Distilbène : les victimes prennent la parole - L'Infirmière Libérale Magazine n° 264 du 01/11/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 264 du 01/11/2010

 

POLITIQUE DE SANTÉ

Actualité

SCANDALE SANITAIRE > Depuis quelques années, les effets du Distilbène, qui a été beaucoup prescrit entre 1968 et 1973, se font particulièrement sentir. Aujourd’hui en âge de procréer, les “filles Distilbène”, exposées in utero à ce puissant œstrogène de synthèse, peuvent présenter des cancers et des problèmes d’infertilité. Ce mois-ci, elles se font entendre.

Au total, en France, on estime que 160 000 enfants ont été exposés dans le ventre de leur mère au diéthylstilbestrol (DES), entre 1948 et 1977, avec un pic de prescription autour des années 1970. Commercialisé sous la marque Distilbène (qui est devenu son appellation commune) ou Stilboestrol-Borne, le DES était réputé éviter les fausses couches et les naissances prématurées. C’est donc jusqu’en 2015 environ que les conséquences pourront être observées chez les femmes exposées in utero.

Malformations, infertilité et cancers

60 % d’entre elles présentent des malformations de l’appareil génital (utérus petit, ou en forme de T ou de Y, col utérin trop petit…), qui peuvent engendrer des problèmes de fertilité, des grossesses extra-utérines et des fausses couches précoces ou tardives. « Quand elles sont enceintes, ces femmes ont une épée de Damoclès au-dessus de leur tête : jusqu’au bout, elles ne savent pas ce qui peut se passer », relate Nathalie Lafaye, du réseau DES France(1).

Triste ironie du sort quand on sait que ce médicament a été prescrit à leur mère pour éviter les fausses couches… « On estime que, chez les femmes exposées au DES, 50 % des grossesses arrivent à terme, contre 80 % dans la population générale », précise le Pr Michel Tournaire, gynécologue à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, et spécialiste du DES. Les “filles Distilbène”, telles qu’elles sont appelées dans le monde associatif, ont également plus de risque de développer certains cancers rares du vagin ou du col utérin, qui auraient touché 110femmes en France, à un âge précoce.

Aujourd’hui, la prise en compte de l’exposition au DES s’améliore. Trois consultations spécialisées ont vu le jour, à Grenoble, Paris et Strasbourg. En cas de grossesse, le repos est souvent prescrit. Un décret du 30juin 2006 permet, en cas de grossesse difficile, une meilleure prise en charge de l’arrêt de travail, désormais considéré comme un congé maternité, et donc mieux indemnisé.

Une dizaine de procès

Plus d’une dizaine de procès ont été intentés par des filles Distilbène. Le premier a été remporté en 2006 par deux femmes atteintes d’un cancer du col utérin. D’autres femmes ont ensuite attaqué les fabricants pour des problèmes d’infertilité et de fausses couches. En septembre 2009, la cour de cassation a fait un geste en direction des victimes, estimant qu’elles n’avaient plus besoin de produire les ordonnances – qu’il est bien difficile de retrouver, trente ans après les faits…

Un téléfilm, deux livres

Aujourd’hui, les victimes parlent et le scandale sanitaire donne lieu à des ouvrages et des fictions. Le 9 octobre, sur France 3, a été diffusé le téléfilm Vital Désir. Fin octobre est paru le premier livre-témoignage sur le sujet : Moi, Stéphanie, fille Distilbène(2), rédigé par Stéphanie Chevallier, une des fondatrices de l’association Les Filles DES(3). Et le 3 novembre paraît l’ouvrage Distilbène : des mots sur un scandale (lire l’interview ci-contre).

Suscitant de la culpabilité chez les mères et un malaise chez les médecins, le Distilbène est souvent passé sous silence. Ces témoignages vont peut-être aider les langues à se délier enfin.

(1) www.reseau-des.org.

(2) Éditions First.

(3) www.lesfillesdes.com.

Interview
« Les parcours des “filles Distilbène” sont très variés »

Véronique Mahé, auteur de Distilbène : des mots sur un scandale(1)

Qui avez-vous interrogé pour rédiger ce livre ? Je me suis entretenue avec une cinquantaine de personnes via l’association Réseau DES France(2) : filles, fils, mères et pères Distilbène, mais aussi des petites-filles, soit la troisième génération. J’ai aussi contacté des conjoints de filles Distilbène et de nombreux médecins.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces témoignages ? C’est le déni médical auquel ont souvent été confrontées les filles DES… J’ai aussi été marquée par les problèmes de fertilité qu’elles ont rencontrés : difficultés à tomber enceintes, risque augmenté de grossesses extra-utérines et de fausses couches… Certaines se sont engagées dans des parcours difficiles de procréation médicalement assistée (PMA); d’autres ont pu mener une grossesse à terme, mais en restant allongées pendant plusieurs mois ; d’autres encore ont conçu un enfant sans problème. Les parcours sont très variés.

Les relations mère-fille sont souvent perturbées… Le dialogue mères-filles est parfois très difficile. Les mères se sentent souvent coupables. Parfois, cependant, le DES opère un rapprochement, la mère étant présente pendant la grossesse à risque de sa fille…

(1) Éditions Albin-Michel.

(2) www.reseau-des.org.