Prendre en charge le risque d’escarre - L'Infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

M. M., 75 ans, très fatigué, passe la plupart du temps au lit et refuse de rester au fauteuil. Il bénéficie des services d’une auxiliaire de vie (AVS) deux heures par jour et vous êtes en charge de la toilette du matin. La veille au soir, l’AVS vous a laissé une transmission concernant une rougeur au talon du pied gauche. Elle attend vos consignes.

Vous vérifiez si la rougeur suspecte blanchit ou pas lorsque vous appuyez dessus avec un doigt. Si la rougeur blanchit, vous transmettez à l’AVS que les massages-effleurages de prévention sont maintenus sur ce talon comme sur les autres points d’appui, en rappelant la technique de l’effleurage sans pétrissage ni friction. Si la rougeur persiste à la pression de votre doigt, vous arrêtez les massages-effleurages, vous mettez le talon en décharge et vous avertissez le médecin qui devra modifier la prise en charge devant ce qui signe un échec de la prévention en place (prescription d’un support de prévention, traitement d’une éventuelle dénutrition…).

ESCARRE

L’escarre est une plaie consécutive à l’hypoxie tissulaire provoquée par une pression excessive et prolongée. Une pression excessive ferme les vaisseaux sanguins cutanés, voire sous-cutanés, provoquant ainsi une hypoxie tissulaire. Le niveau de pression qui provoque cette fermeture est variable en fonction des individus et des parties du corps. Les points du corps où s’exercent les plus fortes pressions sont aisément identifiables, ce qui permet une surveillance ciblée.

RISQUE D’ESCARRE

Tous concernés

Le repérage des patients à risque peut permettre une prévention plus ciblée et plus intense auprès de ces patients.

Personnes (plus) à risque

Une escarre est plus susceptible de se développer chez les personnes :

→ immobilisées au fauteuil ou alitées ;

→ âgées grabataires et dépendantes ;

→ opérées ou hospitalisées à domicile ;

→ immobilisées sur une courte période (infection, post-opératoire) ;

→ ayant des séquelles de paralysie (hémiplégie, paraplégie) ;

→ dénutries ;

→ incontinentes ou à forte sudation.

FACTEURS DE RISQUE

La présence simultanée de plusieurs facteurs augmente le risque de survenue d’une escarre chez le patient.

Facteurs extrinsèques

→ Pression exercée par le poids du corps sur les points d’appui (talons, sacrum, occiput…).

→ Frottement exercé par les draps sur la peau.

→ Cisaillement produit par les forces de glissement en position semi-assise instable.

→ Macération cutanée.

Facteurs intrinsèques

Ils sont liés à l’état de santé du patient :

→ l’incontinence, la sudation ou la fièvre créent une macération qui fragilise la peau ;

→ la dénutrition ;

→ l’immobilité (appui prolongé) ;

→ l’âge du patient ;

→ la fragilité de la peau ;

→ certains traitements médicamenteux (tranquillisants, corticoïdes…) ;

→ troubles de la sensibilité, état psychologique, âge, fièvre…

Deux facteurs sont prédictifs de la survenue d’escarre : la dénutrition et l’immobilité.

ÉVALUATION DU RISQUE

Parmi les échelles d’évaluation du risque d’escarre, l’échelle de Braden est claire et simple d’utilisation, l’échelle de Norton est retenue par l’Assurance maladie pour le remboursement des dispositifs médicaux. L’évaluation est recommandée dès la prise en charge du patient, renouvelée régulièrement, et à chaque changement de son état.

MESURES DE PRÉVENTION

Pour diminuer les pressions aux points d’appui, il faut augmenter la surface de contact par l’utilisation de support de prévention d’escarre et les changements de position.

Éducation du patient et de l’entourage

À domicile, la prévention des escarres ne peut se faire sans l’information précoce des aidants sur les mécanismes d’apparition des escarres et les principes de la prévention, indispensable dans les situations d’immobilisation prolongée. L’infirmière rappellera notamment :

→ l’importance des changements de position ou des auto-soulèvements (quelques secondes toutes les demi-heures) ;

→ le positionnement du patient ;

→ l’intérêt d’une nutrition adaptée. Des apports alimentaires et un IMC insuffisants augmentent le risque de survenue et de gravité des escarres ;

→ l’intérêt d’une hygiène rigoureuse et du changement régulier de la literie ;

→ l’attention particulière apportée au choix des vêtements afin de prévenir les phénomènes de compression, frottement, strictions (attention aux coutures des sous-vêtements, aux vêtements trop serrés, aux plis, aux chaussettes…).

Choix du support en fonction du niveau de risque

Le choix du support* est fait en fonction du poids du patient, de ses capacités de mobilisation, de sa pathologie, des ressources disponibles (humaines et matérielles) et du support lui-même (hauteur…). Le support est ensuite ajusté à l’évolution de l’état du patient et des facteurs de risque qui doivent être réévalués régulièrement.

Installation au lit

Les installations recommandées répartissent mieux les forces de pression. Elles peuvent être conservées pendant quatre heures, voire un peu plus, alors que les positions à risque, décubitus latéral strict ou dorsal strict, qui ne sont plus utilisées, ne pouvaient être maintenues que deux heures au maximum. Le décubitus dorsal strict expose à des risques d’escarre au niveau du sacrum et des talons. C’est souvent dans cette position, si elle est prolongée, que surviennent les escarres. Le décubitus latéral strict expose au risque d’escarre du trochanter.

Décubitus dorsal en “semi-Folwer à 30°”

La position de décubitus dorsal dite en “semi-Folwer à 30°” consiste à relever tête et pieds de 30° par rapport au plan du matelas. Cette position permet de réduire au maximum les pressions au niveau des surfaces de contact, notamment pour un alitement prolongé dans la même position. La surélévation des pieds évite le glissement. L’inclinaison à 30° est celle qui réduit le plus les forces de cisaillement.

Décubitus semi-latéral à 30°

La position allongée sur le côté à 30° (décubitus semi-latéral à 30°) est une position idéale car elle atténue la pression sur les différents points d’appuis (talons, hanches et sacrum) grâce à l’utilisation de plusieurs coussins (sous la tête, au niveau du dos et des fesses afin d’incliner le corps à 30° et entre les jambes pour éviter le frottement au niveau des talons et des chevilles). Cette position est contre-indiquée pour les patients porteurs de sonde nasogastrique, insuffisants respiratoires ou cardiaques.

Effleurage

L’effleurage consiste à masser légèrement à main nue la peau en utilisant les doigts à plat et la paume de la main sans appuyer, dans le but de favoriser la microvascularisation cutanée et permettre l’observation des points d’appuis. Les gants peuvent être utilisés en cas d’infection mais il empêchent la perception de chaleur et d’induration. L’effleurage est pratiqué sur les zones à risques en fonction de la situation d’immobilisation, le plus souvent talons, trochanters, sacrum ou ischions. Le terme de “massage effleurage” est souvent préféré au terme “effleurage” assimilé à une caresse, une notion ambiguë dans notre culture. Sachant que le massage proprement dit (pétrissages superficiels, frictions, décollements avec dépressions des éléments cutanés) ne fait pas partie des mesures de prévention.

Indications

→ Patients alités ou assis avec appuis prolongés.

→ Patients présentant une diminution de la vascularisation, de la mobilité ou la sensibilité.

Contre-indications

→ Zones présentant des lésions cutanées (par exemple : dermatoses infectieuses).

→ Zones cutanées inflammatoires.

→ Rougeur (érythème) persistante à la pression car c’est une escarre de stade 1. Les effleurages sont contre-indiqués à cause du risque d’aggraver la lésion existante.

Au stade de la rougeur persistante à la pression, la prise en charge consiste à :

– protéger la peau avec un film ou un hydrocolloïde extramince transparent, laissé en place jusqu’au décollement, pour diminuer les forces de frottement. Attention, les mousses hydrocellulaires ne diminuent pas la pression ;

– mettre en décharge totale la lésion. En cas de rougeur non persistante à la pression, les effleurages sont possibles.

Changements de position

Il est primordial qu’un patient restant des périodes prolongées assis ou alité ne demeure pas totalement immobile. Chez une personne en bonne santé, une alerte infra-sensorielle l’incite à changer de position (micromouvements) dès la détection d’une douleur à un point d’appui. Les troubles de la sensibilité ou de la motricité rendent ces mécanismes inopérants et imposent une mobilisation programmée. Cette alerte sensorielle diminue également avec l’âge, de vingt micromouvements par heure de sommeil pour une personne de 20 ans à cinq micromouvements à 60 ans. Pour pallier cette déficience, il convient de :

→ adapter et planifier les changements de position ;

→ transmettre ces informations aux aidants et au patient ;

→ respecter les durées maximales de maintien des positions : les positionnements latéraux obliques droite et gauche, la position relaxante à 30° décubitus dorsal ou latéral peuvent être maintenues plus de trois heures (deux en cas de risque très élevé) ;

→ alterner les positions : décubitus dorsal, décubitus latéral droit (15 à 30°), décubitus latéral gauche (15 à 30°) puis position assise ;

→ lever dès que possible ;

→ inciter le patient à pratiquer des auto-soulèvements de 10 secondes toutes les 15 à 30 minutes ;

→ préférer la position assise trois fois deux heures plutôt que six heures d’affilée, la pression sur les ischions étant majorée par rapport au lit (préférer le lit dans le cas d’escarre fessière).

Alimentation

En prévention

Des apports alimentaires et un IMC insuffisants augmentent le risque de survenue d’escarres.

Chez des patients âgés et grabataires, les escarres les plus profondes sont liées à une altération plus sévère du statut nutritionnel. Pour réduire le risque d’apparition des escarres, la HAS recommande une prise en charge nutritionnelle chez les personnes âgées immobilisées. Un état de dénutrition fait passer le risque de survenue d’escarre au grade supérieur (grade C).

Prise en charge nutritionnelle

Chez les personnes âgées à risque d’escarres pour d’autres raisons que la dénutrition, ou avec escarres constituées, les objectifs nutritionnels sont les mêmes que ceux des personnes âgées dénutries, soit 30 à 40 kcal/kg/jour et de 1,2 à 1,5 g de protéines/kg/jour.

* D’après l’avis de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, HAS, 2009.

Questions de patient

Cette position sur le côté à 30° est-elle confortable ?

Oui, ce sont des positions qu’on peut garder longtemps. C’est d’ailleurs une position que prennent naturellement la plupart des gens pour dormir. Les gens dorment très rarement en décubitus dorsal strict ou latéral strict. Ils s’inclinent légèrement en utilisant la position des jambes.

Pourquoi effectuez-vous l’effleurage avec du Sanyrène puisque son efficacité n’est pas prouvée ?

Il y a quand même une étude épidémio-clinique observationnelle qui a montré l’intérêt de l’effleurage avec Sanyrène dans la prévention des escarres, même si c’est un niveau de preuve insuffisant pour la HAS. C’est aussi la meilleure manière d’effectuer concrètement et systématiquement la surveillance des zones d’appui.