Le pilulier de la discorde - L'Infirmière Libérale Magazine n° 290 du 01/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 290 du 01/03/2013

 

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PROVOCATION → Un syndicat de pharmaciens affirme que la préparation des piluliers pour le domicile est un acte pharmaceutique, et déclare « illégale » cette pratique par les infirmières. Réaction unanime des syndicats infirmiers.

L’annonce faite par le représentant d’un syndicat de pharmaciens de prendre en charge la préparation des piluliers pour les patients à domicile a eu l’effet d’une bombe : « Une guerre est déclarée », selon la Fédération nationale des infirmiers libéraux (FNI) ; « La PDA [préparation des doses à administrer] provoque le clash », pour l’Organisation nationale des infirmiers libéraux. Les syndicats infirmiers ont donc immédiatement riposté en demandant à l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) d’organiser une rencontre pour régler cette question. Or la réunion qui s’est tenue le 31 janvier 2013 à l’UNPS n’a rien arrangé. Surtout lorsque Claude Baroukh, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), a déclaré la pratique des Idels « illégale ». Face à ce qu’ils ont pris comme une provocation, le représentant de la FNI a quitté la réunion, tandis qu’Annick Touba, présidente du Sniil, écrivait une lettre à la ministre de la Santé pour rappeler la compétence infirmière en la matière.

Un texte imprécis

L’article R.4311-5 du Code de la Santé publique (CSP) prévoit que l’infirmière, dans le cadre de son rôle propre, aide à la prise des médicaments, vérifie leur prise effective et surveille leurs effets, mais ne dit rien de la préparation des piluliers. « Ce texte est trop imprécis », reconnaît Annick Touba qui a rappelé dans sa lettre au ministère les termes du Référentiel de compétences du métier d’infirmier, qui stipule que l’infirmière doit « préparer et mettre en œuvre les thérapeutiques médicamenteuses ». Toutefois, cet acte de préparation n’est pas repris dans le CSP, et le Référentiel de compétences « ne se substitue pas au cadre réglementaire et n’a pas vocation à déterminer des responsabilités »(1). « Ce point du droit a toujours été litigieux et j’ai souvent demandé au ministère de statuer sur cette question dans mon activité syndicale, souligne Marcel Affergan. Ce qui est clair, c’est l’administration. L’infirmière sort le comprimé de la boîte pour le donner au patient, mais la préparation des piluliers n’est pas prévue. Cela mérite un éclaircissement. » Claude Baroukh fait d’ailleurs une interprétation différente du texte : « Les infirmières englobent à tort la préparation du pilulier dans l’aide à la prise stipulée dans le CSP. Cette aide doit s’entendre comme une aide à compter les gouttes, à mettre un collyre dans les yeux, etc., mais la préparation des doses à administrer est un acte pharmaceutique. » La polémique se déplace alors dans la pratique.

Points de vue différents

« À quand le pharmacien en scooter, le top-case rempli de piluliers ? », interroge sur son site l’Onsil. L’argument de la récupération par les pharmaciens d’un acte infirmier est repris par l’ensemble des syndicats infirmiers. Avec l’idée qu’en arrière-plan, les pharmaciens cherchent à rentabiliser de nouveaux automates de préparation des piluliers. Cet argument repose sur une aide au traitement considéré dans sa globalité. « Je n’administrerai jamais un traitement préparé par quelqu’un d’autre, affirme Marcel Affergan, je tiens à gérer la chaîne de responsabilités de A à Z ; si les pharmaciens veulent préparer, ils devront aussi administrer. » Annick Touba ajoute qu’« il ne suffit pas de donner un pilulier aux familles. Les infirmières sont sollicitées quand le médecin a constaté qu’il y a déjà des problèmes avec la prise du traitement. Ce dont les pharmaciens, qui ne sont pas à domicile, n’ont pas forcément conscience ». De nouveau, le secrétaire général de la FSPF présente un point de vue différent en distinguant trois niveaux de compétences : « La prescription qui relève du domaine du médecin, la dispensation et la préparation éventuelle des doses qui sont des activités purement pharmaceutiques, et l’administration des traitements qui est du ressort de l’infirmière. » Ce qui a conduit à un autre point d’achoppement, la proposition d’une délégation de tâches au sens de l’article ? 51 de la loi HPST(2). « L’idée d’une délégation de tâches entre pharmaciens et infirmières a fait bondir les représentants infirmiers, alors que l’arrêté des bonnes pratiques décrit la PDA comme un acte pharmaceutique », argumente Claude Baroukh. Ce que confirme le communiqué de presse du Sniil qui rejette l’attitude des syndicats de pharmaciens qui vont « jusqu’à proposer » aux infirmières de continuer à préparer les piluliers, mais sous délégation des pharmaciens.

La bonne pratique

« Entendre dire que les infirmières sont dans l’illégalité est irrecevable », s’insurge Annick Touba. Interrogé sur ce point, le secrétaire général de la FSPF affirme qu’il s’agit de se mettre en conformité avec les règles de sécurité à venir. Le pharmacien met en avant deux textes toujours bloqués à l’état de projet, un décret relatif à la PDA, et un arrêté fixant les bonnes pratiques de dispensation (voir encadré). « Nous retardons la sortie de ces textes jusqu’à ce que soit mise en place une rémunération pour une activité hyper chronophage à l’officine », explique Claude Baroukh. Activité que les pharmaciens exercent déjà sans compensation pour environ 20 % des Ehpad. « Il ne peut pas y avoir d’un côté une bonne pratique avec des protocoles rigoureux quand la préparation des doses est effectuée par les pharmaciens, et d’un autre côté une préparation non encadrée [et donc illégale, ndlr] par les infirmières. »

Marcel Affergan, comme Annick Touba, souhaite que des solutions soient trouvées en bonne intelligence « entre professionnels qui ont l’habitude de travailler ensemble », mais la question du financement sera primordiale, au risque de durcir les positions.

(1) “Annexe II, diplôme d’État d’infirmier, référentiel de compétences”, BO Santé, Protection sociale, Solidarités n° 2009/7 du 15 août 2009.

(2) L’article 51 de la loi HPST permet la mise en place, à titre dérogatoire et à l’initiative des professionnels, de transferts d’actes ou d’activités de soins.

Quelques mesures du projet d’arrêté des bonnes pratiques

→ L’étiquetage des piluliers doit comporter toutes les mentions nécessaires à l’identification de la personne et des médicaments (date de la préparation et dénomination).

→ Prendre en compte la stabilité de la spécialité pharmaceutique et de veiller à ce qu’elle ne soit pas altérée.

→ Rappels de lots : le pharmacien s’assure de la mise en œuvre d’un système permettant le traitement des réclamations et, si nécessaire, le rappel des préparations concernées.

→ Conserver le conditionnement unitaire des médicaments, sauf si le mode de reconditionnement permet de reprendre les mêmes informations de traçabilité.

→ En l’absence de conditionnement unitaire et lorsque les médicaments sont mélangés dans une même alvéole d’un pilulier, la préparation ne peut excéder 7 jours…