« On n’a pas le droit de traiter les gens comme ça ! » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 309 du 01/12/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 309 du 01/12/2014

 

SOLIDARITÉ

Actualité

GÉRALDINE LANGLOIS  

TEMOIGNAGE > Après avoir bravé tous les dangers depuis l’Érythrée, l’Afghanistan ou la Syrie, les migrants “s’entassent” à Calais ou vivent, plus dispersés, dans l’arrière-pays. À Angres, dans le Pas-de-Calais, une infirmière libérale révoltée s’est engagée à leurs côtés.

Le nombre de migrants qui espèrent traverser la Manche, dernière étape de leur voyage, ne cesse d’augmenter aux portes de l’eldorado britannique. Ils n’ont rien et leurs campements de bouts de ficelle sont régulièrement détruits. Ici ou là, des infirmières, libérales notamment, s’engagent.

À une centaine de kilomètres de la côte d’Opale, à Angres, les Vietnamiens se succèdent, dans des conditions très précaires. Annick Sabatier, infirmière libérale, leur apporte son aide au sein du collectif Fraternité migrants Bassin minier 62. Elle a commencé à se rendre sur leur campement deux à trois fois par semaine à l’été 2009. « Un jour, raconte-t-elle, la police est venue et a démantelé le camp, au bulldozer. Plus de 80 personnes y vivaient. Tous se sont sauvés, sans rien. On a fini par les retrouver dans un bois, dans les trous faits par les bombardements de la guerre 1914-1918, tremblants de peur, de froid, de faim. Comme des animaux. » C’est le déclic politique. « Je me suis dit “Ça suffit !” Je ne vais pas rentrer chez moi comme si de rien n’était.” Et je me suis engagée de façon quotidienne », poursuit-elle. Son credo : « On n’a pas le droit de traiter des gens comme ça. Ils ont des raisons d’être là. On n’abandonne pas sa famille et son pays quand on est bien chez soi. » Et d’évoquer les difficultés politiques, la misère économique et sociale, les confrontations religieuses….

Les migrants ont passé l’hiver dans les bois… Puis la mairie a mis à leur disposition une friche, où ils ont squatté une maison. « C’était en mai 2010, se souvient Annick Sabatier. Ils y sont encore. » Enfin, ce ne sont pas les mêmes : leur nombre varie en fonction des départs et des arrivées d’une dizaine à une trentaine… « Ils sont de passage… Ils parlent très peu anglais et se mêlent peu aux autres communautés », souligne l’infirmière. Alors elle a appris à nommer le foie, l’estomac ou à dire “bonjour” en vietnamien.

En garde à vue

Annick Sabatier se rend au campement presque tous les jours : « Il y a toujours un bobo à soigner », des petites plaies, surtout. « Quand ils ont besoin d’un médecin, j’appelle ou je les emmène à l’hôpital », poursuit-elle. Avec d’autres bénévoles, elle veille à ce que les draps soient changés, que les chambres soient lavées, que l’accès à l’eau soit maintenu, que les toilettes de fortune fonctionnent…

Les soucis qu’elle a eus avec la police ne l’ont pas découragée. C’était en 2011, après avoir accepté de recevoir des documents officiels pour un migrant qui voulait rentrer au Vietnam. Soupçonnée de tremper dans un trafic de papiers, elle a vu débarquer chez elle la police. Près de 36 heures de garde à vue plus tard, aucune preuve n’est retenue contre elle, mais ces événements ont attisé sa colère. Et pas affaibli son engagement. « On m’a dit de ne pas retourner sur le terrain mais je fais ce que je veux ! » Quand leur eau est gelée, quelques-uns se douchent chez elle. « Ils ont besoin de tout et surtout de ne pas être invisibles. »