La plume pour tourner la page - L'Infirmière Libérale Magazine n° 304 du 01/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 304 du 01/06/2014

 

GIRONDE (33)

Initiatives

LAURE MARTIN  

Dans l’Entre-deux-Mers, l’infirmière libérale Sandrine Biyi est victime, à un moment de sa carrière, d’un burn-out. Avec cette descente aux enfers, elle comprend qu’elle doit prendre plus de recul vis-à-vis de son métier, et se ménager des moments pour elle. Ce sera l’écriture.

Saint-Émilion, Cap Ferret, la dune du Pilat, le bassin d’Arcachon… Autant de lieux qui définissent généralement la région bordelaise. Et pourtant, ce coin de France possède d’autres trésors cachés, dans l’Entre-deux-Mers, au sud-est de Bordeaux. C’est ce territoire moins touristique que Sandrine Biyi, amoureuse de l’écriture, souhaite mettre en valeur, et qui l’a conduite à se lancer dans la rédaction de romans ayant pour trame l’histoire médiévale de la région Aquitaine. Mais comment cette infirmière libérale est-elle devenue l’auteure d’une saga de cinq tomes Après ses études en soins infirmiers effectuées en banlieue bordelaise, Sandrine Biyi décide de travailler dans une clinique de nuit en chirurgie gynéco-viscérale à Bordeaux. Elle a eu ses trois enfants entre la fin de ses études et le début de son activité professionnelle, et le travail de nuit lui correspond parfaitement pour l’organisation de sa vie familiale. En 1995, elle décide de s’installer en libérale à Lignan-de-Bordeaux, « également pour mes enfants, car, avec le libéral, j’étais plus libre pour gérer mes horaires, amener mes enfants à l’école, aller les rechercher, explique-t-elle. Et puis le libéral me plaisait bien, notamment pour la polyvalence des soins à dispenser ».

« L’administratif m’a sauvé la vie »

Mais, en 2008, à tout juste 40 ans, après plusieurs années de pratique, elle est victime d’un burn-out. « Je n’ai rien vu venir, raconte-t-elle avec une certaine crispation dans le regard. Aujourd’hui, je comprends que j’étais fatiguée et que j’avais une grande lassitude professionnelle. Je ne supportais plus les soins, ni les patients. » Le coup de grâce est porté par le suivi d’un patient en fin de vie. « Cela a été très difficile et, malgré les plateformes de soins, je me suis retrouvée seule à prendre en charge ce patient, ses soins et son entourage. Comme la majorité des infirmières libérales, j’ai dû tout gérer. » Et de remarquer : « Encore aujourd’hui, rien n’est réglé pour la prise en charge des soins palliatifs. Certes, l’hospitalisation à domicile a grillagé le territoire, mais seulement de 8 à 18 heures en milieu rural. Le reste du temps, ce sont les libérales qui se chargent des soins, de la prise en charge du patient et de son entourage. » Le patient décède mi-novembre, et là, « j’ai tout lâché ». Le 1er décembre, du jour au lendemain, elle plaque son travail. « Je m’étais trop investie, j’étais trop fatiguée et j’en ai eu ras-le-bol. Par chance, j’ai trouvé très rapidement une remplaçante. »

Une semaine plus tard, Sandrine Biyi trouve du travail dans un service de soins infirmiers à domicile comme infirmière coordonnatrice. « Je ne voulais plus voir de patients, ni faire de soins, se souvient-elle. Du coup, j’ai fait de l’administratif, et cela m’a sauvé la vie. »

« Se serrer les coudes »

Après deux ans sans dispenser de soins, elle commence à remettre un pied à l’étrier. Ses amies et consœurs l’aident à se reconstruire, elle reprend petit à petit une activité en libéral et devient collaboratrice au sein d’un cabinet infirmier à Sallebœuf. « À l’origine, ce que je voulais, c’était soigner. Mais le problème avec ce métier, c’est que l’usure peut vite arriver. Il faut vraiment être solidaire entre collègues, se serrer les coudes, se parler, s’écouter. » C’est aussi une question de sensibilité propre à chacun. Il n’a pas été facile pour Sandrine Biyi de faire comprendre ce qu’elle a vécu à ses collègues et à son entourage. « Aujourd’hui, mes collègues ont des difficultés à relativiser, alors je suis bienveillante à leur égard car elles sont plus jeunes et il faut qu’elles se préservent. »

Ce qui lui a permis de se reconstruire et de retrouver le sourire, c’est tout d’abord une nouvelle approche de l’exercice libéral. « Il faut réussir à mettre une barrière et à se protéger pour prendre du recul, souligne-t-elle. Mon métier d’infirmière me satisfait encore car je travaille avec des collègues que j’aime, je suis contente de rencontrer les patients et j’ai toujours un certain intérêt pour le soin. » À la différence près que son métier et ses patients ne représentent plus sa priorité puisqu’elle consacre une partie de son temps à l’écriture de romans. « Avec un burn-out, le ressort se casse et, sans exutoire, on ne remonte pas », prévient-elle.

La nuit lui appartient

« J’ai commencé à écrire lorsque j’ai pris en charge la fin de vie de mon patient », se souvient-elle. Par cet intermédiaire, Sandrine Biyi souhaite se changer les idées, ne plus penser uniquement aux soins. Et son objectif est de parvenir, avec son écriture, à faire davantage connaître le patrimoine de sa région en y associant sa passion pour l’histoire médiévale. « J’avais envie de broder une histoire autour d’une trame historique réelle, et de sortir l’histoire de l’Histoire. » Le point de départ est donc l’abbaye de La Sauve-Majeure, fondée en 1079, un “phare sur ce territoire”, et qui représente l’Entre-deux-Mers. Cette abbaye, aujourd’hui en grande partie en ruines, est le lieu où se déroule l’histoire du roman et certains des personnages de la saga ont réellement existé. « Je voulais écrire sur cette abbaye qui était mon terrain de jeu quand j’étais petite », révèle Sandrine Biyi, qui voue une véritable fascination pour ce vestige dont elle connaît les moindres recoins. Même si, avant l’écriture du livre, elle maîtrise assez l’histoire de l’Aquitaine, elle souhaite tout de même approfondir ses connaissances. « J’ai donc lu des thèses, assisté à des colloques, consulté le cartulaire [recueil de copies de chartes médiévales] de 800 pages de La Sauve-Majeure. » Après ses recherches qui ont pris entre six mois et un an, Sandrine Biyi se met à écrire, beaucoup, et plus encore, entre 3 et 5 heures du matin, car « la nuit m’appartient, sans patient, ni enfant, dans le calme et le silence absolu ». Et puis un jour, l’équivalent de trois romans est rédigé. Ses premiers lecteurs sont bien évidemment son entourage, dont une amie qui envoie son manuscrit à trois éditeurs sans la prévenir. Deux répondent positivement, ce qui donne lieu à un contrat avec un éditeur de la région. C’est d’ailleurs lui qui a l’idée de découper le manuscrit en plusieurs tomes pour en faire une saga et qui décide de mettre Sandrine Biyi en contact avec une conservatrice du patrimoine. « On associe mon imagination et sa logique d’historienne aguerrie. »

Deux prix littéraires

« J’avais envie d’écrire depuis très longtemps et, maintenant, quand je fais ma tournée, je pense à ce que je vais écrire. C’est mon garde-fou par rapport au métier d’infirmière. » Le premier tome de La Dame de la Sauve (lire ci-contre) est sorti en septembre 2011, et le dernier, le cinquième, au mois d’avril. Les livres ont remporté deux prix littéraires : le Prix Saint-Estèphe et le Prix Lions Club d’Aquitaine. « Je suis très contente, et mon éditeur aussi, reconnaît-elle. L’aventure se poursuit et c’est presque inespéré car, maintenant, cela dépasse largement le régional. » Sandrine Biyi ne parle jamais de son activité d’écrivain avec ses patients, car « je ne souhaite pas mélanger les deux univers ». En revanche, sa famille l’a totalement soutenue dans son projet et l’accompagne aux salons littéraires. « Heureusement, sinon, je n’aurais pas pu le faire », dit-elle. Et sa passion pour l’abbaye ne s’arrête pas à l’écriture de romans. Sandrine Biyi s’investit également dans l’association des Amis de l’abbaye de La Sauve-Majeure qui vise à promouvoir l’édifice, et dont elle est la vice-présidente. Les membres de l’association ont créé l’année dernière un jardin médiéval jouxtant l’abbaye. « Nous avons voulu reproduire un jardin comme il aurait pu l’être aux XIe et XIIe siècles, c’est-à-dire avec des plantes qui permettent de nourrir, soigner et fleurir l’hôtel de l’abbaye. » Pavot, digitale, valériane, lavande, fèves, pois, cardon, menthe, mauve, thym ou encore absinthe composent donc ce jardin. « Mes études en aromathérapie et phytothérapie ont aidé à sa construction. Il est nécessaire d’être logique et crédible vis-à-vis du public. »

Pour la première fois, les membres de l’association ont organisé une foire médiévale où ont été rassemblés tous les artisans de l’époque. Et ils ont en projet la création d’un festival de grande musique. Côté roman, Sandrine Biyi s’attaque maintenant aux Cathares. « Je suis en pleine recherche avec un professeur. En fonction de ce que je trouve, je cogite et je vais bientôt commencer l’écriture. »