Mieux repérer un comportement à risque - L'Infirmière Libérale Magazine n° 307 du 01/10/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 307 du 01/10/2014

 

Cahier de formation

Savoir faire

Pour les Idels, le contexte de la rencontre avec les personnes en difficulté avec l’alcool diffère de l’environnement hospitalier, où la prise en charge du malade alcoolique est identifiée comme telle. Dans bien des cas, elle s’avère plus complexe à gérer.

Vous intervenez chez monsieur M. pour des prélèvements et constatez à chaque visite la présence de nombreuses bouteilles vides que sa mère s’empresse de faire disparaître à votre arrivée en s’excusant du désordre laissé par son fils.

Devant le désarroi visible de cette mère impuissante face à l’alcoolisation répétée de son fils, vous saisissez l’occasion pour aborder la question de manière générale et donnez quelques informations pour l’aider à établir le contact avec son fils sur ce sujet.

ABORDER LE SUJET

Les patients souffrant d’un problème avec l’alcool mettent en moyenne entre dix et vingt ans avant de s’engager dans une démarche de soins propre à leur dépendance alcoolique. Ce délai peut laisser le temps aux Idels de repérer des usages à risque, voire de constater des alcoolisations lors de leur intervention à domicile. « Pour autant, il est très délicat d’aborder la question d’emblée car les patients peuvent le vivre comme une intrusion. La prise d'alcool est souvent une recherche d'appui, une recherche d'apaisement au niveau corporel, psychique, une forme de soutien dans un contexte donné. Il en résulte une réaction de déni. Ceci bloque le dialogue et peut induire un sentiment de découragement et de frustration pour les soignants, indique Marie-Pierre Jumel, psychothérapeute. On pourra s’appuyer sur le fait que les personnes qui “s’alcoolisent” régulièrement utilisent ce produit pour “se sentir mieux”. Elles ignorent le plus souvent que ceci aggravera leur état dépressif. » Pour rentrer en relation avec la personne alcoolique, la thérapeute suggère en premier lieu de ne pas parler d’alcool et encore moins de « problème d’alcool » mais de partager, d’évoquer son inquiétude en lui montrant de l’intérêt et en se centrant sur la personne (« si je vous en parle, c’est que je suis attentive à vous »), et en ayant toujours en ligne de mire que le patient doit sortir la tête haute de ce temps de partage avec le soignant.

COMPOSER AVEC LE DÉNI

Le déni est une réaction protectrice assez récurrente chez les malades alcooliques. D’une manière générale, ceux-ci assurent ne pas avoir de « problème d’alcool », comme s’ils avaient le sentiment que cela ne se voit pas. Or cela peut se voir ou se pressentir. Ce peut être une manière de montrer “à l’autre” un mal-être, une souffrance. Dans cette situation, le soignant peut dire « j’ai l’impression que vous allez moins bien en ce moment, que vous avez maigri (ou grossi), que vous n’avez pas l’esprit disponible… », pour ouvrir le dialogue et pouvoir aborder la question du produit dans un second temps. Ce pas franchi, il poursuivra : « J’ai l’impression que vous avez pris un peu d’alcool aujourd’hui, peut-être que je me trompe, mais en tout cas je ne vous trouve pas comme d’habitude. » Même si le patient nie dans un premier temps, l’image vraie et bienveillante que lui renvoie le soignant finira par le faire réagir, l’aidera à s’exprimer sur ce qu’il vit et à cheminer vers une démarche de changement qui peut être longue et qui réclame constance et persévérance. Une autre stratégie, lorsque c’est possible, consiste à aborder la question par le biais du bilan sanguin : « Votre foie ne fonctionne pas bien, est-ce qu’il y a quelque chose qui explique ça, est-ce que vous prenez des médicaments, avez-vous fait des excès ? » Si cette stratégie permet d’amorcer la discussion, ou même si le patient aborde lui-même le sujet de l’alcool, il aura franchi un pas important et sera désormais plus à l’écoute des conseils et propositions du soignant. Autrement dit, il est toujours utile de s’exprimer avec authenticité et d’informer les patients sur les risques d’un tel type d’usage, sans brusquer les choses et en ayant bien à l’esprit qu’il faut faire à son rythme, même si cela ne répond pas à l’idéal de la famille, de l’entourage et des soignants.

À noter : en cas de maladie psychiatrique (lire le point de vue ci-contre), le déni est plus complexe encore à gérer. Comme le confirment des addictologues, il faut d’abord traiter la maladie psychiatrique avant de prendre en charge l’addiction. En effet, tant que le trouble psychiatrique n’est pas stabilisé, il peut favoriser la consommation d’alcool qui décompense encore plus la pathologie psychiatrique et rend particulièrement complexe l’élaboration d’un travail constructif avec le patient.

DONNER DES REPÈRES

Reconnaître l’état de mal-être et l’usage du “remontant” permet d’établir le dialogue et de proposer au patient, plutôt que de s’appuyer sur un produit qui aggrave le problème de fond, de chercher appui sur une personne capable de l’aider. À la faveur de cet échange, le soignant peut évoquer des repères d’équivalences de consommation (voir schéma p. 36 dans la partie Savoir) ou les indicateurs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui permettent de fixer des limites d’usage acceptables pour la santé. Il peut également évoquer certaines idées reçues qui servent souvent de prétexte (l’alcool stimule l’activité du cerveau – faux, il la ralentit –, l’alcool désaltère – faux, il déshydrate et donne soif), ou peuvent encourager à réduire la consommation (l’alcool fait grossir – vrai). Si le plaisir de boire est évoqué, il est possible de prendre le contrepied en décrivant les effets éventuels liés au déplaisir (gueule de bois, vomissement, incapacité à se concentrer, maux d’estomac…).

Point de vue

L’alcool associé à un trouble psychiatrique

Martine (prénom modifié), Idel exerçant en Alsace

« Nous suivons plusieurs patients en grande difficulté avec l’alcool pour réaliser des injections de vitaminothérapie en suivi de sevrage ou pour administrer des traitements psychiatriques sachant que, dans ce contexte, la maladie alcoolique n’est généralement pas prise en charge. Avec ces patients, la relation est réduite à sa plus simple expression car il n’est pas rare qu’ils soient ivres lorsqu’on arrive. Dans le cas contraire, il est exclu d’aborder le sujet “alcool” car ils sont dans le déni total. Impossible d’établir le dialogue, ni de les aider évidemment. Sans compter les fois où l’on se retrouve devant une porte close : impossible d’administrer le traitement. Cela m’est arrivé récemment, trois jours de suite chez un patient suivi pour son traitement psychiatrique et qui, malgré plusieurs cures de sevrage, “s’alcoolisait” régulièrement jusqu’à l’ivresse. Ayant alerté le médecin, celui-ci m’informe que le patient a été découvert inanimé par un ami et qu’il a été hospitalisé. J’appelle les urgences afin de partager mes informations sur sa situation et suggérer qu’il soit hospitalisé quelques jours afin qu’une prise en charge spécifique à sa dépendance alcoolique soit envisagée eu égard aux précédents échecs des sevrages. Le soir même, l’hôpital me rappelle pour me dire que le patient rentre chez lui et que je dois passer le voir dans la soirée. Je n’ai pas été écoutée. C’est aussi cela, la solitude de l’exercice libéral. »