Madame la présidente - L'Infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015

 

CREUSE

Initiatives

Véronique Hunsinger*   Fabrice Dimier**  

Valérie Simonet, 49 ans, Idel depuis plus de vingt ans, a raccroché début août pour se consacrer entièrement à la vie politique. Elle fait partie des huit femmes élues, au printemps dernier, à la tête d’un Conseil départemental. Reportage à ses côtés lors de ses toutes dernières tournées.

Comme toutes les infirmières libérales qui font la même tournée depuis vingt ans, elle n’aurait guère l’utilité d’un GPS. Au volant d’un petit 4 × 4 confortable, Valérie Simonet fonce à vive allure sur les départementales et les chemins vicinaux du sud de la Creuse. Améliorer l’état des routes, ce sera justement la première priorité de son nouveau mandat, vient-elle de décider. En effet, à la surprise générale, c’est cette infirmière, élue locale depuis une dizaine d’années, qui s’est retrouvée propulsée à la tête du Conseil départemental lors des élections de mars dernier. À l’UMP, après le départ de son emblématique baron local, Jean Auclair, négociateur en bétail, bientôt 70 ans dont quarante de politique, on avait choisi de miser sur une femme, doutant probablement de ses chances d’inverser la majorité dans ce département rural fortement ancré à gauche… Valérie Simonet, 49 ans, mariée à un entrepreneur local, mère d’une étudiante en économie, n’est pas dupe des ruses de la politique mais savoure encore intérieurement sa victoire, d’autant plus qu’elle ne lui était pas acquise. La récente obligation de parité sur les listes électorales représente, selon elle, « quoi qu’on en dise, une excellente chose, même si la loi ne règlera pas toutes les difficultés des femmes en politique ». Pour preuve, si 2 054 hommes et 2 054 femmes ont été élus conseillers départementaux au printemps dernier en France, seulement huit femmes ont été désignées présidentes sur les 98 assemblées. Et le profil de Valérie Simonet, professionnelle de santé et libérale, n’est vraiment pas classique à ce type de fonction. « Le soir de ma victoire, j’ai à peine bu une coupe de champagne dans un gobelet en plastique puis j’ai gambergé toute la nuit, se souvient-elle. Mais, dès le lendemain, je me suis rendue à l’évidence : je ne pourrais pas cumuler mon activité libérale avec mon mandat. Même si ce n’était pas une décision facile à prendre, j’ai préféré arrêter complètement. » Au moins le temps du mandat…

Mais, avant d’être happée toute entière par la politique, Valérie Simonet doit encore, par ce vendredi d’août caniculaire, assurer son avant-dernière tournée, une tournée en forme d’adieux. Dans la Creuse, pour avaler une centaine de kilomètres et visiter une trentaine de patients, il faut commencer dès 6 heures du matin pour pouvoir finir un peu avant 13 heures. Deux cabinets d’infirmières distants de dix kilomètres travaillent ensemble. Pendant tout le trajet, le téléphone sonne sans cesse : sa cheffe de cabinet à Guéret pour organiser son agenda politique de l’après-midi, ses consœurs du cabinet infirmier pour faire le point sur le planning des tournées et des patients ou leurs proches qui appellent pour l’informer d’un retour d’hospitalisation ou des suites d’un accident de tracteur.

La patientèle est composée majoritairement de personnes âgées, dont beaucoup d’anciens agriculteurs. Hélène, diabétique, est soignée par Valérie Simonet depuis vingt ans. Elle va regretter son infirmière mais est « fière de la voir passer à la télé », dit-elle en balayant l’air avec sa tapette à mouches depuis son lit. Enfant du pays, l’Idel est visiblement très attachée à ses patients qui le lui rendent bien. “Mamie Odette” a 90 ans et compte les passages de son infirmière dans le quotidien régional La Montagne. « Elle va me manquer », souffle la vieille dame. Valérie Simonet promet qu’elle repassera dans son hameau isolé de quelques maisons pour « prendre des nouvelles de temps en temps » avant de vérifier si le bracelet de télé-alarme de la vieille dame marche toujours et ne lui fait pas mal au poignet. « On va tellement regretter notre infirmière, cela fait si longtemps qu’on se connaît », clame un couple d’octogénaires qui attendait l’infirmière dans sa grande cuisine avant de pouvoir passer à table. Les gestes de Valérie Simonet pour refaire les pansements sont rapides et doux. Un monsieur seul, jeune retraité, tient à lui faire la bise après sa dernière prise de sang et s’inquiète déjà de voir débarquer « encore une nouvelle infirmière ». Dans la famille d’un adolescent opéré des ligaments croisés du genou, tout le monde se souvient d’elle et de ses passages auprès des différents membres de la famille. « Il y a un point commun entre les politiques et les soignants : quand on est avec les gens, on laisse tous ses soucis personnels de côté et c’est très bien comme ça », confie-t-elle dans la voiture sur le chemin vers son domicile.

Carpes farcies et fauteuils Voltaire

Le déjeuner sera rapide : des œufs au plat et une salade de tomates. Elle poursuit l’interview dans sa cuisine sans se départir de son naturel, parle de la fierté de sa famille au sujet de ses succès en politique, de son parcours professionnel et de sa passion sincère pour son département. Tout y passe : de la gastronomie (les carpes farcies, le gâteau creusois), au savoir-faire séculaire des maçons creusois, à la tradition des marchands de vin et à la richesse méconnue du patrimoine. Puis c’est le changement de tenue. L’ample robe d’été en lin beige, les chaussures plates, les cheveux blonds relevés en queue de cheval, c’était pour le matin. Une robe rouge droite plus stricte, des petits talons et un coup de peigne plus tard, elle s’engouffre dans la berline avec chauffeur mise à sa disposition par le Conseil départemental. Le parapheur l’attend déjà sur la banquette arrière. Le trajet dure une petite heure et cette coupure bienvenue lui permet de s’assoupir quelques minutes. À son arrivée au “château”, comme on surnomme l’Hôtel du département, sa garde rapprochée est sur le pied de guerre en dépit de la chaleur estivale. Cette imposante bâtisse du XVe siècle de style gothique flamboyant, Valérie Simonet la connaît depuis déjà 2004, date de son premier mandat de conseillère générale, jusque-là toujours sur les bancs de l’opposition. Elle était à l’époque la plus jeune, la seule femme. Désormais, elle dirige la courte majorité (seize élus Les Républicains, nouveau nom de l’UMP, sur trente sièges) et occupe l’impressionnant bureau de la présidence, orné d’une cheminée de pierre et de tapisseries d’Aubusson. Face à elle, cet après-midi, calés dans des fauteuils Voltaire, deux représentants de Val-de-Creuse Initiative, une association de chefs d’entreprise dont le but est de soutenir la création d’entreprises en zone rurale, lui exposent la situation économique du département. Le tutoiement est de rigueur. Valérie Simonet écoute attentivement, pose de nombreuses questions, mais ne s’avance pas, d’autant qu’avec la réforme territoriale à peine votée en juillet, même les élus les plus chevronnés ne savent pas encore à quel échelon politique pourront se prendre les décisions relevant de la compétence économique.

« Changer l’image de la Creuse »

Dernier rendez-vous de la journée avec le préfet de la Creuse. L’accueillant devant sa préfecture voisine de l’Hôtel du département, il sort de la réserve habituelle de serviteur impartial de l’État pour commenter la personnalité de la nouvelle patronne du département. « Nous avons besoin de profils jeunes et dynamiques, c’est aussi important pour changer l’image de la Creuse », glisse le fonctionnaire nouvellement arrivé à Guéret et qui fut, dans une autre vie, collaborateur de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur. La vie du parti aujourd’hui présidé justement par l’ancien président de la République intéresse, en revanche, assez peu Valérie Simonet. « Les responsables de parti savent nous trouver, nous, élus locaux, quand ils ont besoin de nous car nous sommes de bons relais avec la population au moment des élections », explique-t-elle, sans amertume. « Les élus locaux comme les élus nationaux doivent se comporter de manière exemplaire, surtout dans une société qui est en perte de repères », ajoute-t-elle, avec visiblement encore en travers de la gorge des affaires comme celle des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, qu’elle mentionne sans s’étendre*. Ses convictions politiques sont claires. « Je ne vais pas à la messe, je ne crois pas que “c’était mieux avant”, dit-elle. En revanche, je m’inquiète de la déliquescence de la transmission entre parents et enfants. La protection de l’enfance relève de la compétence du Conseil départemental, et quand je vois certaines situations d’enfants qui ont subi des violences psychologiques, je suis alarmée. » Une autre des compétences du département est le revenu de solidarité active (RSA). « Je pense que je me situe dans la mouvance de la droite sociale, juge-t-elle. Faire bénéficier les gens d’un RSA ne suffit pas à les aider à s’en sortir. » Plus curieusement, cette infirmière n’a pas d’avis très tranché sur le projet de loi de Marisol Touraine, qu’elle avoue ne pas avoir étudié dans les détails. Le syndicalisme infirmier ne l’intéresse pas vraiment non plus. Pourtant, sur le terrain, dans la communauté de communes d’Auzances-Bellegarde dont elle a été vice-présidente en même temps que maire de sa toute petite commune de Bussières-Nouvelle depuis 2008, elle n’a pas manqué le train de la réorganisation de l’offre de soins. « Nous avions commencé à travailler dès 2008 avec les cinq communautés de communes de l’Est du département sur la problématique de la santé sur notre territoire, racontait-elle la veille en faisant visiter les futurs locaux de la maison de santé d’Auzances. Quels sont les besoins en santé de la population ? Quelles sont les perspectives de l’offre ? » Résultat : le projet territorial de santé décide de l’installation de quatre maisons de santé pluridisciplinaires. La première a ouvert l’année dernière à Boussac avec 21 professionnels dont sept infirmières, « des vrais battants ». Celle d’Auzances devrait ouvrir début 2017 dans les locaux d’un ancien hospice à côté de l’actuel Ehpad. Les locaux pourront accueillir médecins, infirmières, dentiste, podologue et orthophoniste, et même le Ssiad, sans crainte de la concurrence tant les besoins en soins de la population âgée sont importants, comme d’ailleurs l’attente vis-à-vis des services liés au département (Clic, Maia…). L’Agence régionale de santé a voulu entendre un élu et un professionnel de santé défendre le dossier. Avoir la double casquette n’a pas été inutile.

À présent, la double journée de Valérie Simonet n’est pas terminée. Elle est attendue dans la ville voisine de La Souterraine pour une manifestation culturelle qui durera toute la soirée. À 6 heures, le lendemain, elle reprendra la route pour sa dernière tournée.

* Invalidés par le Conseil constitutionnel pour la présidentielle de 2012, et pour lesquels l’UMP a réglé une amende.