il que le cancer est très évolué ? Non, la douleur n’est pas forcément le signe d’un stade avancé de la maladie. Elle dépend plus du siège et de l’agressivité de la tumeur que de son volume ou son étendue.

Point de vue

Un risque important de dénutrition en cas de cancer

Magali Pons, cadre de santé diététique à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne)

« La dénutrition est une des complications fréquentes des cancers et de leurs traitements. En cancérologie, le risque de dénutrition varie en fonction de la localisation tumorale et de l’état nutritionnel au moment du diagnostic. Il doit donc inciter à la vigilance, surtout avec les cancers très anorexigènes, comme ceux des voies aérodigestives supérieures ou de l’estomac. Quel que soit le cancer, trois phénomènes sont en cause : une sensation de satiété précoce après quelques bouchées, des nausées ou vomissements à la simple vue des aliments, une perte ou des modifications du goût. De plus, les effets indésirables d’une chimiothérapie ou d’une radiothérapie, surtout en zone ORL, peuvent aussi provoquer ou aggraver une dénutrition. Les objectifs de la prise en charge nutritionnelle viseront alors l’amélioration de l’état nutritionnel qui permettra au patient de mieux résister aux toxicités du traitement et de se sentir moins fatigué, avec de meilleures capacités physiques. C’est un soin à part entière, qui participe à l’amélioration de la qualité de vie du patient et au succès de la prise en charge. »