Les antivitamines K - L'Infirmière Libérale Magazine n° 308 du 01/11/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 308 du 01/11/2014

 

Cahier de formation

Le point sur

Dr Lofti Boudali*   Marie Fuks**  

Les antivitamines K (AVK) sont la première cause d’hospitalisation et de décès liés à un médicament. La prévention constitue un enjeu majeur de la prise en charge infirmière.

Comment agissent les AVK ?

Généralités

Les AVK sont des anticoagulants oraux indirects dont l’action consiste à inhiber le métabolisme normal de la vitamine K (VK), nécessaire à la synthèse hépatique des facteurs de la coagulation. Ils ne ciblent pas directement un facteur de la coagulation mais agissent dessus de manière indirecte par le biais de la VK, d’où leur délai d’action (deux à quatre jours) lorsqu’on initie le traitement.

Risques associés

Leur prescription est associée à trois risques :

→ l’accident hémorragique en cas d’excès,

→ la thrombose en cas de sous-dosage,

→ les interactions médicamenteuses.

Deux types d’AVK

Le prescripteur doit rechercher le médicament qui permet de mieux équilibrer et stabiliser l’INR (International Normalized Ratio) du patient dans le temps :

→ les AVK à demi-vie courte et intermédiaire (huit à onze heures) : acénocoumarol (Sintrom, Minisintrom) ;

→ les AVK à demi-vie longue (31 à 45 heures) : warfarine (Coumadine), fluindione (Previscan).

Indications

Cardiopathies emboligènes

Prévention des complications thrombo- emboliques en rapport avec :

→ certains troubles du rythme auriculaire (fibrillations auriculaires…),

→ certaines valvulopathies mitrales, anomalie ou prothèse des valves cardiaques.

En relais de l’héparine

→ Traitement des thromboses veineuses profondes et de l’embolie pulmonaire ; prévention de leurs récidives.

→ Prévention des complications thrombo-emboliques des infarctus du myocarde compliqués.

Modalités de prescription et de suivi du traitement AVK

→ Posologie : elle doit être adaptée individuellement d’après une valeur cible de l’INR fixée par le médecin en fonction de la maladie traitée et du contexte propre au patient.

→ INR : il mesure le temps de coagulation d’un patient comparé à celui d’un pool de témoins ne recevant pas de traitement anticoagulant. Ce dosage étant réalisé dans des conditions qui peuvent varier (en fonction de l’appareil et du réactif de mesure notamment), il est recommandé de s’adresser toujours au même laboratoire. Sauf pour certaines indications*, l’INR cible des patients sous AVK est compris entre 2 et 3. En début de traitement, l’ajustement de la posologie (par un quart de médicament en plus ou en moins) nécessite des contrôles fréquents de l’INR jusqu’à l’obtention de l’INR cible. Un contrôle régulier est réalisé au moins une fois par mois. Il donne lieu à un prélèvement qui n’existe plus avec les nouveaux anticoagulants oraux directs (lire l’encadré) et présente l’avantage de maintenir un contact préventif et éducatif régulier.

→ Prise du médicament : les AVK doivent être pris à heure fixe, dans les mêmes conditions d’administration, de préférence le soir pour faciliter l’adaptation du traitement le jour même du contrôle INR après avis du médecin.

Consignes de prélèvement

Les Idels doivent :

→ préciser la date et l’heure du prélèvement sanguin (de préférence le matin pour permettre la transmission des résultats au médecin et l’ajustement du traitement le soir si besoin),

→ respecter le délai de transmission au laboratoire (inférieur à deux heures) et les conditions de conservation (entre 18 et 22 °C),

→ utiliser de préférence le deuxième tube pour l’INR en cas de prélèvements multiples,

→ préciser sur la fiche de transmission le nom de l’AVK, le dosage et la posologie exacte ; l’indication dans laquelle l’AVK a été prescrit ; le traitement associé en cours et les modifications récentes ; les maladies intercurrentes.

Rôle éducatif de l’Idel

Il consiste à rappeler certains messages.

→ Les signes d’alerte évocateurs d’un surdosage : épistaxis, hématomes, hémorragie conjonctivales, sang dans les selles ou les urines, gingivorragies, règles anormalement abondantes, vomissements sanglants, saignement incontrôlable d’une plaie, rectorragies. Consulter en urgence.

À noter : fatigue, pâleur, dyspnée, céphalées persistantes, malaise inexpliqué peuvent être le signe d’un saignement interne chez un patient sous AVK. Appeler le 15.

→ La gestion des oublis : prendre la dose oubliée dans un délai de huit heures après l’heure habituelle de prise du médicament. Au-delà, prendre la prochaine dose normalement et faire un contrôle INR. Ne jamais doubler la dose pour compenser l’oubli. Noter l’oubli dans le carnet de suivi.

→ La prise de médicaments : de nombreux médicaments parmi les plus courants (aspirine, antibiotiques…) et de nombreuses situations parmi les plus banales (douleur, mal de gorge, vomissement, fièvre…) modifient l’action des AVK en l’augmentant ou la diminuant. Toute dégradation de l’état de santé doit faire l’objet d’un avis médical et le patient ne doit jamais arrêter son traitement de manière intempestive.

→ Certains soins : un patient soigné par un geste invasif doit signaler la prise d’AVK au soignant pour prendre les dispositions préventives. Les infiltrations et intramusculaires sont déconseillées (risque de saignement).

→ La vie quotidienne :

– activités : adapter les activités professionnelles et de loisirs si celles-ci sont à risque de chute ou de blessure en tenant compte des besoins et contraintes exprimés par le patient ;

– alimentation : certains aliments (choux, tomates, laitues, épinards…) riches en VK peuvent déstabiliser un traitement par AVK. Il faut répartir, de façon homogène et régulière, en évitant les excès, les aliments riches en VK que le patient a coutume de consommer.

→ Autres conseils au patient :

– toujours avoir sur soi une carte mentionnant la prise d’AVK ou un autocollant sur le pare-brise ou dans le casque (s’il a un deux-roues) pour alerter les secours en cas d’accident ;

– consigner les résultats INR, les adaptations de posologie, les recommandations alimentaires, les événements particuliers, etc., dans le carnet de suivi (disponible chez le médecin généraliste, en pharmacie, ou laboratoire) ;

– acheter un pilulier semainier, le placer à un endroit stratégique.

*En cas de prothèse valvulaire mécanique ou d’embolies systémiques récidivantes, l’INR cible peut être compris entre 3 et 4,5. Dans tous les cas, un INR supérieur à 5 est associé à un risque hémorragique majeur.

AOD versus AVK

Les AVK sont aujourd’hui concurrencés par les anticoagulants oraux directs (AOD) qui, contrairement aux AVK, agissent directement sur tel ou tel facteur de coagulation(1) et ne nécessitent généralement pas de surveillance biologique de routine. Ils ont pour principale indication la prévention d’accidents vasculaires cérébraux et d’accidents thromboemboliques chez des patients atteints de fibrillation auriculaire non valvulaire. à la suite de l’engouement suscité par ces nouveaux anticoagulants oraux, l’ANSM précise que les AOD ont une efficacité et un profil de sécurité comparables aux AVK. De son côté, la Haute Autorité de santé considère qu’ils n’améliorent pas le service médical rendu (SMR) par rapport aux AVK. Dans un point d’information d’août 2013(2), elle a rappelé que les anticoagulants de référence sont les AVK, qu’il n’y a pas lieu (sauf force majeure, capital veineux endommagé par exemple) de modifier le traitement d’un patient bien équilibré sous AVK au profit d’un AOD, et qu’en première intention les AOD constituent une alternative qui rentre dans la recherche par le praticien du traitement le mieux adapté au patient. Les AOD, qui représentent 30 % des prescriptions d’anticoagulants oraux contre 70 % pour les AVK, continuent, conformément à un récent rapport de l’ANSM(3), de faire l’objet d’une surveillance renforcée (lire aussi nos numéros de juin et de septembre, respectivement p. 18 et 17).

(1) Le Dabigatran (Pradaxa) est un inhibiteur direct de la thrombine, tandis que le Rivaroxaban (Xarelto) et l’Apixaban (Eliquis) sont des inhibiteurs directs du facteur X activé.

(2) HAS, point d’information, 1er août 2013.

(3) Les anticoagulants en France en 2014, avril 2014.