Une lettre qui fait mouche - L'Infirmière Libérale Magazine n° 274 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 274 du 01/10/2011

 

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TÉMOIGNAGE → Fatigue, colère… Une libérale adresse une lettre au Président de la République après l’avoir postée sur Internet. La lettre est devenue pétition et fédère plus de 2 000 libérales.

« Je m’appelle Céline, j’ai 32 ans, habite dans le Rhône et vous écris aujour-d’hui afin de vous faire partager la colère d’une infirmière libérale, ma colère. »

Ainsi commence une lettrequi circule depuis quelques semaines sur Internet. Son auteure, Céline Bordes, avoue aujourd’hui être surprise du succès rencontré par cette action. « J’ai écrit cela sous le coup de la colère, du découragement et de l’épuisement », confie la jeune femme. « Je voulais l’envoyer à messieurs Sarkozy et Bertrand ! » Mais avant, elle préfère la faire lire aux membres d’un forum d’infirmiers, sur Facebook. « Certains l’ont lue et on voulu la signer, par solidarité. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée sur un site de pétitions. » À ce jour(1), près de 2 161 personnes l’ont déjà signée sur la toile.

Le don de soi

Céline s’est installée il y a trois ans dans un petit village de 2 800 habitants, dans le Rhône, Dommartin (69). Elle a démarré son cabinet, seule, avant de trouver un associé. Mais, fatiguée, en colère, elle rend sa blouse. Dans sa lettre, aux allures de bouteille à la mer, l’infirmière parle des conditions de travail, citant ici et là quelques exemples puisés dans son quotidien : « Je suis épuisée et je n’ai que 32 ans. Non pas physiquement, mais moralement…» Ou encore : « Savez-vous que lorsque nous allons chez une personne à qui nous faisons un pansement, une injection et une prise de sang, le premier acte est payé à 100 %, le second à 50 % et le troisième et les suivants sont gratuits ? » Les situations sont explicites, les mots durs. Mais, au vu des commentaires des signataires, Céline Bordes a touché là où ça fait mal. Au hasard : « On se reconnaît tous dans cette lettre… malheureusement ! », « Retranscription tout à fait réelle de la problématique de nos pauvres infirmières libérales ! Que ferions-nous si elles n’étaient pas là ? », « Enfin quelqu’un qui dit tout haut ce qu’on pense, bravo ! »

Jointe sur son lieu de vacances, Céline Bordes est encore surprise par la portée de son geste. « Cette lettre est le résultat d’une accumulation de galères, financières ou dans les pratiques, bâtons dans les roues de la part des caisses qui refusent des paiements sans justifier, de l’Urssaf… » La charge de travail est énorme. « Mais, si elle ne l’est pas, on ne peut pas gagner notre vie, reconnaît l’infirmière. On ne peut se permettre de refuser les patients. On nous en demande de plus en plus au niveau des soins, avec des actes peu ou non payés. Une toilette, c’est 10,70 euros brut, déplacement compris, car nous sommes censés y passer moins d’une demi-heure ! » Elle estime qu’au moins 30 % de ce qu’elle fait dans l’année n’est pas payé. Pourtant, elle, comme d’autres, fait sans rechigner. « L’essence du métier : le don de soi, donner le maximum pour que tout se passe pour le mieux, être toujours disponible et faire souvent passer sa vie après celles des patients ! », avoue Céline Bordes.

10 centimes par an

Mais, ce qui a vraiment mis le feu aux poudres, au point d’avoir envie d’écrire cette lettre, c’est cette histoire de prime de 9 000 euros promise aux médecins(2). « Je ne suis pas en guerre contre les médecins, loin de là ! Mais nous, on nous augmente à coup de dix centimes tous les deux ans, et là, on balance une prime pour leur demander de faire ce pourquoi ils sont déjà payés ! J’ai pris cela comme une attaque. »

Dans quelques jours, elle verra sa lettre à messieurs Sarkozy et Bertrand. Accompagnée des signatures et des revendications des signataires. « Nous demandons une remise à plat de la nomenclature, nous voulons être payés pour tous les actes effectués sur un même patient. Quand on soigne quelqu’un, on ne le fait pas à 50 %, mais plutôt à 300 % », s’indigne encore la jeune femme. Et comment expliquer que le déplacement d’un médecin est payé dix euros, quand celui d’une infirmière, à distance égale, s’élève à 2,30 euros « C’est difficile de mobiliser notre profession, reconnaît Céline Bordes. À entendre les collègues, tout le monde en aurait envie, mais cela reste sans suite. Même les syndicats ne bougent pas… »

Pourtant, une page se tourne pour Céline. De retour de vacances, elle fait une double rentrée. D’abord à son cabinet, à mi-temps. Puis elle suivra une formation d’esthéticienne et se lancera dans une nouvelle aventure : « Je vais ouvrir un salon de beauté et pratiquer les massages de relaxation. » Nul doute qu’elle surveillera de près sa boîte aux lettres pour savoir si Nicolas et Xavier ont réagi à son courrier.

(1) Vous pouvez réagir à la lettre de Céline sur www.easy-petition.com/Lettre-idel.

(2) Lire notre brève page 18.