POUR OU CONTRE LES RÉSEAUX DE SOINS CONVENTIONNÉS ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 288 du 01/01/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 288 du 01/01/2013

 

Dépenses de santé

le débat

Adopté en première lecture par l’Assemble nationale, en novembre dernier, le projet de loi proposé par la majorité visant « à permettre aux mutuelles de mettre en place des réseaux de soins » fait débat. Tandis que les mutuelles y sont favorables, une grande partie des libéraux y est farouchement opposée.

Martial Olivier-Koehret,

médecin libéral, président de Soins coordonnés*

Pourquoi êtes-vous opposé à la création de réseaux de soins organisés par les mutuelles ?

Parce que cette disposition, contenue dans le projet de loi, va permettre aux mutuelles, qui représentent l’essentiel des complémentaires santé, de mettre en place des remboursements différenciés. Ainsi, un patient devra se tourner vers l’infirmière de l’assureur et non plus vers celle qu’il aurait choisie. Les mutuelles disent d’ailleurs qu’elles vont échanger « un flux de patients contre une baisse des prix ». Cela signifie que les libéraux verront leurs actes et prestations baissés. On nous dit aujourd’hui que cette disposition ne sera pas applicable à toutes les catégories de professionnels de santé libéraux. Mais, demain, qu’en sera-t-il ?

Le reste à charge, qui contribue notamment au renoncement aux soins, est-il un faux problème selon vous ?

Il s’agit d’un argument largement utilisé par les tenants de cette disposition. Mais, de notre point de vue, c’est d’abord une argutie. En réalité, la baisse des prix ne profitera qu’aux seules mutuelles. Selon le Code de la Mutualité, il est stipulé que les mutuelles doivent redistribuer leurs bénéfices aux adhérents, or les tarifs sont augmentés chaque année alors que les mutuelles sont bénéficiaires, notamment du fait de leurs placements financiers qui génèrent d’énormes intérêts. Tous secteurs confondus, les mutuelles perçoivent chaque année 33 milliards d’euros de cotisations et ne reversent que 22 milliards d’euros en prestations, la différence couvre leurs frais de gestion. Bref, si les mutuelles étaient mieux gérées, le reste à charge n’existerait pas : il est donc inacceptable que leurs errements soient supportés par les professionnels de santé.

Craignez-vous que les professionnels libéraux soient phagocytés par ce dispositif ?

Je ne le crains pas, ce sera le cas ! Dès lors qu’une part importante de la population va être dirigée vers des professionnels de leurs réseaux, le libéral qui sera hors de ce réseau, et notamment dans un petit bassin de population, aura de grandes difficultés à maintenir son activité. S’il veut survivre, il sera obligé d’y adhérer. Pour notre part, nous allons continuer à faire signer notre pétition* pour faire échouer ce texte qui va à l’encontre de nos intérêts et de ceux des patients et pour que s’ouvre un véritable débat sur l’avenir de notre système de santé.

Étienne Caniard,

président de la Mutualité française (500 mutuelles santé et 38 millions d’adhérents)

Pourquoi les mutuelles défendent-elles la création de réseaux de soins ?

L’objectif du conventionnement et des réseaux est de permettre aux Français l’accès à des soins de qualité à des coûts maîtrisés. Il existe malheureusement des dépenses qui ne sont pratiquement plus remboursées par l’Assurance maladie, comme l’optique ou, de façon très minoritaire, les prothèses dentaires. L’absence de régulation est inflationniste et exclut des soins une part de plus en plus importante de la population. Les dépassements d’honoraires deviennent préoccupants : une évolution annuelle de 5,8 % entre 1997 et 2011, 4,4 milliards d’euros en dentaires en 2010 !

Les mutuelles ne sont pas les seules à demander la mise en place de ces réseaux : le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie, la Cour des comptes, l’Inspection générale des affaires sociales, la Haute Autorité de santé, le Haut Conseil de santé publique… Toutes ces institutions appellent à la mise en place d’un parcours de soins, seul à même de répondre aux nouveaux enjeux épidémiologiques !

Comment ce dispositif peut-il faire baisser le reste à charge des patients et permettre aussi de réduire le renoncement aux soins ?

Il suffit de regarder la réalité ! Prenons l’exemple de l’optique. Il s’agit d’un secteur très faiblement remboursé par la Sécurité sociale (seulement 4 % de la dépense). Les complémentaires santé prennent en charge 66 % de la dépense, et les ménages 29 % en moyenne. Près d’un tiers de la charge est donc supporté par les ménages ! Les réseaux permettent de limiter les coûts : un équipement optique acheté au sein d’un réseau est en moyenne inférieur de 17,5 % au prix moyen constaté hors réseaux. Ils permettent surtout de limiter le reste à charge : celui-ci est en moyenne 40 % supérieur en dehors des réseaux conventionnés…

Comprenez-vous la crainte et la réaction des professionnels libéraux face à cette mesure ?

Elles ne sont pas majoritaires, et je pense qu’elles relèvent de l’incompréhension lorsqu’elles existent. Avant un arrêt de la Cour de cassation de mars 2010, les mutuelles passaient ce type de convention. Ces dernières figuraient dans les contrats de près de 30 millions de Français. Personne ne se plaignait : ni les adhérents des mutuelles, ni les professionnels de santé… Donc personne ne peut imaginer qu’ils tolèrent le renoncement aux soins.

* Pétition sur le site de l’association : www.soinscoordonnes.eu