Le punch du coaching infirmier - L'Infirmière Libérale Magazine n° 273 du 01/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 273 du 01/09/2011

 

PERFORMANCE

Votre cabinet

En vogue partout, le coaching n’épargne pas le monde de la santé. Souvent limité aux établissements de soin, ce nouvel outil d’optimisation dépasse désormais le seuil du secteur institutionnel : il peut intervenir jusqu’en cabinets infirmiers.

Cuisiner, se coiffer, gérer son budget, monter un dossier administratif ou juridique… Les domaines d’intervention des coachs professionnels foisonnent. Si bien que, depuis son introduction en France, cette discipline importée des États-Unis (comme son nom l’indique) a aussi investi le secteur sanitaire. Les hôpitaux ayant recours à ce type de méthode pour stimuler leurs cadres ne représentent plus un phénomène isolé.

Le Centre de formation des professions de santé, basé à Toulouse, propose ainsi dans son catalogue 2011 un programme consacré au “manager coach”. Destiné à la fois aux cadres de proximité et aux médecins détenant des responsabilités managériales, ce cursus vise à terme à atteindre le « développement professionnel des équipes et la performance individuelle et collective ? ». Des objectifs d’efficacité auxquels les infirmières libérales peuvent également se montrer sensibles.

Cela se vérifie d’autant plus aujourd’hui. À l’heure du tout informatique, que ce soit pour la télétransmission des feuilles de soins ou pour le dossier médical personnel (DMP), la vitesse devient presque incontournable. Ce qui va de paire avec l’accroissement de situations stressantes. « Je reste persuadé que la population infirmière est un public adéquat pour le coaching », commente Christophe Peiffer, un infirmier libéral des Alpes-Maritimes qui partage son temps entre ses activités de soignant et son nouveau métier de coach. Entre la consœur « qui a du mal à se faire respecter » et celle « qui s’exprimerait de manière trop autoritaire dans le cadre d’une collaboration en cabinet », les exemples ne manquent pas.

Test concluant en Belgique

L’Association belge des praticiens de l’art infirmier (ACN) l’a d’ailleurs constaté lors d’un colloque en 2007. « À cette occasion, nous avions organisé un atelier en compagnie d’une coach, se souvient la coordinatrice Catherine Borges. Toutes les participantes ont apprécié la prestation. » Résultat : depuis cet événement, l’association organise des séminaires de coaching. Et cette année, elle prévoit également un cycle long de formation pour « devenir cadre coach infirmier ». Le but annoncé est « d’apprendre une méthode de questionnement pour aborder la vie professionnelle avec plus de conscience et de discernement », mais aussi « d’accompagner les autres grâce à une structuration de questions éveillantes et la mise en place d’un cadre bienveillant ».

Selon la formatrice, Isabelle Wats, ces cursus de groupe sont fréquentés tant par des cadres infirmières que par des indépendantes. Leur lien ? « Elles ont toute une équipe à gérer, précise la coach. Certaines ont déjà des outils de management, mais pas de coaching. Cette méthode leur permet d’apprendre à mieux se connaître, à gérer leur quotidien et à gérer les autres. »

Dénouer une problématique

Contrairement à la psychothérapie, « le coaching ne démêle pas les nœuds du passé mais ceux du présent. C’est beaucoup plus opérationnel, ajoute Isabelle Wats. Les infirmières sont confrontées à des difficultés humaines. Or on règle souvent cela de façon intuitive ». Le principe consiste à rechercher de manière structurée le meilleur moyen de résoudre une situation problématique. Parmi les exemples qu’elle énumère, la coach se rappelle de cette infirmière qui ne parvenait pas à interpeller un médecin sur une situation mettant ses patients en danger. Elle aura finalement trouvé les mots justes à l’aide du travail effectué en séminaire et que la coach assimile à « une forme de supervision ».

Attention aux dérives

Si cet outil d’optimisation des ressources peut faciliter le quotidien des Idel, il pourrait aussi dégrader leur métier. Du moins, si l’on s’en réfère au jugement de Roland Gori (voir ci-contre). À ses yeux, « les soignants sont encadrés par des coachs. Les directeurs sont eux-mêmes conseillés par des managers coachs et finalement les infirmiers se mettent à coacher les malades ». Un mal ou un bien ? Chacun en jugera. Reste à savoir si l’éducation thérapeutique du patient (ETP) aurait un lien de parenté avec le coaching…

3 questions a…

Roland Gori, professeur de psychologie*

Qu’est-ce que le coaching ? Il s’agit d’une technique d’accompagnement, d’aide et d’optimisation des résultats qui est arrivée en France durant les années 1990. D’abord spécifique au secteur de l’économie et du sport, cette méthode s’est ensuite développée dans d’autres domaines. Le “live coaching” est ainsi apparu : il existe maintenant du coaching amoureux, du coaching pour la mode, pour aller faire ses courses ou dans la santé.

Quel reprochez-vous à cette technique ? On peut considérer qu’il y a de bons coachs comme il y a de mauvais psychologues. Mon problème est moins lié à la pratique réelle des coachs qu’à l’extension idéologique de ce terme. Il est porteur d’un modèle très entrepreneurial de la relation d’aide.

D’après vous, quelles en sont les dérives ? Le coaching est une idéologie. C’est une manière de se penser soi-même et le monde de manière néolibérale. […] Dans le domaine de la santé, on peut dire que le coaching – quels que soient ses bienfaits par ailleurs – est une façon de coloniser le champ du soin par les valeurs de l’économie symbolique et de la logique de marché. L’homme y est réduit à un capital humain. Ce n’est pas anodin. Il n’y a pas d’impunité à concevoir la santé en termes de culture économique. On voit se profiler une société de l’évaluation et du contrôle généralisés.

Propos recueillis par M.D.

* Il est co-auteur avec Pierre Le Coz du livre L’empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social (éd. Albin Michel, 2006).

JURIDIQUE Une discipline sans cadre légal

Pour l’heure, le métier de coach n’est pas réglementé en France.

Face à ce vide juridique, de nombreuses organisations tentent de structurer leur profession en s’appuyant notamment sur un système d’accréditations. Notons ainsi la SF Coaching (Société française de coaching) et l’ICF (fédération internationale de coaching) qui font figure de chefs de file dans l’hexagone. Leurs dispositifs n’ont pas de valeur officielle. C’est pourquoi certains groupements disposent d’un Code de déontologie. En témoigne le texte proposé par le Conseil européen du mentoring et du coaching censé « constituer la base de tout accord » entre coachs et coachés. Ce type d’initiatives destinées à authentifier le métier de coach trouve un écho dans le domaine des formations. Au-delà des établissements privés, plusieurs universités françaises dispensent désormais des cursus dédiés à ces nouvelles techniques de « développement personnel et collectif ».

M.D.