QUELS OBSTACLES À LA GÉNÉRALISATION DU TIERS-PAYANT ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015

 

Loi de santé

Le débat

OLIVIER BLANCHARD  

Généraliser le tiers payant chez les professionnels de santé en 2017 est la mesure phare du projet de loi de santé. Cette décision de dispenser le patient d’avancer la part d’honoraires prise en charge par l’Assurance maladie voire par les organismes complémentaires(1) est contestée par les médecins.

Florence Ambrosino Idel à Marseille (Bouches-du-Rhône), copilote du Réseau des pratiques avancées en soins infirmiers (Repasi)

Une telle généralisation du tiers payant serait-elle possible en pratique pour les Idels ?

Elle est de toute façon déjà actée pour la plupart des soins infirmiers longs et habituels. Dans ce cas, demander un réglement au patient semble inenvisageable car ce sont des montants assez importants pour un particulier. Pour ces soins, nous passons des contrats avec les mutuelles, mais pour des soins courts, c’est beaucoup plus difficile, parce que les conventionnements demandent du temps… Ou parce que les gens n’ont pas de justificatif Sécurité sociale ou mutuelle ! Aujourd’hui, on fait donc au cas par cas, on fait souvent des avances en attendant que les gens soient remboursés, mais la généralisation me semble très compliquée.

Un soin “gratuit” a-t-il la même valeur pour le patient qu’un soin pour lequel il paie ?

Dans chaque soin, il y a un “contrat tacite” entre le soignant et le soigné autour de l’observance et du respect mutuel. Le paiement formalise l’engagement de chaque partie. Je crains que le positionnement du patient change face au soignant et que l’on soit moins respectées puisque nos soins “ne valent rien”. Pire, que les patients considèrent que les soins gratuits sont “un dû”, sans aucun respect pour notre travail. Le seul aspect positif, c’est que des gens qui ne vont pas chez le médecin parce qu’ils n’ont pas de quoi payer consulteront plus facilement. Mais de quelle frange de la population parle-t-on ? Et quel soignant ne soignerait pas quelqu’un qui ne peut pas payer ? On pense aussi que cela va désengorger les hôpitaux car les gens qui ne veulent pas payer iront chez leur généraliste, mais ils vont à l’hôpital aussi parce qu’ils ont tout sur place (laboratoire, radio, etc.).

Comment faire pour les patients qui n’ont pas de mutuelle (ou de preuve d’affiliation à présenter) et qui ne peuvent pas avancer les frais ?

Le cœur du problème actuellement, c’est bien la frange de la population qui n’a pas droit au RSA ni les moyens de se payer une mutuelle. Or, pour eux, cette loi ne réglera rien. Alors oui, les impayés vont encore plus augmenter pour les soignants, parce qu’on ne peut pas courir des mois après quinze euros… et on s’assoira dessus comme on le fait déjà. Pour moi, les vrais enjeux de santé aujourd’hui, ce sont la prévention et l’éducation à la santé… pas le tiers payant !

Étienne Caniard Président de la Mutualité française, qui fédère la quasi-totalité des mutuelles santé (pour 38 millions de Français)

Une telle généralisation du tiers payant serait-elle possible en pratique pour les Idels ?

50 % des actes [des Idels] se font déjà en tiers payant et près de 100 000 professionnels de santé y ont déjà recours. Nous sommes conscients du fait que, pour généraliser, il faut alléger au maximum les contraintes administratives sur l’ensemble des actes avec bien sûr une garantie de paiement. Le système doit être suffisamment simple pour que la vérification des droits n’incombe pas aux professionnels de santé. Nous travaillons avec toutes les familles de complémentaires pour proposer des solutions comme le projet Sésam-Vitale(2) qui permet aux professionnels de santé de s’enregistrer en ligne auprès de 95 % des mutuelles françaises. C’est un engagement ferme de notre part.

Un soin “gratuit” a-t-il la même valeur pour les patients qu’un soin pour lequel il paie ?

Il est absurde de parler de soins “gratuits” ou de soins “dévalorisés” à cause du tiers payant. Un exemple : l’absence d’avance de frais à l’hôpital conduit-elle à une “dévalorisation” des professionnels hospitaliers ? Le tiers payant n’est rien d’autre qu’un moyen moderne de paiement, pour lutter contre certains renoncements aux soins. Il apporte par ailleurs des garanties aux professionnels, comme la sécurisation du paiement. Le débat autour du tiers payant fait renaître la question de la “responsabilisation”. C’est un point essentiel, mais qui n’a rien à voir avec les remboursements ou les avances de frais. Les obstacles financiers ne pénalisent que les plus défavorisés, ils n’ont jamais été un outil de responsabilisation.

Comment faire pour les patients qui n’ont pas de mutuelle (ou de preuve d’affiliation à présenter) et qui ne peuvent pas avancer les frais ?

Des dispositifs tels que la CMU ou l’ACS(3) permettent l’accès à des soins de qualité. Mais ces outils sont assez méconnus puisque seul un tiers des potentiels bénéficiaires de l’ACS l’utilise. L’enjeu pour nous est donc l’exercice effectif des droits. Il faut se placer dans l’optique de la généralisation de la complémentaire santé. Aujourd’hui, déjà 95 % de la population en bénéficie, et la CMU et l’ACS sont des outils qui limitent le nombre de patients sans mutuelle.

(1) « Lorsqu’un mécanisme de tiers payant est mis en place par ces organismes. »

(2) La Mutualité française s’engage dans ce programme (www.mutualite.fr/sesam-vitale).

(3) Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, adopté le 1er décembre, étend le tiers payant intégral, dès juillet 2015, aux bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), comme c’est déjà le cas en particulier pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).