Dépistage du cancer FAUT-IL PRIVILÉGIER LE PRÊT-À-PORTER OU LE SUR-MESURE ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 302 du 01/04/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 302 du 01/04/2014

 

Le débat

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

Le dépistage organisé, proposé de façon systématique et régulière à certaines tranches d’âge, concerne le cancer colorectal, le cancer du sein et bientôt celui du col de l’utérus. Il est privilégié par le dernier Plan cancer. Mais d’aucuns pointent ses désavantages, et plaident pour un dépistage plus individuel.

Pr Franck Chauvin

Oncologue, spécialiste de la prévention et de l’éducation en cancérologie, directeur délégué du centre Hygée

Vous êtes un farouche partisan du dispositif de dépistage organisé (DO) des cancers en France. Pourquoi ?

Sans cette sollicitation, nombre de personnes n’y participeraient pas. C’est un outil essentiel de réduction des inégalités sociales face au cancer. D’ailleurs, l’évolution du dépistage du cancer montre que l’incidence et la mortalité, notamment dans le cancer du sein, n’ont cessé de diminuer au cours des deux dernières décennies. J’entends les arguments de ceux qui sont contre : risque de sur-diagnostic, de sur-traitement…, mais aucun n’est convaincant. Que préconisent ceux qui sont contre ce type de dispositif ? L’arrêt, par exemple, des mammographies, pour attendre que le cancer se développe ! Mais qui serait d’accord pour risquer une telle stratégie ?

Selon-vous, la participation au dépistage pourrait-elle être augmentée ?

Non seulement elle peut, mais doit l’être. Il est nécessaire d’aller au-devant des personnes qui ont une réticence face au dépistage, et notamment les plus socialement défavorisées. Il faut expérimenter des formes nouvelles de sensibilisation au dépistage des cancers. Un dispositif a permis que le taux de participation du quartier d’Harlem, aux États-Unis, atteigne celui du reste de la population. En France, deux expérimentations de ce type sont en cours. Des médiateurs de santé, formés au dépistage du cancer, ciblent les bénéficiaires de la couverture maladie universelle, dont le taux global de participation au DO est inférieur à 20 %.

Quel pourrait-être le rôle des professionnels de santé de ville dans le dispositif de dépistage ?

Assurément bien plus important qu’il ne l’est. Mais ils sont sous-utilisés, voire oubliés. Cependant, différentes expériences ont été conduites avec les pharmaciens, dont la parole est très écoutée et qui ont l’avantage d’être présents sur tout le territoire. Les médecins, et surtout les généralistes, pourraient aussi être une ressource ; le seul problème, c’est qu’ils n’ont pas le temps de porter ce message. J’ai été membre de la commission Vernant(1), et nous avions recommandé la création d’une consultation spécifique pour les généralistes afin que ce travail soit valorisé. Nous n’avons pas été suivis et je le déplore. C’est vrai aussi des infirmières libérales. Mais, avec cette profession, nous nous heurtons à l’absence d’outil réglementaire pour les impliquer. Il faut continuer de travailler pour intégrer ces professionnels dans la boucle de prévention.

Martial Olivier-Koehret

Médecin libéral, président de l’association Soins coordonnés (soinscoordonnes.eu)

Pourquoi remettez-vous en cause l’efficience du dépistage organisé (DO) des cancers ?

D’une part, ce dispositif, piloté par les pouvoirs publics, ne s’assure pas de la participation des professionnels de santé de ville, pourtant nécessaire pour que ces campagnes produisent un effet – les études le montrent. Ce manque aboutit à une faible participation des personnes. D’autre part, le DO concourt au sur-diagnostic(2) et au sur-traitement. Chaque année, des milliers de personnes subissent des actes chirurgicaux et des traitements alors que leur tumeur ne se serait peut-être jamais développée. Et, paradoxalement, le cancer du poumon, première cause de mortalité en France, ne fait pas l’objet d’un DO !

Que faut-il modifier pour accroître la participation au dépistage du cancer ?

Au contraire du DO, fondé sur une classe d’âge, nous proposons de raisonner en termes de groupes à risques car de nombreux indicateurs sont aujourd’hui disponibles pour les définir. Et ils pourraient être encore affinés si chaque tumeur faisait l’objet d’une étude rétrospective de facteurs de risques des patients – mission dont il est dommage que l’Institut national du cancer (INCa) n’ait pas été chargé… Il faut passer du prêt-à-porter au sur-mesure. Notre objectif doit être de dépister moins, mais de dépister mieux. Et cette démarche pourrait être portée de manière concertée par les professionnels qui interviennent autour du patient.

Quel rôle pour les professionnels de ville dans le dispositif de dépistage des cancers ?

Les patients font confiance aux 350 000 professionnels de santé de proximité, médecins généralistes, infirmières libérales ou pharmaciens. Aujourd’hui, on diagnostique davantage de lésions cancéreuses dans le cadre de l’activité libérale et du dépistage individuel que par le DO. Mais l’INCa juge inutile d’en faire un bilan, comme si les professionnels libéraux ne faisaient que du curatif. Or une politique de santé publique ne peut se concevoir sans leur adhésion.

(1) Les travaux de la commission présidée par le Pr Jean-Paul Vernant ont servi à l’élaboration du 3e Plan cancer (2014-2019), présenté en février dernier.

(2) De 22 % dans le cas des mammographies annuelles selon une étude publiée dans le British Medical Journal en février (cf. bit.ly/1nuaeSb).