Violence LES AGRESSIONS ENVERS LES IDELS SONT-ELLES UNE FATALITÉ ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 316 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 316 du 01/07/2015

 

Le débat

Laure Martin  

L’exercice libéral implique un risque, celui de dispenser des soins seule, sur un territoire qui n’est pas le sien. La survenue de graves violences et agressions commises envers les infirmières libérales met en lumière ce danger et les oblige en avoir conscience pour mieux les prévenir.

Christophe Pacific

Cadre supérieur de santé et docteur en philosophie

Comment prévenir les agressions des patients à domicile envers les infirmières libérales ?

Nous avons plusieurs façons de considérer autrui. Nous pouvons le voir comme quelqu’un de sympathique et aller vers lui sans inquiétude ou bien comme quelqu’un de menaçant.

Dans ce dernier cas, on peut alors instaurer des formes de protection qui peuvent être agressives et générer de l’agressivité en retour. Quand on ne maîtrise pas l’extérieur, il est important de travailler sur soi et sur la représentation que l’on a d’autrui afin de ne pas la limiter au côté trop sympathique, ni au côté trop menaçant. Cette confiance inquiète est très professionnelle. Cette posture éthique implique de travailler sur les quatre vertus que sont le courage, la prudence, la tempérance et la justice, et de trouver la juste mesure.

Les violences sont-elles toutes comparables et s’expriment-elles toutes de la même manière ?

D’un point de vue juridique, le fou n’est pas responsable devant la loi. Mais certains patients n’ont pas de maladies dégénératives et peuvent être agressifs. Dans ces cas-là, ils vont être responsables. Il ne faut pas angéliser la rencontre entre le soignant et le soigné, ni même la diaboliser. Il existe une vulnérabilité naturelle des infirmières libérales, inhérente au métier. Elles doivent s’attendre à des agressivités et il faut savoir y répondre de façon professionnelle avec un travail en amont de la rencontre. Mais, dans la pratique, face à une menace avérée, cela ne sert à rien de s’exposer et d’être la victime. L’infirmière peut se protéger en fuyant ou en faisant appel à la police.

Le fait de se tenir sur ses gardes pour prévenir une agression ne met-il pasen danger la relation soignant-soigné ?

Chercher le consensus n’est pas dans la nature humaine. Le conflit est plus naturel. Il est donc important de cultiver cette éthique de la confiance inquiète. Cette inquiétude derrière la confiance permet de rester dans une forme de vigilance, prudent et d’être pleinement conscient de ce qui se passe ici et maintenant. Le doute reste un précieux compagnon dans les relations humaines. Je pense que cette attitude professionnalise la relation soignant-soigné car le risque est inhérent à la vie elle-même.

Arnaud Poupard

Commissaire de police chargé de mission à l’Observatoire national des violences en milieu de santé

Comment prévenir les agressions des patients à domicile envers les infirmières libérales ?

Après le drame de Pau*, en décembre 2004, il y a eu une prise de conscience qui a conduit à la signature d’accords ministériels santé-sécurité- justice, ouverts en 2011 au secteur libéral.

Leur déclinaison locale implique la signature de conventions entre les représentants des ordres, des forces de police et/ou de gendarmerie et les procureurs. Le principal objectif de ces accords consiste en l’amélioration de la sécurité des professionnels de santé et la mise à disposition de moyens. Les infirmières peuvent ainsi obtenir gratuitement des conseils de sécurité, avoir accès aux correspondants santé au sein des commissariats ou de la gendarmerie. Certains départements mettent à disposition des infirmières des boîtiers d’alertes, d’autres leur permettent d’être “sécurisées” par une voiture de patrouille. Les réponses sont locales.

Les violences sont-elles toutes comparables et s’expriment-elles toutes de la même manière ?

Il n’est pas possible de connaître précisément la nature des agressions dont sont victimes les infirmières car le premier filtre à la déclaration, ce sont les soignants eux-mêmes. Il est très important de déclarer à l’Ordre les violences subies afin que nous puissions travailler à améliorer leur sécurité. En droit, les violences commises par les patients désorientés ou sains d’esprit sont des violences volontaires, au sens pénal du terme. En revanche, s’il y a un dépôt de plainte, un expert psychiatre sera nommé pour savoir si, au moment des faits, le patient était conscient de ses actes et donc responsable. S’il est déclaré irresponsable, il ne sera pas condamné à une peine pénale.

Le fait de se tenir sur ses gardes pour prévenir une agression ne met-il pasen danger la relation soignant-soigné ?

Le paramètre sécurité doit être pris en compte par les soignants, et ils doivent être formés pour avoir le bon réflexe qui leur permette de se mettre le moins possible en danger.

Les décisions prises dans telle ou telle situation doivent devenir les plus naturelles possible. Les patients deviennent exigeants, et dans cette relation qui évolue, le paramètre sécurité doit être présent. Intégré à une démarche, il n’aura aucune influence sur la relation soignant-soigné.

* Le meurtre d’une infirmière et d’une aide-soignante en hôpital psychiatrique, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, par un schizophrène, ancien patient du centre.