Ensemble, c’est tout - L'Infirmière Libérale Magazine n° 299 du 01/01/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 299 du 01/01/2014

 

CARNET DE TOURNAGE

Actualité

OLIVIER DUCRAY  

Raymond et Simone sont mariés depuis 63 ans. Nous leur rendons visite depuis plus d’un an et c’est à chaque fois une vraie récréation. La complicité de ce couple, malgré le poids des années, a su rester intacte. Par leur humour et leur autodérision, ils nous offrent des échanges uniques. Mais, derrière la boutade, se cache souvent un témoignage touchant.

« J’ai dit à mon mari que j’étais dans le lit de Monmon, hier ! » Monmon et Momone, ce sont les surnoms trouvés par Françoise pour Raymond et Simone. S’il y a un endroit où elle se sent comme chez elle, c’est bien ici, chez ce couple dont elle s’occupe depuis quatre ans. Elle passe à l’heure du déjeuner donner une douche à Simone qui se lève tard. La dame se déplace désormais avec de grandes difficultés et a de sérieux problèmes de vue. Elle souffre de se voir ainsi diminuée et perd souvent le moral. « J’étais miss Ping-Pong, moi… Elle a de la gueule, maintenant, la miss Ping-Pong ! », nous rappelle-t-elle régulièrement, avec un petit rire amer. Raymond est en meilleure forme, mais nous le voyons nous aussi faiblir au fil des mois. Il faut dire qu’il assume la charge de son épouse devenue dépendante. Nous sommes au cœur de la problématique du film. Sans l’infirmière, Simone se retrouverait en maison où elle dépérirait pour de bon. Rester ensemble, jusqu’au bout, est la première préoccupation du couple. Aucun des deux n’a envie d’être « celui qui reste ».

Tandis que Françoise s’occupe de madame, Raymond, lui, parcourt le journal local que lui apporte chaque jour l’infirmière. « Je regarde si j’y suis pas », nous dit-il les yeux rivés sur le carnet du jour, en riant de bon cœur. Nous nous asseyons en face de lui, baissons le son de la télé et buvons ses paroles. Raymond nous raconte sa naissance prématurée, son enfance et son adolescence en pleine Seconde Guerre mondiale. Nous imaginons le couvre-feu, les restrictions. Nous réentendons souvent les mêmes histoires, mais c’est un moment de transmission précieux. Cet Italien pur jus – « le macar’ », comme l’appelle sa femme, diminutif de “macaroni” – nous explique qu’une fois la guerre finie, il ne restait que les jeunes comme lui, tout juste majeurs, et les vieux. « Les femmes avaient tout le temps besoin de coups de main… On en a bien profité ! », nous confie-t-il avec un clin d’œil entendu. Très porté sur la question, ses anecdotes croustillantes sont légion.

« Tu racontes tes exploits, Monmon ? », l’interpelle Françoise en sortant de la salle de bain. Douchée et habillée, Simone se demande ce qu’elle doit faire. Raymond lui a préparé son café. Elle vient lentement rejoindre sa chaise en bout de table. « Bon, les copains, à c’soir ! » lance Françoise, en retard. Ce soir, comme souvent, elle partagera sans doute une assiette de vermicelles avec eux, voire le début d’un film, une tradition. Quitte à s’endormir à moitié dans le lit de Monmon…