Surveiller - L'Infirmière Libérale Magazine n° 304 du 01/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 304 du 01/06/2014

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous vous occupez du pilulier de Madame G., 76 ans, sous antidépresseur sérotoninergique depuis deux semaines. Après quelques interactions, vous vous apercevez qu’elle n’a pas son comportement habituel. Vous êtes obligée de lui répéter plusieurs fois la même question, son discours apparaît décousu, elle ne sait plus la date, qui vous êtes ni ce que vous venez faire chez elle.

Vous alertez tout de suite le généraliste pour le prévenir de cet état confusionnel aigu. Il se peut que ce dernier soit la résultante d’une hyponatrémie imputable à l’antidépresseur. Le diagnostic sera d’ailleurs confirmé par un ionogramme sanguin.

EFFETS SECONDAIRES DES ANTIDEPRESSEURS

En cas de prescription d’un antidépresseur, il convient d’en surveiller les effets secondaires, dont les plus fréquents sont la prise de poids, en raison des modifications de l’appétit ou de la satiété qu’il induit ; la somnolence, qui disparaît généralement à l’arrêt de la dépression ; la baisse de la libido, du plaisir et le retard de l’éjaculation, qui peuvent être imputés au traitement (mais il est fréquent également que le traitement de la dépression améliore l’activité sexuelle) ; la constipation, indépendante du traitement mais que ce dernier aggrave ; la sécheresse buccale, qui peut être limitée par l’utilisation d’un correcteur de l’hyposialie ou soulagée par l’ingestion régulière de petites quantités d’eau ; les effets de l’hypotension orthostatique, beaucoup plus fréquente que l’hypertension, qui peuvent être limités grâce à un lever en deux temps ; les troubles de l’accommodation (flou visuel), qui disparaissent souvent en cours de traitement ; un syndrome de distanciation, se traduisant par l’impression de ne plus être en contact avec le réel, qui peut être observé lors de la prise de traitement (1). Des effets secondaires psychiatriques et neurologiques peuvent être induits ou majorés par les traitements chez les personnes âgées. Le Dr Pellerin cite par exemple les antidépresseurs sérotoninergiques qui peuvent induire une hyponatrémie à l’origine d’un état confusionnel, les neuroleptiques qui sont fréquemment à l’origine de ralentissements psychiques ou de troubles dépressifs et les antiparkinsoniens susceptibles d’induire des manifestations dépressives lorsqu’ils sont sous-dosés ou que leurs effets s’épuisent. Un changement dans la prescription d’antidépresseurs constitue un autre moment-clé dans la prise en charge infirmière. Il faut veiller, par exemple, à ce que le patient ne continue pas à prendre son ancien traitement, en plus du nouveau.

OBSERVANCE DU TRAITEMENT

Si les effets indésirables sont un frein à l’observance, il faut inciter le patient à consulter son médecin. Il est nécessaire de travailler l’adhésion au traitement en aidant le patient à exprimer ses réticences et ses craintes, en repérant les idées reçues (du type « les antidépresseurs, ça rend dépendant, ça fait perdre la virilité… ») et en privilégiant l’information ainsi que le soutien moral.

Il est également indispensable de “travailler” avec les familles en les écoutant, en leur donnant des informations quant à la dépression (2).

(1) Comme le souligne le Dr Philippe Nuss, praticien hospitalier, psychiatre (hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris,).

(2) Selon Didier Morisot, infirmier.

Comment faire la part des choses entre une dépression et une autre pathologie ?

Selon le Dr Jacques Pellerin, il est fondamental de ne pas négliger les affections somatiques concomitantes à une dépression dans la mesure où elles peuvent influer sur sa résolution.

→ Une patiente qui rentre chez elle après une fracture du col du fémur et un séjour en rééducation présente des signes d’allure dépressive. Certes, l’empathie de l’Idel et les efforts du kinésithérapeute l’aideront, mais le traitement d’une insuffisance cardiaque négligée qui expliquait son essoufflement et son manque d’enthousiasme aux exercices contribuera nettement à son réinvestissement dans les soins et à la disparition de l’humeur triste attribuée, à tort, à la dépression.

→ La dépression survenant dans les suites d’un accident vasculaire cérébral est quasi inéluctable et difficile à soigner. Pour certains, le déficit physique, qui se complique parfois de dystonies douloureuses, est un véritable poignardage narcissique qui s’accompagne d’un désinvestissement psychique et physique peu propice à la rééducation.

→ L’entrée dans la démence peut se faire par une dépression qui a souvent une allure mélancoliforme.

La symptomatologie peut s’amender au fur et à mesure que la démence s’installe, l’hyperesthésie à la perte qui caractérise la dépression laissant la place à une sorte d’anesthésie. Quand la démence est installée, il n’est pas rare que la dépression se manifeste par une opposition active aux soins ou activités (refus de se laver, de suivre une séance d’orthophonie…).

→ L’épisode dépressif qui survient chez un patient psychotique de longue date peut avoir des effets extrêmement délétères, il se complique souvent de manifestations somatiques (troubles digestifs, respiratoires…), voire d’une mort subite.

Dans le contexte de grande solitude dans lequel les personnes souffrant d’une psychose hallucinatoire chronique évoluent souvent, la dépression s’accompagne d’un appauvrissement du délire qui avait une fonction de soutien moral.

La réapparition du délire sous antidépresseur est paradoxalement rassurante.