Quand l’humour fait sa tournée | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 287 du 01/12/2012

 

HAUTE-GARONNE (31)

Initiatives

Le soir venu, Yannick Laganne change d’accessoires et de visage : gants, seringues, compresses et autres laissent place à son péché mignon, l’humour noir. Infirmier le jour, comédien et auteur le soir, Yannick Laganne a rodé pendant durant plusieurs mois son premier one-man-show Bien saignant !. Sous les applaudissements de sa patientèle…

Toujours se méfier de l’eau qui dort ! Yannick Laganne est de cette trempe-là : tranquille en surface. L’infirmier exerce dans une banlieue calme au sud du secteur de Castanet-Tolosan, en Haute-Garonne. Au téléphone, il se montre plutôt discret, aimable, voire réservé. La première rencontre ne dénature pas non plus l’impression initiale : vêtu d’une chemise à petits carreaux, la coupe de cheveux tout ce qu’il y a de sage avec la raie sur le côté, pas très grand… Mais la malice couverait-elle ? Finalement, l’homme ne se dévoile que dans le noir. Sous les projecteurs du Théâtre de Poche à Toulouse, il est seul sur les planches – avec son énergie et son bonheur de jouer pour le soutenir. Car, hors tournée infirmière, Yannick change totalement de registre : humour noir en première ligne. Monsieur se fait comédien et donne dans le saignant, comme l’annonce d’ailleurs fièrement l’affiche de son one-man-show.

Un potentiel à découvrir

Yannick n’est pas un enfant de la balle. Mais faire rigoler les camarades d’école, ça, oui : « C’est dans mon tempérament », admet-il. Le futur humoriste a grandi sur Montauban dans le Tarn-et-Garonne, sans se soucier trop de théâtre. Toutefois, dans la famille, « mon oncle [le comédien Christian Varini] était plutôt à part, et j’étais bien le seul à l’idolâtrer. Il dirigeait le Point-Virgule [un café-théâtre mythique de Paris] où j’ai eu quelques rares occasions de lui rendre visite. Du coup, chez mes grands-parents, j’ai vu passer quelques artistes, plus ou moins connus. Un habitué était Jean-Marie Bigard. Seulement mon oncle est mort quand j’avais 17 ans. » C’est pourtant le moment où la comédie entre de plain-pied dans sa vie, quand il s’inscrit à l’association de théâtre de sa ville : « Cela a été une révélation de jouer la comédie, un coup de cœur. La mise en scène y était très moderne. On se faisait avant tout plaisir dans différents répertoires : du boulevard, du café-théâtre et puis des séquences “d’impro”. J’avais toujours tellement d’idées que l’on m’a rapidement suggéré d’écrire. » L’affaire doit toutefois mûrir un peu et le théâtre se retrouve relégué au rang de passe-temps, le temps de ses études. À la même époque, Yannick s’oriente en effet vers une carrière d’infirmier : « Lors de ma formation, j’ai aimé les soins techniques et, d’emblée, le contact avec les patients et le travail en équipe m’ont attiré. » Son échappatoire de comédien l’accompagne avec régularité, et perdure alors qu’il débute comme infirmier. D’ailleurs, dans le milieu psychiatrique qu’il choisit, ses talents personnels sont de bon augure : « La connaissance de la pharmacologie et des pathologies est indispensable, mais savoir jouer avec les mots aide à vaincre la méfiance du patient et lui permet de se confier plus facilement. Avec les collègues, la dérision dédramatise des situations parfois tendues. Sorte de timide-extraverti, j’ai l’art de la répartie verbale, de dégainer des blagues. Saisir le cocasse d’une situation, c’est inné chez moi. »

Sur la scène toulousaine

Son double parcours aurait pu continuer gentiment sur Montauban, mais il décide d’intégrer l’hôpital Marchant, un établissement toulousain spécialisé en psychiatrie. La ville rose sera le théâtre de son éclosion. Les choses se précisent alors. Il fait ses gammes au sein du cours du café-théâtre Les Minimes : « Jusque-là, je jouais à l’oreille, pour ainsi dire. » Et, il y a six ans, il s’installe en libéral : « J’avais fait le tour des problèmes de fonctionnement du milieu hospitalier – manque de personnel, lourdeur administrative, contraintes horaires… Même si l’humour permet d’arrondir les angles vis-à-vis de la hiérarchie, il ne règle pas tout. J’avais envie d’autre chose. » Il conserve la qualité relationnelle avec les patients et même sa spécificité de prise en charge psychiatrique, avec, en prime, la souplesse du planning. De plus, « j’ai rejoint une maison de santé, je peux échanger avec d’autres professionnels de façon pluridisciplinaire. C’est une grosse structure médicale d’une vingtaine de médicaux et paramédicaux. » Ce mode d’exercice offre de l’espace à ses ambitions artistiques : « Au cabinet infirmier, nous sommes deux, voire de plus en plus souvent trois, ce qui me permet de me consacrer au théâtre. J’y travaille dix à quinze jours par mois. Mais, par exemple, après la semaine de spectacle au Théâtre de Poche en octobre, j’ai du travail pour dix jours non-stop. »

Ses patients sont ses premiers fans. Madame Von Lachner, chez qui Yannick se rend deux fois par jour, parle de « notre Yannick » pour faire référence à ce soignant qui sait toucher le cœur de son époux : « Mon mari a été victime d’un AVC il y a quatre ans, et, même s’il a conservé des problèmes de langage, ils se sont de suite très bien entendus. Mon mari est très sensible à son humour. » Le couple s’est déplacé deux fois pour applaudir Yannick. La découverte de la face cachée de leur infirmier à domicile a plus que jamais soudé leur relation. En janvier dernier, le professionnel a préparé un cadeau à l’attention de sa patientèle : « Certains patients s’étaient déjà déplacés sur Toulouse, lors de mon passage au café-théâtre Les Minimes ou à l’occasion de la scène ouverte mensuelle à laquelle je participe au cabaret-comique Le Citron bleu. Mais beaucoup ont des problèmes de mobilité, alors j’ai organisé une représentation spéciale à la MJC de la commune : une véritable fête qui a renforcé le lien. Avoir un infirmier un peu différent est valorisant et d’autant plus utile pour le travail psychiatrique : un soin avec une cerise sur le gâteau. Mais je veille tout de même à garder mes distances lors de la tournée. Mes collègues ne soupçonnaient pas non plus cette part de moi. Ils ont été surpris et enthousiasmés. »

Pour tout l’art du rire

Sur scène, ce pince-sans-rire donne à voir une brochette d’individus pas toujours très recommandables, créés par ses soins. Navigant du supermarché à la plage naturiste en passant par une hypothétique succursale de la grande distribution, Yannick prend parfois des raccourcis désopilants entre le Pape et la Vache-qui-rit ou le boucher et les accidents de la route… Apparaissent ailleurs la coiffeuse, l’agent des pompes funèbres, le suicidaire, la constipée… Affaire à suivre. Alliant tabous et caricatures, il présente un miroir grimaçant de notre société. « Tout le monde peut s’y retrouver », assure l’auteur des sketchs. Nourries d’années d’improvisation, ces parodies sont nées aussi bien de son quotidien professionnel, de la vie de tous les jours, que de son imaginaire pur. « Certaines scènes datent de mes débuts et ont évolué au fil des années, d’autres ont été écrites très vite, en un ou deux jours. Quelquefois je recase dans un sketch une blague ou une petite histoire à laquelle j’ai assisté. » En 2010, il rencontre la comédienne Cécile Jaquemet, qui devient son metteur en scène : « Une fois par mois, au théâtre Le Fil à plomb, elle donne des cours de clown. Son approche m’a permis d’arrondir les angles. Le ton échappe à la vulgarité ou à trop de noirceur, il devient piquant et profond. » Un vrai coup d’accélérateur qui le pousse à créer l’association Prod-way avenue pour donner vie à son premier spectacle Bien saignant !. Les programmateurs restent pourtant sceptiques face à son métier d’infirmier : « Certains pensent que cette double casquette va à l’encontre d’une démarche de comédien professionnel. Au contraire, c’est une richesse qui nourrit mon inspiration. » Mais l’artiste est bel et bien prêt à troquer sa mallette d’infirmier pour une tournée d’un autre type. « Je me suis toujours dit que je le ferai. Il n’est pas question d’avoir de regrets. Je tente ma chance ! Faire pleurer de rire un spectateur, ce n’est que du bonheur. Si je suis utile à quelqu’un en le soignant, c’est d’autant plus énorme de pouvoir agir avec mes propres mots ! »

EN SAVOIR +

→ www.yannicklaganne.com

Quelques photos et une présentation succincte devraient bientôt s’étoffer. En attendant, vous y trouverez les dernières dates programmées.

→ www.theatredepoche-toulouse.hautetfort.com

Le Théâtre de Poche, à Toulouse, a accueilli Yannick Laganne du 10 au 13 octobre. Prochaines dates à guetter !

→ www.letourbillon.net

Le site présente, entre autres, les ateliers mensuels de rire/théâtre de Cécile Jaquemet.