La griffe de l’Idel - L'Infirmière Libérale Magazine n° 317 du 01/09/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 317 du 01/09/2015

 

AISNE

Initiatives

Sandra Mignot  

Passionnée de félins, Sarah Garnier pratique l’élevage de chats depuis 2009, tout près de la forêt axonaise de Saint-Gobain. Une passion qui exige une rigueur, une organisation et une attention comparables à celles mises en œuvre dans son métier d’infirmière libérale.

Lorsque Sarah Garnier, infirmière libérale de 28 ans, franchit la porte d’entrée de sa maison, celui qui l’attend en manifestant le plus d’impatience n’est ni son mari, ni l’un de ses deux enfants… Dressé sur ses pattes arrière et appuyé sur la surface vitrée, un élégant chat au long pelage et aux oreilles prolongées par des touffes de poils effilées pointe son museau. « Les Maine Coons sont véritablement des chats-chiens, explique Sarah en effleurant l’animal. Quand vous rentrez, ils vous attendent à la porte, viennent se faire caresser, se frottent contre vos jambes… » Derrière Hiris, la jolie femelle âgée de 3 ans qui s’est ainsi précipitée, suivent quelques-uns des chatons à qui elle a donné le jour au printemps, un peu plus craintifs.

Divas Sacrées

Car Sarah ne fait pas juste partie des onze à douze millions de Français détenteurs d’animaux domestiques ; elle a décidé de pousser plus loin sa passion pour les félins, en devenant éleveuse. « J’ai toujours vécu avec des chats de race, c’est une passion qui remonte à l’enfance, indique-t-elle. Mon père, qui travaillait loin de notre domicile, était locataire chez une éleveuse. Lorsque j’allais lui rendre visite en week-end, je passais mon temps avec les chats. »

Son premier chat est un Persan, qu’elle reçoit à l’âge de 7 ans. Puis, une fois adulte, elle décide d’acquérir un premier sacré de Birmanie en 2008, puis un autre, peu avant d’être diplômée de l’Ifsi, fin 2009. « J’ai pris un tel plaisir à voir les premiers chatons naître et grandir que j’ai rapidement décidé de prendre une deuxième femelle, et les choses se sont enchaînées naturellement. »

Alors qu’elle débute sa carrière en secteur hospitalier dans un établissement psychiatrique, Sarah mène de front toutes les démarches d’installation de son élevage. « À partir de deux portées par an, il est en effet obligatoire de se déclarer comme tel à la préfecture et à la direction des services vétérinaires », résume-t-elle. Il lui faut également inscrire son élevage – baptisé Divas Sacrées – au Livre officiel des origines félines et s’inscrire au répertoire Sirène. En effet, tout élevage est une entreprise, même si Sarah refuse de considérer cette activité comme un second métier. « Je ne veux pas vivre des animaux. D’abord, parce que c’est aléatoire, on ne sait jamais combien les portées donneront chaque année ; mais aussi parce que c’est une passion, un élevage familial, où le bien-être de l’animal et le plaisir que j’ai avec lui passent avant tout. Enfin, parce que j’aime ma profession d’infirmière. »

Normes sanitaires et dossiers médicaux

Tous les bénéfices dégagés de la vente des chatons (entre 1 100 et 1 500 euros selon leur destination, compagnie ou reproduction) sont réinvestis dans l’aménagement des pièces et enclos qui leur sont réservés.

Il faut les équiper d’arbres à chats, de paniers, de jouets, de grattoirs, de caisses pour effectuer leurs besoins… Les femelles et leurs petits vivent à l’intérieur avec la famille de Sarah, mais une pièce de la maison est réservée aux nouveau-nés non encore vaccinés. Attenant au salon, deux enclos grillagés ont été construits pour que les adultes puissent vivre à l’extérieur. « Je ne peux pas les garder tous ensemble, si je veux maîtriser leur reproduction », explique la jeune femme. Le domicile est également organisé de manière à respecter les normes sanitaires. « Il faut disposer d’une infirmerie, d’une nurserie, d’un espace de quarantaine, respecter des précautions d’hygiène, etc. Et nous sommes contrôlés de manière inopinée par la Direction départementale de la protection des populations qui délivre un certificat de conformité », explique Sarah. Pour finaliser son installation, elle a également effectué un stage de formation spécifique, sanctionné par une “attestation de connaissances relatives aux animaux de compagnie d’espèce domestique”. La jeune infirmière a même dû s’inscrire auprès de la Mutualité sociale agricole, l’élevage étant considéré comme une activité agricole à part entière, avec les obligations qui en découlent : tenue d’un cahier retraçant les entrées et sorties de l’élevage et d’un cahier vétérinaire.

Des documents qu’elle tient à jour rigoureusement, tout comme les “dossiers médicaux” de ses patients félins : vaccinations, tests génétiques, échographies de détection des anomalies congénitales, stérilisation précoce des chatons destinés à devenir des animaux de compagnie, pose d’une puce électronique d’identification. « C’est beaucoup de travail, mais je peux y investir les compétences que j’ai acquises en tant qu’infirmière. » Comme sa connaissance et sa pratique des mesures d’hygiène évidemment. « Je suis très rigoureuse sur ce point : la nurserie est scrupuleusement aspirée et désinfectée tous les jours. » Un peu de physiologie est également indispensable. « Il est parfois nécessaire d’assister la mise bas. Couper le cordon, percer la poche des eaux et, il y a peu par exemple, j’ai même dû pratiquer une réanimation à la naissance pendant une minute trente… »

Outre les connaissances, les aptitudes professionnelles que l’infirmière a développées sont également sollicitées. « Il faut un réel sens de l’organisation », reconnaît Sarah. Avec huit femelles, saillies chacune une fois l’an – sauf cette année où l’une des plus rusées est parvenue à s’introduire dans l’enclos des mâles à l’insu de Sarah –, l’élevage voit naître une quarantaine de chatons par an, qu’il faut régulièrement observer, câliner (ce qui n’est pas le moins plaisant, il faut bien le reconnaître), amener chez le vétérinaire, puis sociabiliser avant qu’ils partent chez un acquéreur.

Chatons placés sur photo

« J’attribue les chatons sur photo aux acheteurs, qui reçoivent ensuite chaque semaine d’autres photos présentant l’évolution de l’animal jusqu’à ce qu’il soit sevré, stérilisé et qu’ils puissent venir en prendre possession. » La patience de l’infirmière est également sollicitée : « Je dois répondre aux appels de nombreux clients potentiels qui se renseignent mais n’achèteront pas. C’est un contact très différent de celui que j’ai avec le patient, qui a besoin de moi pour un soin, alors que les acheteurs sont dans une recherche de plaisir… »

Recevoir les acquéreurs est le moment pour découvrir dans quel environnement le chat sera installé, rappeler les caractéristiques de l’espèce et les soins qui devront lui être prodigués. « Je veux absolument un Maine Coon parce que c’est réellement un chat de compagnie, explique ainsi une cliente en visite chez Sarah, tout en jouant avec le chaton qu’elle pourra bientôt accueillir chez elle. Il n’a pas besoin de sortir explorer ou chasser dans la nature, il est dans son élément à l’intérieur, même si ce n’est pas non plus une poupée… »

Expositions et concours de beauté

C’est en 2012, lors d’une exposition féline, que Sarah a découvert le Maine Coon, après trois années passionnantes avec ses Sacrés de Birmanie (répartis dans la famille). Elle acquiert alors une première femelle. « Au début, c’était mon mari qui voulait ce chat, mais finalement j’ai été complètement séduite par cette espèce et j’ai décidé de faire évoluer mon élevage. » Elle commence à se documenter sur les spécificités de ce chat originaire des États-Unis, aux dimensions impressionnantes et pouvant peser jusqu’à 14 kilos… Elle réalise très vite qu’elle ne peut pas gérer de front les deux espèces. « Il y a des caractéristiques génétiques qu’il faut bien maîtriser pour organiser les mariages », explique-t-elle. Elle fait donc le choix de se séparer de ses Sacrés de Birmanie, part en quête d’un mâle reproducteur repéré en Allemagne qui deviendra très vite le “champion” de son élevage.

Car, pour mieux faire connaître son élevage, la jeune femme s’est engagée rapidement dans les expositions et concours de beauté. « Les chats y obtiennent des certificats d’aptitude et, au bout de trois, ils peuvent être déclarés champion, puis double champion, etc. » Des récompenses qui témoignent d’un engagement et d’une attention de tous les instants auprès de ses animaux, et un véritable gage de sérieux pour son élevage. Aujourd’hui, Sarah dispose de huit femelles et deux mâles ; 19 chatons occupent également la maison en attente de sevrage et de familles d’accueil.

Pause “chats” pendant la tournée

Pour parfaire son organisation, Sarah s’est installée en libéral en mars dernier, optant pour la collaboration dans un cabinet préexistant à Saint-Gobain, tout près de son domicile. « C’était mon objectif depuis toujours. » Non qu’elle n’ait pas apprécié l’expérience acquise en psychiatrie : « J’ai beaucoup appris, et cela me sert encore parfois avec des patients en libéral, qui peuvent être désorientés ou agressifs, remarque-t-elle. Mais l’exercice libéral me permet davantage de vivre ma passion. »

Chaque matin, la tournée démarre à 5 h 30. « Je rentre chez moi m’occuper des chats et m’accorder une petite pause entre midi et 15 h 30. » Sarah en profite pour renouveler les gamelles en croquettes et en eau fraîche agrémentée de quelques gouttes de vitamines. Elle change les litières, les couvertures des chatons et assure l’hygiène de la nurserie. « Puis je repars pour la tournée du soir jusqu’à 19 h 30 environ. » Un emploi du temps très minuté pour la jeune femme qui est également mère de deux enfants. « Mais je ne regrette pas d’avoir quitté l’hôpital car, même avec ce rythme intensif, je suis moins fatiguée qu’en alternant les gardes et j’arrive à voir davantage mes enfants. Et puis, lorsqu’une des chattes doit mettre bas, il peut m’arriver de repasser à la maison cinq minutes pour la “rassurer” et vérifier que les choses se passent bien. »

En revanche, sortir de cet agenda pour partir en vacances relève du défi organisationnel. « Je ne pars jamais plus de deux semaines et je ne confie la chatterie qu’à ma mère, observe Sarah. Même avec elle, quand je rentre, il y a toujours des choses qui ne sont pas faites comme je le souhaiterais et que je dois reprendre au retour. » Pour l’heure, elle quitte short et débardeur d’été afin d’enfiler une tenue plus citadine. Sa mallette est déjà prête pour la tournée du soir. Son premier patient est l’un des rares à avoir découvert sa double activité : distributeur de journaux, il est en effet tombé par hasard sur un article présentant l’élevage de Sarah dans la presse locale… « En général, les patients ne le savent pas. Le fait d’élever des chats n’a pas vraiment d’incidence sur mon activité professionnelle, donc je n’en parle pas », explique-t-elle.

À son domicile, pendant ce temps, les enfants s’amusent avec les chats. Prêts, selon leur mère, à prendre la relève de cette histoire de famille.