Le tour du monde en 80 courses - L'Infirmière Libérale Magazine n° 302 du 01/04/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 302 du 01/04/2014

 

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Initiatives

Il y a une quinzaine d’années, Édith Vatan a débuté la course à pied pour être en forme… et n’a plus arrêté depuis ! Marathons, trails en étapes, raids urbains… À peine revenue du Kimbia Kenya Trail, elle repart ce mois-ci pour Utrecht, entre solidarité et santé.

L’eau ruisselle dans les vignes et contre les vitres de la voiture. « Aux beaux jours, les coteaux sont un bon terrain d’entraînement, très varié », commente Édith Vatan pendant sa tournée dans le Berry. Elle sillonne Verdigny, Thauvenay, Chavignol. C’est au pied du promontoire rocheux où se dresse la petite ville de Sancerre qu’est basé son cabinet infirmier. « Avec ce temps, je cours davantage par ici, le long du canal de la Loire. C’est bien pour l’endurance », poursuit-elle en se garant pour effectuer une injection chez une patiente. « J’ai commencé à pratiquer la course à pied il y a plus de quinze ans, pour rester en forme. C’était une activité bon marché qui se conciliait facilement avec mes horaires professionnels et ceux de mes enfants. Je venais de divorcer et, avec mon statut de libérale, il fallait que j’assure. » Et c’est ce qu’elle fait : elle assure !

Les premiers joggings ont depuis longtemps laissé la place à d’autres courses plus impressionnantes. Dernier exemple en date : le Kimbia Kenya Trail, à deux heures au nord-ouest de la capitale Nairobi. Du 7 au 15 février, Édith a avalé presque cent kilomètres, à raison de cinq étapes d’une vingtaine de kilomètres chacune, entrecoupées d’un jour de repos en guise de récupération. Cette escapade haute en couleurs, au cœur de la Vallée du Rift au Kenya, est également associée à un volet humanitaire, à travers le soutien à des écoles primaires situées sur le parcours.

« Je suis la cinquième fille d’une fratrie de dix enfants et, juste après moi, est né mon frère tant attendu. Du coup, c’était un peu la compétition entre nous deux : pas question qu’il grimpe plus haut que moi dans les arbres, ni qu’il court plus vite ! » Sa combativité est devenue une ressource. En 1991, confrontée au décès de son père, elle prend le chemin d’une salle de fitness, une à deux fois par semaine, et ce, jusqu’à aujourd’hui. Elle évacue. À en juger par le résultat actuel, visage tout sourire, personnalité pétillante et cinquantaine rayonnante, c’est thérapeutique. Pourtant, une ombre passe dans ses yeux : « Mon neveu à peine âgé de 20 ans est décédé dans un accident. » Encore une fois, elle transforme son chagrin en énergie et, sur sa lancée, entraîne l’une de ses sœurs durement touchée : « Il nous fallait un projet pour avancer. Nous nous sommes entraînées pour le marathon de New-York de 2002. Et nous avons franchi la ligne d’arrivée ! Réaliser ses rêves permet d’affronter bien d’autres choses dans la vie de tous les jours. »

« Une énergie positive essentielle »

Quant à savoir d’où lui vient sa vocation d’infirmière, peu importe. Rien ni personne n’a pu l’en détourner. Et, après neuf ans en clinique, à la naissance de sa fille en 1990, elle passe au libéral : « Je ne voulais plus être absente de la maison douze heures d’affilées pour, en plus, être enfermée entre quatre murs. Et puis, si, à l’hôpital, le patient se dévêt de sa vie personnelle, à domicile, c’est à nous de nous y adapter. On suit parfois la famille sur trois générations : les grands-parents, les parents et leurs enfants. J’aime ce contact. » Au bout de cinq ans de remplacements, elle rachète la patientèle de l’un des cabinets et prend rapidement une associée pour effectuer une bonne tournée le matin et une rapide le soir, ce qui lui laisse le temps de faire autre chose. Du sport notamment.

Les effets de la course, dans son cas, ont aussi un impact sur les patients : « Courir me donne une énergie positive essentielle. Je prends soin de moi pour m’occuper encore mieux des patients. Je travaille en milieu rural, 80 % sont des personnes âgées qui, pour la plupart, ne sortent plus de chez elles. Mes aventures les font rêver. Certains patients plus jeunes suivent même mes périples sur Facebook. »

Un tempérament voyageur et solidaire

Après le marathon de New-York, Édith s’offre celui de Paris en 2007 : elle franchit les 42 kilomètres en quatre heures trente. En 2012, elle découvre le trail en étapes, davantage fait pour elle : courir, voyager et visiter, le tout dans un partage convivial. Alors, puisque son fils est parti travailler à Shangaï, elle démarre par le Trail de la Grande Muraille de Chine : 5 000 marches par jour en quatre étapes de 15 à 20 kilomètres. « Je me suis entraînée dans la Tour des Fiefs, à Sancerre, haute d’environ 200 marches », s’amuse-t-elle. L’année suivante, Guadarun Raid Aventure : six îles de Guadeloupe pour autant d’étapes de 15 à 30 kilomètres. « C’était éprouvant tous ces transferts, la moiteur de la jungle aussi, soupire-t-elle. Mais c’est toujours une chance incroyable, on traverse des paysages à couper le souffle, on accède à des sites souvent inaccessibles au tourisme classique. Au Kenya, en février, j’ai couru à côté des zèbres et on aurait même juré que les girafes voulaient se joindre à nous. C’était le dosage parfait, entre tourisme, course et aspect caritatif. On a apporté du matériel scolaire dans des écoles, cuisiné avec les femmes Massaï, etc., même si cela reste un peu superficiel, à mon avis. Le véritable partage, il se vit dans l’effort, entre participants. »

Le trail, c’est aussi l’esprit solidaire, auquel Édith accorde une place de choix. « Le Kenya était très spécial pour moi. Une amie chère est décédée quelques semaines avant mon départ et je l’ai accompagnée jusqu’à la fin, confie-t-elle, encore marquée par la circonstance. Il y a deux ans, elle était déjà en traitement, et nous avons participé ensemble au raid urbain féminin intitulé Pop in the city, à Porto. » Sur une journée, il s’agit de réaliser en binôme un maximum de défis insolites sportifs et créatifs : descendre une tour de la ville en rappel, manger avec les mains une tête de porc cuite, retaper un foyer pour femmes… Alors, en souvenir de son amie, promis, Édith participera à tous les défis futurs.

Pour se préparer au Kimbia Kenya Trail, elle n’a pu parcourir aucun kilomètre en janvier. « Je suis même partie avec une sciatique. Mais je voulais retrouver les copines rencontrées sur mes deux premiers trails. Je pensais marcher. Tout compte fait, j’ai couru mes 20 kilomètres journaliers, même si j’ai terminé dernière. Sur place, la sciatique s’est volatilisée. En revanche, j’avais des chaussures trop neuves et mes deux gros orteils ont subi un traumatisme. J’ai cru que je ne finirais même pas la première étape. Coup de chance, une infirmière corse avec qui j’ai sympathisé a drainé les hématomes, le soir même. Le lendemain, elle a fait un pansement compressif, une autre m’a prêté une paire de chaussures plus grandes et deux autres encore m’ont accompagnée. Une vraie solidarité, qui m’a permis de courir sans douleur jusqu’au bout. De mon côté, le dernier jour, j’ai soutenu une jeune qui avait peur de ne pas arriver au bout des 20 kilomètres. Je lui ai transmis ma conception de la course à pied, loin de tout orgueil : ne pas forcer et se rappeler la chance qu’on a. Bref, se faire plaisir. Il faut se connaître, respecter son rythme, mais après… Tout est dans le mental. »

Sancerre, son terrain d’entraînement

Son territoire, elle ne l’oublie pas : elle prend ainsi une part active dans l’organisation du Trail de Sancerre (www.trail-de-sancerre.com). « Il se court en juin, depuis deux ans, sur 13 et 33 kilomètres. En binôme, je suis responsable des ravitaillements. Cette année, comme le trail tombe le même jour que la fête de la Musique, on va faire une version musicale, des trucs rigolos. J’aime accueillir et faire découvrir aux gens ce territoire où j’ai grandi, je le connais par cœur et, en plus, je peux imaginer ce dont ils ont besoin… » Un juste retour selon Édith. C’est avec le jeune club Sancerre Running qu’elle s’entraîne de façon hebdomadaire. Elle est toujours partante pour soutenir son club.

Fini les guerres de clochers

Direction la maison de santé de Sancerre, ouverte depuis six mois. Un vaste espace d’accueil, baigné de lumière naturelle, donne accès à un bâtiment dessiné selon un cahier des charges concocté par les professionnels eux-mêmes : cabinets et salles d’attente respectives répartis autour d’un patio central arborant un olivier symbolique ; à l’étage, petit studio pouvant accueillir un collègue temporaire… Ils sont déjà quatorze professionnels : médecins, kinésithérapeutes, psychologues, diététicienne et six infirmières de deux cabinets indépendants. « Depuis bientôt vingt-cinq ans, j’exerce en libéral, et je vais finir dans des conditions idéales : le bénéfice du domicile combiné à celui du travail en équipe ! »

Son premier ressenti est prometteur : « La proximité fait avancer les soins. Une fois par mois, nous nous retrouvons tous, pour discuter des projets, par exemple du programme d’éducation thérapeutique. Sur le même rythme, nous nous réunissons entre infirmières des deux cabinets. » Fini les coutumières guerres de clochers. À tel point que, ce mois de juin, elle embarque dans ses bagages une collègue du cabinet voisin, qu’elle a convaincue d’être son binôme au Pop in the city d’Utrecht, aux Pays-Bas. « Le lien social, c’est le sel de la vie », prêche-t-elle, disposée à convertir la planète entière.