Politiques locales UN CABINET EST-IL UNE ENTREPRISE COMME UNE AUTRE ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 312 du 01/03/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 312 du 01/03/2015

 

Le débat

Olivier Blanchard  

Des collectivités locales soutiennent l’installation de cabinets infirmiers sur leur territoire avec des bourses ou des loyers réduits pour les locaux. Un cabinet d’Idels peut-il vraiment recevoir ces aides comme n’importe quelle entreprise ?

Jean-Yves Garnier Infirmier libéral dans le Calvados, trésorier de l’Ordre national des infirmiers

Qu’est-ce qui justifie l’aide d’une ville ou d’une collectivité locale à un cabinet paramédical ?

Rien ne justifie l’aide d’une municipalité à un infirmier puisque les déserts infirmiers n’existent pratiquement pas ! Ce n’est pas parce qu’une commune n’a pas “son” cabinet infirmier qu’aucun infirmier n’y intervient ! Même s’il faut reconnaître que les zonages, basés sur une valeur numérique de population sans prendre en compte les besoins réels, ont produit des zones sans infirmiers. Ce sont en fait des zones où les besoins sont souvent très faibles. J’ai connu le cas d’une infirmière installée dans une zone sous-dotée… où il n’y a pas de travail du tout ! Soutenir des cabinets relèvent donc surtout de l’effet d’annonce, pour que le maire puisse dire « j’ai installé des infirmiers sur ma commune ».

Aider un cabinet en particulier peut-il fausser la concurrence et entacher l’égalité de traitement ?

Complètement ! Il n’y aucune raison pour une mairie d’aider un cabinet plutôt qu’un autre.

Et le problème se pose aussi dans l’effet d’annonce que cela suppose. Le maire coupe le ruban devant la presse et tout à coup on parle de ce cabinet-là dans les médias, alors que des infirmiers qui sont sur la commune depuis des années n’ont parfois pas cet éclairage. Cela crée des dérives et nous avons déjà alerté plusieurs mairies à ce sujet. Par contre, je tiens à rappeler que le simple fait d’installer dans le même local un infirmier avec un autre professionnel de santé (par exemple, dans les maisons médicales) ne constitue pas en soi un acte de compérage. Il n’y a compérage que s’il y a un détournement exclusif de la patientèle d’un professionnel vers l’autre… Et surtout si on peut le prouver par des faits concrets ou des témoignages écrits. Nous sommes une entité juridique, nous avons donc besoin de preuves impartiales pour agir.

Un cabinet paramédical est-il une entreprise comme une autre, peut-il ainsi participer aux mêmes concours et appels à projets ?

Tous les infirmiers ont droit aux aides conventionnelles pour s’installer. À titre personnel, chaque infirmier a aussi des droits qu’il peut faire valoir, comme tout citoyen. Cependant, l’activité d’infirmier est une activité non commerciale et les règles sur la non-publicité en particulier sont très claires, alors chacun doit prendre ses responsabilités.

Isabelle Maincion Maire de La Ville-Aux-Clercs (Loir-et-Cher), conseillère régionale, co-présidente du groupe de travail sur la santé à l’Association des maires de France

Qu’est-ce qui justifie l’aide d’une ville ou d’une collectivité locale à un cabinet paramédical ?

D’abord, ce n’est pas si courant, sauf dans le cas des zones sensibles… En ce moment, le manque d’infirmiers est moins important qu’il y a quelques années, mais les outils de financement que nous utilisons aujourd’hui ont été mis en place pendant cette période de pénurie et ils restent valables. Il y aura donc de toute façon un rééquilibrage dans les années à venir. Mais, pour ma part, je vais aider les infirmières de ma ville à acheter leur local. Pendant des années, elles n’avaient pas de remplaçante, et elles sont quand même restées. Je trouve normal de les aider.

Aider un cabinet en particulier peut-il fausser la concurrence et entacher l’égalité de traitement ?

Bien sûr, mais les maires soutiennent les projets de personnes qui sont déjà sur la commune et, pour faire vivre un cabinet, c’est la valeur du professionnel qui compte, pas la publicité. Je comprends que ça puisse paraître inégalitaire, mais il nous faut offrir tout le panel des soins et des services aux habitants. Or nous n’avons que des avantages financiers à proposer. Les maires ne veulent pas créer une concurrence artificielle, mais quand ils ont des paramédicaux sur leur territoire, pourquoi risquer de tout perdre ?

Le dialogue est donc plus que jamais très important, il faut que les infirmiers s’intéressent aux projets dans leurs secteurs de tournée et n’hésitent pas à en parler avec les maires…

Un cabinet paramédical est-il une entreprise comme une autre, peut-il ainsi participer aux mêmes concours et appels à projets ?

L’activité médicale a une incidence sur l’activité économique parce que ça draine de la population sur le territoire et donc ça le fait vivre. Ce n’est pas “que” ça, il y a aussi des missions de santé publique, mais ce n’est pas injurieux de le dire. Un cabinet infirmier est une plus-value pour un territoire, or les maires sont là pour préparer l’avenir ! Il faut comprendre aussi les divers niveaux de collectivités, aux compétences, objectifs et moyens différents (l’intercommunalité peut aider au nom de l’intérêt économique d’un projet, le département pour son intérêt social, etc.). Chaque aide répond à un besoin précis et les infirmiers doivent dialoguer avec nous pour connaître les besoins du territoire.