La substitution opiacée - L'Infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 319 du 01/11/2015

 

Addictologie

Cahier de formation

Le point sur

Denis Richard  

Les traitements de substitution opiacée (TSO) par méthadone ou BHD (Subutex et génériques) font partie de la prise en charge de l’usager d’héroïne.

Enjeux et stratégie

Enjeux

Outil de régulation de la dépendance chez un patient volontaire, le TSO associe à une dimension pharmacologique un suivi éducatif, psychologique et social. Il ne vise pas à supprimer systématiquement la dépendance, mais, de façon pragmatique, à la modifier pour la rendre plus “supportable” : il réduit la morbidité et la mortalité (par intoxication aiguë notamment) liées à la toxicomanie, facilite la réinsertion familiale et professionnelle, limite la délinquance qui peut être associée à la consommation d’héroïne et d’autres opiacés achetés dans la rue. Il a pour pivot une alliance thérapeutique aussi satisfaisante que possible que facilite notamment l’administration d’un médicament de substitution opiacée (MSO) : méthadone ou buprénorphine (BHD), dont les indications sont comparables (équivalence approximative : 8 mg de BHD = 60 mg de méthadone) et l’association contre-indiquée.

Stratégie en quatre phases

→ Évaluation : une fois porté le diagnostic de dépendance, le degré de dépendance est évalué (modalités d’usage, contexte de polytoxicomanie), la trajectoire du patient est déterminée (entourage affectif et familial, liens sociaux, niveau d’éducation, couverture sociale, cures et échecs successifs, antécédents judiciaires, overdoses, risque suicidaire), de même que sa motivation au soin, ce qui permet de faire un point clinique, psychiatrique, biologique et sérologique (VIH, hépatite C notamment).

→ Induction : cette phase permet d’équilibrer en une à deux semaines la posologie du MSO prescrit : le patient ne doit pas ressentir de manque ni de besoin irrépressible à utiliser de l’héroïne (craving).

→ Maintenance : seule une période de stabilisation prolongée (souvent plusieurs années) permet une réadaptation psychosociale et un suivi médical amendant les comorbidités somatiques et psychiatriques. Le TSO est parfois poursuivi indéfiniment.

→ Arrêt : un sevrage progressif peut être proposé au patient lorsqu’un arrêt d’au moins un an de sa consommation d’héroïne est attesté, et s’il est demandeur d’une suspension du traitement. Il court alors deux risques : celui d’intoxication aiguë (reprise inadaptée d’un TSO directement à forte dose ou bien sûr reprise d’héroïne aux doses utilisées avant les soins) et celui de transfert à une autre addiction (alcool, benzodiazépines, etc.). Le patient doit donc toujours rester médicalement accompagné.

Substitution par méthadone

→ La méthadone est un agoniste opioïde présenté sous forme de sirop ou de gélule (réservée aux patients préalablement traités par la forme buvable pendant au moins un an).

→ Le traitement est initié par un addictologue exerçant en Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ; il ne peut l’être par un médecin généraliste exerçant en ville. Il est institué à une dose de 10 à 40 mg (24 heures environ après la dernière prise d’héroïne), puis adapté par paliers d’un à trois jours jusqu’à une dose allant de 60 à 100 mg en une prise par jour, parfois plus sous contrôle médical. Le patient équilibré et capable de gérer son traitement pourra être suivi par un médecin libéral.

→ En fin de traitement, la dose est réduite par paliers hebdomadaires de 5 à 10 mg, avec souvent nécessité de la ré-augmenter transitoirement si le patient est angoissé ou s’il rechute. La méthadone peut être remplacée par la BHD : sa posologie est réduite progressivement jusqu’à 30 mg, en ménageant un intervalle libre (au moins 48 heures) entre la dernière prise de méthadone et la première de BHD.

→ L’administration de méthadone expose aux effets indésirables classiques des agonistes opioïdes : hypersudation, constipation, troubles de la libido, insomnie, troubles de l’alimentation, mais surtout risque de dépression respiratoire. Certains effets cèdent dès les premiers mois du traitement. Les décès par méthadone existent. Vérifier que le patient est dépendant aux opiacés avant de le mettre sous méthadone.

Substitution par BHD

→ La BHD (Subutex et génériques) s’administre par voie sublinguale (le comprimé se suce et ne se gobe pas), à la posologie initiale de 0,8 à 4 mg par jour, en une prise quotidienne unique, à heure fixe, au moins 24 heures après la dernière prise d’opiacés. Atteinte progressivement, la dose d’entretien est comprise entre 8 et 16 mg par jour (voire 16 à 24 mg par jour ou plus). Une posologie mal adaptée ou un comprimé mal utilisé peut induire des signes de sous-dosage (apathie, état anxio-dépressif, irritabilité, troubles du sommeil, signes de manque). Si besoin, passer de la BHD à la méthadone, en ménageant un intervalle libre d’environ 16 heures.

→ La BHD expose moins à un risque de dépression cardiorespiratoire que la méthadone. Elle induit moins d’euphorie lorsqu’elle est administrée isolément, par voie sublinguale, aux doses préconisées, mais n’en expose pas moins à un risque de mésusage. Son profil de tolérance est globalement analogue à celui de la méthadone (asthénie, hypersudation, céphalées, vertiges, nausées, constipation, troubles du sommeil). Son association avec les benzodiazépines expose à un risque de décès par dépression respiratoire, notamment en cas d’usage détourné par voie intraveineuse.

→ L’association fixe BHD/naloxone s’utilise comme la BHD isolée (Suboxone 2/0,5 mg ou 8/2 mg). La naloxone, un antagoniste opiacé, prévient le mésusage : elle n’est pas résorbée par voie digestive, mais, en cas d’injection, elle inhibe l’action de la BHD et provoque ainsi un syndrome de sevrage aigu.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Maternité et TSO

→ Le TSO permet d’équilibrer une future mère dépendante d’héroïne pendant sa grossesse, et de contrôler ainsi son rapport aux opiacés. La méthadone est ainsi indiquée avant une grossesse désirée ou, à défaut, au premier ou au deuxième trimestre (sa prescription en fin de grossesse reste discutée) et la BHD est déconseillée aux deuxième et troisième trimestres.

→ Un syndrome de sevrage peut survenir chez le nouveau-né, après quelques heures ou jours. Ses manifestations restent frustes : atteintes neurologiques (instabilité, hyperexcitabilité…), troubles respiratoires, digestifs (diarrhée avec déshydratation, troubles de la succion). Le traitement associe nursing, régime alimentaire hypercalorique, parfois administration dégressive d’élixir parégorique (contenant de l’opium, donc de faibles doses de morphine) dans le lait. Le faible passage dans le lait des TSO ne contre-indique pas l’allaitement.

Chiffres clés

• Usagers de drogues illicites par voie intra-veineuse ou réguliers : 280 000, dont 30 % d’usagers dominants d’opiacés.

→ Décès liés à l’héroïne : 39 en 2012.

→ Patients bénéficiaires d’un TSO : 170 000 (35 % par méthadone, 65 % par BHD ; 12 % en Csapa, 88 % en ville).

Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 2015.

Point de vue Grégory Bouiges, cadre de santé, Centre hospitalier Henri-Laborit (Poitiers)

Éviter le “réflexe correcteur”

« La question de l’accompagnement au changement est au cœur de la relation de soins auprès des patients ayant une problématique d’addiction. L’entretien motivationnel*, par une écoute active, une empathie augmentée et une meilleure compréhension et gestion des processus de changement, permet de reconnaître, de susciter et de soutenirle désir de changement. Cette technique d’entretien permet d’influencer le résultat des conseils et de l’accompagnement, mais surtout elle inscrit dans la durée les modifications de consommation ou de rapport au produit toxicomanogène, qui ne devient plus l’unique centre d’intérêt du patient. La difficulté pour le soignant réside le plus souvent dans la complexité de l’exercice qui consiste à être suffisamment empathique tout en évitant le “réflexe correcteur”, cette tendance spontanée à vouloir redresser ce qui est de travers mais qui peut se révéler contre-productive. »

* Exemple de méthode (dans le cas des fumeurs) : bit.ly/1QKPZ2p