Dépistage du cancer du sein : LE BÉNÉFICE EST-IL PLUS IMPORTANT QUE LE RISQUE ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 279 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 279 du 01/03/2012

 

Le débat

Alors que certains chercheurs s’interrogent quant à l’intérêt de généraliser le dépistage du cancer du sein, les autorités sanitaires françaises choisissent de poursuivre l’élan engagé et encouragent les femmes à se faire dépister.

Jérôme Viguier

Responsable du département dépistage à l’Institut national du cancer (INCa)

La HAS a publié un rapport où elle relance une dynamique autour du dépistage organisé (DO).

La participation au programme de dépistage organisé est proche de 53 % de la population ciblée(1). S’ajoute le dépistage individuel (DI), réalisé sur prescription, qui représente environ 10 % en plus. Au-delà de l’adhésion, c’est aussi la pratique régulière du dépistage qui est importante, et l’INCa lancera prochainement une étude pour analyser les facteurs favorisant la fidélisation.

L’INCa et la HAS s’accordent pour dire qu’il vaut mieux favoriser le DO par rapport au DI.

DO et DI reposent sur le même examen, la mammographie, complétée au besoin par une échographie. Dans le DO, un second radiologue contrôle les mammographies. Cette procédure permet l’identification de 7 % des cancers du programme.

Le risque de rater un cancer est moindre. Les mammographies de DO font l’objet d’un suivi et permettent l’évaluation fine du programme. Le DI est évalué sur des données partielles. Il n’y a pas de second contrôle des clichés par un radiologue, pas de données de qualité, ni de suivi.

Le Pr Peter Gøtzsche(2) a publié des travaux remarqués sur le surdiagnostic. Qu’en pensez-vous ?

Le problème du surdiagnostic est inhérent à tous les dépistages. Il s’agit de cancers qui ne se seraient pas révélés ou n’auraient pas évolué du vivant de la personne. On estime le surdiagnostic à 10 % des cancers du sein. Ce problème concerne surtout les cancers in situ, avant le stade invasif, pour lesquels l’évolutivité est incertaine, mais sans que l’on dispose de marqueur permettant d’identifier ceux qui deviendront agressifs (plus des deux tiers) des autres.

Que pensez-vous du livre de Rachel Campergue, No mammo ?, qui traite du “consentement éclairé” au dépistage ?

Le dépistage est libre. Il est proposé aux femmes et pris en charge pour que toutes puissent en bénéficier. Les dépliants d’information joints aux invitations font état des limites de la mammographie et du surdiagnostic. Les femmes qui doutent peuvent prendre conseil auprès de leur médecin. Nous essayons sans cesse d’améliorer la qualité de l’information délivrée.

Rachel Campergue

Kinésithérapeute, auteure de No mammo(3)

Dans No mammo ?, vous semblez vous opposer au dépistage du cancer du sein.

On m’a fait passer pour un ayatollah anti-dépistage. Ce n’est pas un livre anti-dépistage. J’ai voulu donner aux femmes une information qu’elles ne trouveront pas dans les brochures. Ce qui me dérange, c’est le paternalisme du dépistage du cancer du sein. On prend les femmes pour des décérébrées à qui l’on dit ce qu’elles doivent faire. Il y a un gouffre entre les dernières données de la science et les slogans simplissimes des campagnes de dépistage.

Que pensez-vous de la campagne de la HAS pour promouvoir le dépistage organisé ?

On met en avant les “avantages” du DO par rapport au DI : double lecture et gratuité. Mais la double lecture va accroître le nombre de cancers détectés, augmentant le risque de surdiagnostic. Cette double lecture serait même plutôt un aveu de la difficulté d’interprétation d’une mammographie.

Le surdiagnostic pose en effet question…

Les méta-analyses conduites par Peter Gøtzsche révèlent que l’effet du dépistage sur la mortalité globale n’a pas été démontré. Il serait bon que les femmes le sachent.

La peur fait partie des outils des campagnes de santé publique. On nous a longtemps fait croire que tous les cancers étaient mortels, alors que ce n’est pas le cas : certains cancers restent dormants et d’autres régressent.

On manque cependant d’alternative. Quelle solution plutôt que la mammographie ? Et peut-on faire machine arrière sur le DO ?

Il ne s’agit pas de supprimer la mammographie du jour au lendemain, mais de donner aux femmes une vision réaliste de ce qu’elles peuvent en attendre. On aimerait des campagnes pour promouvoir la réduction des perturbateurs endocriniens dans notre environnement, par exemple. Certains pays mettent la pédale douce sur le dépistage. Les États-Unis ont reculé l’âge recommandé pour la première mammographie fin 2009. La France ne sera pas le premier pays à abolir le dépistage. D’autant qu’il présente un avantage politique non négligeable : il donne l’impression aux gens que l’on s’occupe d’eux.

(1) La population ciblée est celle des femmes âgées de 50 à 74 ans.

(2) Directeur du centre Nordic Cochrane de Copenhague, auteur de Mammography Screening – Truth, lies and controversy.

(3) No mammo ? Enquête sur le dépistage du cancer du sein, oct. 2011, éditions Max Milo. 21,90 €.