Aux petits soins à la créole - L'Infirmière Libérale Magazine n° 272 du 01/07/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 272 du 01/07/2011

 

GUADELOUPE (971)

Initiatives

Voilà bientôt quatorze ans, Pierrette Meury, originaire de Bretagne, a posé ses valises en Guadeloupe, dans la petite ville du Moule. Son métier d’infirmière, elle l’exerce désormais sous des latitudes tropicales… et l’a même pimenté d’un zeste – conséquent ! – de formations.

Un parapluie, allié indispensable sous le ciel sombre de la matinée, chargé d’une pluie qui tombe depuis maintenant plusieurs jours. Mais une simple blouse blanche d’infirmière, portée à même la peau : la moiteur tropicale et ses 28°C à tout juste sept heures du matin n’autorisent pas plus. Pierrette Meury, qui a débuté sa tournée voilà déjà deux heures, sourit : « Eh oui ! La pluie est aussi une réalité du quotidien de la Guadeloupe. » L’infirmière libérale l’accorde : d’ordinaire, au début du mois de mai, le soleil est au rendez-vous. On est encore en période de “Carême” – la saison sèche. “L’hivernage” et ses pluies torrentielles, voire ses risque cycloniques, c’est plutôt entre juin et novembre. Mais cette année est exceptionnelle. Sur sa tournée, les anciens le lui ont dit, « trente ans au moins qu’on n’avait pas vu ça ».

Un parapluie donc. Une solide voiture aussi, pour affronter chemins de terre de la campagne environnante et nids-de-poule qui parsèment le réseau routier local. Et un sourire d’une douceur désarmante. Pierrette, 50 ans, a quitté sa Bretagne natale pour les cieux rieurs de la Guadeloupe il y a maintenant quatorze ans. Ses valises, elle les a posées au Moule, une petite ville du bord de mer, au nord-est de l’île. Ici, la côte, sauvage, abrite plages de sable blanc, écrins aux eaux turquoise, mais aussi falaises abruptes fouettées par un océan rugissant. Ancien port sucrier, la ville s’ouvre à petits pas aux touristes, et notamment aux surfeurs, avides de “spots” insolites. « Ceci dit, la commune est encore préservée, confie l’infirmière. Les commerces y sont ouverts le samedi, chose rare en Guadeloupe ! Mais l’atmosphère reste celle d’une petite ville de province, vivant au rythme des terres agricoles, où la canne à sucre règne encore en maître. » L’usine Gardel, l’une des deux dernières sucreries de l’archipel, n’est pas loin. Et si les charrettes à bœufs – les “cabrouets” – menant la canne coupée à la distillerie, ont laissé place aux camions, le ballet des véhicules, même motorisés, anime toujours la saison de coupe de la plante.

De Saint-Malo au Moule

Au volant de son véhicule, sur les chemins des Grands Fonds (vallée luxuriante enserrée où abondent des cultures) comme dans le centre ville du Moule, où l’on trouve encore des maisons créoles traditionnelles, Pierrette Meury est « chez elle ». Il y a deux ans tout juste, alors même que l’archipel bruissait des cris de revendications sociales, elle y a d’ailleurs fait construire sa maison. « Le chantier fut épique ! Ponctué de retards et d’incompréhensions. » Mais, aujourd’hui, elle peut goûter au charme de sa coquette demeure de bois, bordée d’une large terrasse ouvrant au loin sur l’océan. L’Atlantique à perte de vue. Les mêmes vagues rugissantes que celles de son Saint-Malo natal. « Mais sous d’autres latitudes ! » Est-ce l’appel du large qui l’a menée ici ? Les hasards de la vie, plutôt. Car, si Pierrette est venue s’installer en Guadeloupe, c’était au départ pour suivre son mari, dentiste, qui voulait changer d’air.

Elle est arrivée en Guadeloupe avec ses trois enfants, « sans trop savoir où elle mettait les pieds », mais le charme a opéré. Quatorze ans ont filé, et elle est toujours là. Ses premières années sur l’île, elle s’est professionnellement quelque peu mise entre parenthèses : trois ans durant, elle a travaillé bénévolement auprès de son mari, le secondant dans son cabinet. Quelques remplacements de collègues libérales, ici et là… avant qu’en 2001, lorsqu’avec son conjoint leur chemin se sépare, elle ne reprenne une activité d’infirmière libérale à temps plein, en tant que collaboratrice. Huit ans plus tard, elle crée son propre cabinet. Pas aussi aisé qu’on pourrait le croire. En effet, bien que la Guadeloupe manque cruellement de médecins généralistes et de certains spécialistes, les infirmières libérales auraient plutôt tendance, aujourd’hui, à y être légion. Difficultés financières du CHU de Pointe-à-Pitre, leurre de “l’argent facile en libéral” couplé aux excès d’une infime minorité, quelques affaires ayant récemment défrayées la chronique judiciaire, etc. La densité d’infirmières libérales dans l’île est de quelque 40 % supérieure à la moyenne hexagonale. « Nous étions 24 il y a trois ans au Moule, aujourd’hui, nous sommes 53 », note Pierrette.

S’adapter pour mieux soigner

Mais le goût du métier a raison de toutes les statistiques ! Et le “prendre soin”, Pierrette l’a chevillé au corps. Jeune fille, elle l’a d’abord envisagé en tant que médecin et s’est frottée à la faculté de Rennes… avant d’opter pour des études d’infirmière, obtenant son DE en 1983. Trois mois d’interim, et elle ouvre son cabinet : « Je devais être inconsciente », commente-t-elle. Mais le libéral s’est imposé comme une évidence : « Par goût de l’autonomie. Et pour la richesse du relationnel né du domicile, bien sûr. » Pierrette exerce près de trize ans en métropole, ajoutant même à sa pratique du libéral quelques mois en tant qu’infirmière coordinatrice d’un service de maintien à domicile, et cinq années de directrice d’une crèche territoriale… « Des expériences choisies aussi pour nourrir ma pratique de libérale », analyse-t-elle avec le recul.

Être sur les routes, frapper aux portes des patients avec qui l’on partage un quotidien, au fil de la relation soignant-soigné qui se noue, Pierrette ne s’en lasse pas. Elle dit apprécier tout particulièrement la « chaleur des ruraux, leur gentillesse, ici, au Moule, comme c’était le cas dans la campagne bretonne ». Et se plaît à se laisser étonner, aujourd’hui encore, par tout ce que ses patients lui font découvrir de l’âme guadeloupéenne. L’un des premiers pas qu’elle a fait pour apprivoiser l’île et ses habitants a bien sûr été d’apprendre le créole, la langue du quotidien, celle des sentiments personnels. Pour y arriver, Pierrette a pris des cours avec un conteur. Tout le monde comprend le français, mais parfois à des degrés divers, surtout les plus âgés. « Maîtriser le créole est indispensable pour faire correctement son métier, pour pouvoir expliquer un traitement, s’assurer qu’il est bien compris, apaiser une crainte, écouter une joie », souligne-t-elle. Aujourd’hui, tout comme ses patients, Pierrette saute allégrement d’une langue à l’autre au sein d’une même phrase.

Chaque jour, confie-t-elle, sa pratique se nourrit un peu plus des vécus locaux. Des chiffres, implacables, de la réalité sociale, qui peuvent mettre à mal plus d’une prise en charge : ici, 24 % de la population active est au chômage, trois fois plus qu’en métropole, et le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (12,5 %) est deux fois plus important que dans l’hexagone. Elle s’adapte aussi « aux croyances et habitudes de vie ». Pierrette se souvient de la première fois où elle a découvert, en défaisant le pansement d’une plaie, un peu de poudre d’aspect jaunâtre, résidu d’une décoction de plantes pratiquée par un “quimboiseur”, ou “gadézafé”, un guérisseur traditionnel. Les croyances magico-religieuses ancestrales reculent peut-être au fil des ans, les remèdes des quimboiseurs restent encore souvent lettre d’or sur l’île. Il faut intégrer la donne. « Sinon comment prétendre faire de l’éducation thérapeutique auprès d’un patient qui considère que l’hypertension n’est pas une maladie mais un mauvais sort ? Comprendre qu’il refuse de se baigner car il croit que l’eau salée va accroître son mal ? » Croyances et connaissances se mêlent et s’entremêlent. « Et je ne parle même pas des cultures indiennes des descendants de coolies, ou encore de celles des migrants haïtiens », rajoute l’infirmière.

Vers la formation

Le souci du “prendre soin”, comme un leitmotiv. C’est certainement cette volonté de justesse dans sa relation aux patients qui a poussé Pierrette vers la formation. « Là encore, ce fut un peu le fruit du hasard… une découverte, pour moi qui me pensais timide ! », relève-t-elle. Car, au départ, le souci de la formation, pour Pierrette, c’était celui de se former. Et pourtant… Formation à l’urgence, à la démarche de soins infirmiers, à l’éducation thérapeutique, au coaching, DU de soins palliatifs, de prise en charge de la douleur, de plaies et cicatrisation, etc. Aujourd’hui encore, elle n’arrête pas. Et c’est justement au détour d’une de ces formations, lors d’un cours sur le DSI en 2004, que sa vocation de formatrice est née. « On faisait un récapitulatif de la journée, certaines collègues semblaient perplexes… La formatrice m’a appelée au tableau : je m’étais fait un petit graphique en guise de résumé. J’ai dû le présenter et cela a parlé ! À mes collègues qui m’ont remercié et à moi-même qui ai aimé expliquer. »

Un rythme de vie soutenu

Depuis, elle n’a pas cessé. Formatrice INFCI, formations conventionnées Uncam en Guadeloupe, Martinique et Guyane, intervenante au DU plaies et cicatrisation à Pointe-à-Pitre… « Il faut dire qu’ici, précise-t-elle, faire venir des formateurs de métropole, c’est souvent compliqué. Alors, quand des choses se créent au niveau local, la demande fuse ! » Pierrette ne s’en plaint pas. Démêler les fils des préalables à une installation en libéral, expliquer comment faire un pansement complexe, elle adore. « C’est pour moi parfaitement complémentaire avec mon exercice quotidien. Cela permet aussi d’échanger, de se rencontrer entre collègues quand les rythmes de vie des uns et des autres sont parfois trépidants. » Le sien l’est, assurément. D’autant que Pierrette est aussi membre de différents réseaux de soin, secrétaire de l’Ordre infirmier départemental… et élue du de la délégation départementale du Sniil, qu’elle a d’ailleurs créée avec un collègue en 2003. Parfois, elle l’avoue, elle aimerait bien lever un peu le pied. Notamment pour pouvoir consacrer un peu de temps à la peinture et à la sculpture sur bois (cf. page précédente). « Cela fait partie de moi. Mais, depuis quatre ou cinq ans, je n’ai plus le temps. » Un jour prochain, qui sait ? « Assurément ! » Ses doigts brûlent de donner forme « aux couleurs, aux odeurs, aux visages de l’île ». Elle n’est pas prête de repartir !