“Trou” de la Sécurité sociale FAUT-IL VRAIMENT S’INQUIÉTER ? | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 299 du 01/01/2014

 

Le débat

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

Le “trou”, le “déficit”, la « dette »… Le mot revient comme un mantra dans les débats publics des dernières années. Mais la “trouille” suscitée par le “trou” prend trop souvent le pas sur la réflexion.

Frédéric Bizard, économiste de la santé, enseignant à Sciences-Po Paris, auteur de Complémentaires santé : le scandale (Dunod)

Le “trou” de la Sécu est-il alarmant ?

Il est inquiétant par son ampleur et sa récurrence. La Sécurité sociale est en déficit depuis 1988. Sur les dix dernières années, elle enregistre quelque 160 milliards d’euros de déficit cumulé, dont environ la moitié est générée par la branche maladie. Et de nouveaux déficits sont annoncés. Ce ne sont pas tant les dépenses qui sont responsables du déficit du système que son mode de financement. On utilise encore des outils de 1945. Du coup, la majorité des recettes provient des actifs alors que le système est utilisé au deux tiers par des inactifs. Les ressources ne peuvent que s’épuiser.

Le trou de la Sécu n’est-il pas le « prix à payer » pour garantir aux ménages les plus modestes l’accès aux soins ?

Les dépenses sociales ne peuvent pas être financées à crédit, ni reportées sur les générations futures. Bref, on ne peut pas transférer à demain la prise en charge des malades d’aujourd’hui. En ce sens, les politiques conduites depuis trente ans ont été irresponsables, car le déficit ne peut pas être en soi un mode de protection sociale. On peut toujours pen

ser que le déficit de l’Assurance maladie est virtuel, car ses dépenses ne sont pas liées à ses recettes ; il m’empêche que, d’un point de vue comptable, la France est contrainte d’emprunter sur les marchés financiers pour combler ce déficit !

Quelles seraient les mesures prioritaires à prendre pour sauver l’Assurance maladie ?

Il faut revoir les sources des financements, notamment en augmentant la contribution sociale généralisée (CSG), car elle prend en compte les revenus du capital, et notamment celui détenu par les seniors. Or elle ne pèse aujourd’hui que 35 % dans le financement du système. Il faut également s’intéresser de près à la manière dont l’argent est dépensé. Trop d’activités sont aujourd’hui concentrées à l’hôpital par rapport aux soins de ville, respectivement 37 % et 23 %, alors que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques se situe à 29 % et 33 %. Huit points de dépense correspondent à 20?milliards d’euros ! Il faudrait donc opérer un transfert des actes de l’hôpital à la ville et, pour cela, réorganiser l’offre sur le territoire. Il faudrait aussi revoir les coûts de gestion administrative de notre système, et notamment ceux générés par la gestion des complémentaires santé, bien trop importants.

Frédéric Pierru, politiste, chargé de recherche au Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales (CNRS)

Le “trou” de la Sécu est-il alarmant ?

Le discours ambiant distille l’idée qu’il existerait une irresponsabilité collective en France face aux dépenses de santé. En réalité, ce faux débat ne fait qu’alimenter les lieux communs et les préjugés sur le fait que la Sécurité sociale favoriserait l’assistanat, la surconsommation de soins, la fraude… Or ce n’est pas du tout le cas. D’ailleurs, on ne peut pas aborder la question du “déficit” de la Sécurité sociale avec un regard purement comptable. Le déficit de la branche maladie est avant tout lié à l’insuffisance des recettes, pas aux dépenses. Il n’y a pas donc pas de dérives ou d’explosion des dépenses. Avec la dramatisation du trou de la Sécurité sociale, on cherche à imposer l’idée qu’il n’y aurait pas d’autre choix que de recourir à des assurances privées ou à payer de sa poche.

Le trou de la Sécu n’est-il pas le “prix à payer” pour garantir aux ménages les plus modestes l’accès aux soins ?

Non. D’ailleurs, depuis dix ans, alors que les besoins de financement de l’Assurance maladie ont augmenté, on assiste à une aggravation des inégalités de l’accès aux soins. C’est même la face négative de la maîtrise des dépenses engagée depuis 2004 et qui a notamment conduit à la mise en place des franchises médicales et vu l’explosion du reste à charge. De surcroît, la maîtrise des dépenses s’est effectuée par le transfert des dépenses de l’assurance obligatoire vers les complémentaires privées et les ménages. Or le marché des complémentaires santé est intrinsèquement inégalitaire. Un ménage modeste débourse jusqu’à 10 % de son revenu pour payer sa complémentaire, un ménage aisé 3 % !

Quelles seraient les mesures prioritaires ?

Il est inacceptable de financer les dépenses de santé par la dette ! Ça implique qu’il faut augmenter les recettes de la Sécurité sociale par, par exemple, un mécanisme adossé à l’augmentation automatique de la CSG en cas de déficit. Il faut aussi stopper la dérive qui consiste à augmenter la part du financement privé dans les maîtrises de santé aux dépens du financement public. En août dernier, j’ai été de ceux qui ont appelé à l’ouverture d’un débat sur la Sécurité sociale. Une des questions de fond est de savoir ce que l’on veut privilégier : un mode de financement qui défavorise les plus modestes ou un financement solidaire ? Si on veut privilégier la solidarité et l’égalité en santé, alors on doit privilégier la Sécurité sociale !