Apnée du sommeil NE DOIT-ON REMBOURSER QUE LES PATIENTS OBSERVANTS ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 303 du 01/05/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 303 du 01/05/2014

 

Le débat

ANNE-LISE FAVIER  

Télémédecine ou téléflicage ? Le fait de ne rembourser la prise en charge de l’apnée du sommeil par PPC (pression positive continue) qu’à condition que le patient soit observant est une première. Censurée par le Conseil d’État, cette mesure soulève aussi des interrogations pour d’autres pathologies.

Dr Francis Martin

Pneumologue, praticien hospitalier, responsable de l’unité de pathologies du sommeil au CH de Compiègne (Oise)

Comment analysez-vous la suspension de l’arrêté(1) conditionnant le remboursement de la pression positive continue (PPC) ?

L’Assurance maladie est partie du constat que la prise en charge par PPC des patients souffrant d’apnée du sommeil subit ces dernières années une croissance à deux chiffres : on parle de 600 000 patients concernés par le traitement dans cette pathologie chronique. Avec un coût très important pour la prise en charge du diagnostic et de la PPC. Il était donc légitime pour l’Assurance maladie de s’assurer que les patients étaient observants. Grâce à la technologie, cette télésurveillance a été rendue possible. C’est une grande première de soumettre à un tel contrôle des patients souffrant de pathologie chronique. Mais il semblerait que cela ait été fait avec précipitation, d’où la suspension du texte par le Conseil d’État.

Quels sont les problèmes soulevés par cet arrêté ?

On a l’impression que l’Assurance maladie était pressée de mettre en place des contrôles et que les choses sont allées beaucoup trop vite : on n’a pas pris l’avis des patients, qui se voient ainsi imposer un système de télésurveillance. Même si la majorité d’entre eux l’accepte et le comprend, certains s’inquiètent du problème des ondes nécessaires à la télétransmission, d’autres du respect de leur vie privée. Il se trouve que des études sont actuellement en cours pour déterminer l’intérêt de cette télésurveillance : il aurait été judicieux d’attendre leurs résultats pour statuer sur la question. Cette précipitation est néanmoins préjudiciable car les patients risquent d’être désormais méfiants vis-à-vis du dispositif.

Quels aménagements du texte sont souhaitables ?

Il faut remettre les choses à plat car tout a été mélangé, les aspects économiques, médico-économiques, médicaux et l’avis des patients. Nous attendons pour le moment la décision du Conseil d’État(2) puisque c’est lui qui a suspendu le texte. Mais le débat s’ouvre aussi plus largement sur certains enjeux autour des nouvelles technologies, de la télémédecine. Le débat devra probablement passer par la voie législative.

Pr Dominique Robert

Président du Syndicat national des associations d’assistance à domicile (Snadom)

Comment analysez-vous la suspension de l’arrêté conditionnant le remboursement de la PPC ?

Le dispositif de traitement par PPC tel qu’il existe actuellement peut permettre, grâce à l’adjonction d’un modem, l’envoi quotidien des durées d’utilisation par le patient. L’idée a donc été de récupérer ces données pour voir si le patient était observant ou non. Selon l’arrêté, un patient est observant sur une période de vingt-huit jours s’il utilise le dispositif au minimum trois heures par jour pendant au moins vingt jours. Une décision discutable, puisqu’aucune donnée de la littérature n’existe pour bâtir de telles règles. Pire, un patient qui suit le traitement tous les jours mais qui l’utilise moins de trois heures pendant neuf jours est considéré par l’Assurance maladie comme non-observant, un non-sens pour les médecins. Alors, si la requête de l’Assurance maladie est tout à fait légitime, il convient tout de même de revoir l’algorithme qui conduit au remboursement.

Quels sont les problèmes soulevés par cet arrêté ?

Outre le fait que les critères d’observance sont totalement arbitraires, cette nouvelle disposition est arrivée par arrêté ministériel, ce qui introduit un vaste débat sur les pratiques de remboursement des autres maladies chroniques, diabète, bronchopneumopathie chronique obstructive, etc. Sauf que ce débat n’a pas eu lieu. De plus, le médecin a été écarté de toute décision lorsque le patient est jugé non-observant et qu’il n’est plus remboursé : c’est pourtant le seul à même de décider, en fonction de chaque cas particulier, de l’arrêt ou non du traitement.

Quels aménagements du texte sont souhaitables ?

Un nouveau débat doit avoir lieu et concerner le patient, les médecins et prendre en compte les données de la littérature. L’ensemble des partenaires doit trouver une solution médiane qui n’interdise pas la télétransmission mais qui l’autorise sous certaines conditions. J’appelle de mes vœux une négociation avec le Conseil économique des produits de santé pour l’introduction d’un nouveau texte.

(1) Arrêté du 22 octobre 2013, suspendu par le Conseil d’État le 14 février 2014.

(2) Le Conseil d’État s’est prononcé en référé, pas encore sur le fond du dossier.