Libérale, un métier qui marche | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 261 du 01/07/2010

 

GIRONDE (33)

Initiatives

Avec vingt-cinq ans d’exercice au compteur et des milliers de kilomètres dans les pattes, Catherine Vincent a trouvé sa voie. Installée à Bordeaux, elle évite les bouchons en exerçant à pied. Cette libérale de 53 ans articule à temps plein vie professionnelle et engagement associatif dans le monde jacquaire. Avec un regain d’activité cette année…

Tous les jours, à Bordeaux, Catherine Vincent fait sa tournée à pied. Mais une autre passion trotte dans la tête de cette marcheuse, c’est le chemin de Compostelle : « Je suis une vieille routarde libérale ! »

Le 28 avril, Catherine, appareil photo en bandoulière, a couvert le lancement du relais pédestre européen baptisé “Europa Compostela”. Les marcheurs partent de différents points d’Europe emportant avec eux un “bourdon”, traditionnel bâton du pèlerin de Saint-Jacques qu’ils se transmettront d’étape en étape comme un relais. Ces bourdons traverseront la France pour rejoindre l’Espagne et arriver le 18 septembre 2010 à Compostelle. En effet, ce lieu attire les foules depuis dix siècles. Entre 300 000 et 400 000 pèlerins sont attendus cette année sur les routes. Une fréquentation exceptionnelle en raison de l’année spéciale décrétée à Compostelle lorsque le 25 juillet, fête de l’apôtre Saint-Jacques, tombe un dimanche. Ce qui est le cas cet été.

Une vocation toute tracée

Ses premiers pas dans la profession, Catherine les fait après la naissance de ses filles. « Ma seconde fille avait trois mois quand je me suis installée en libérale. Avec un mari militaire, j’avais tout contre moi. Je devais raisonner comme si j’étais complètement seule. »

Catherine a gardé le tempo de ce marathon auquel rien ne la prédestinait. Avant d’être infirmière, la jeune femme s’adonne à sa première vocation : la photo et l’écriture de scénarii. Elle travaille à RTL. Puis elle rencontre son mari, part pour la province et décide de « faire quelque chose d’intelligent sur le plan humain ». Et où elle est sûre de trouver du travail. Donc, en parallèle à son activité de photographe dans les théâtres bordelais, elle suit des études d’infirmière.

Sortie de sa coquille, la libérale se sent calibrée pour un métier dont elle apprécie l’autonomie. « Je savais que j’en avais l’état d’esprit », confie cette fonceuse que le microcosme hospitalier et la collectivité n’ont pas su séduire. Lorsque sa future collaboratrice lui dit un jour au sujet de leurs visites en plein centre ville : « Le mieux, ce serait de tout faire à pied », Catherine accourt. Leur collaboration dure depuis dix ans. « Nous sommes comme un vieux couple. Nous allons essayer de faire la route ensemble jusqu’à 65 ans si la santé le permet… » Grâce à cette harmonieuse entente, Catherine peut d’ailleurs se libérer un week-end sur deux.

Le cabinet, installé à deux pas de la mairie, concentre une clientèle citadine. « Nous sommes les seules de la CUB [Communauté urbaine bordelaise, ndlr] à faire notre tournée à pied. On ne couvre que l’hyper centre. En travaillant, je pérégrine », sourit la brunette, le sac sur le dos. « Les jours de bonne tournée, je fais quinze kilomètres le matin. » Et dans la vie privée, Catherine marche encore.

Podomètre et gants stériles

En 2000, avec un ami, Catherine commence la route de Compostelle. Il lui faut quatre ans pour arriver. « Pour des raisons que vous pouvez deviner, je ne pouvais pas me permettre d’interrompre mon activité un ou deux mois durant. » Alors, année après année, elle fractionne les étapes de Saint-Jean-Pied-de-Port à Compostelle. Ce premier tronçon lui vaut d’arriver en mai 2004 sur la place de l’Obradoiro, des larmes et de la sueur plein les yeux. Depuis, elle a repris le bâton du pèlerin. Au départ de Genève, cette fois. À raison de 20 ou 25 kilomètres par jour, depuis 2005, elle avale, avec une amie dentiste, les 1 854 kilomètres qui traversent l’Europe par la route du Puy.

Quand on demande à notre libérale si elle emporte dans son sac de randonneuse du matériel médical, au cas où, la réponse fuse : « Depuis cinq ans, j’en élimine chaque fois. Je n’emporte que le minimum vital. Il faut absolument enlever le superflu. » A-t-elle pu exercer son savoir-faire médical en chemin ? « Sur le Camino, il n’y a plus d’identité, nous sommes tous pareil. Nous essayons de faire tomber le masque. Je ne dis donc pas forcément que je suis infirmière et je mets plutôt en avant la solidarité universelle du pèlerin : « Voulez-vous que je vous porte le sac ? Que je vous aide à faire un pansement ? Puis-je vous offrir un peu d’eau ? » » C’est ainsi que, dans un gîte, un soir, Catherine voit un ancien PDG passer la serpillère : « C’est la règle du jeu et la magie du chemin ! »

Les bons comptes font les bons amis…

De fil en aiguille, l’infirmière-pèlerine prête main forte aux associations jacquaires. Cette gersoise dont la famille vient de Auch est naturellement devenue la vice-présidente des Amis de Saint-Jacques du Gers.

Chemin faisant, elle accepte la charge de trésorière de la Fédération française des associations des chemins de Saint-Jacques de Compostelle (FFACC), la plus grosse des associations jacquaires et l’entité référente à l’échelle nationale. Après avoir assuré trois ans le poste d’attachée de communication au sein de l’association, elle passe beaucoup de temps derrière son écran : 80 % des échanges entre le bureau, les associations et les gens se font par Internet. Si le siège social de la FFACC se situe au Puy-en-Velay, les réunions du bureau se tiennent à Paris, au pied de la tour Saint-Jacques.

Depuis un an et demi, avec la préparation d’Europa Compostela, « c’est un peu la folie pour moi qui travaille à temps plein par ailleurs », confie Catherine. Ces dernières semaines, la FFACC a d’ailleurs communiqué à tour de bras sur cet événement de grande ampleur.

Catherine est également responsable de la gestion et de la délivrance des credentials : ce passeport du pèlerin est un véritable sésame. Le futur pèlerin peut se le procurer à prix d’or sur Internet ou selon le système du donativo auprès d’une association jacquaire. C’est l’un des rôles de la FFACC de réglementer et d’harmoniser la délivrance des credentials. Cette mission vaut à notre bordelaise un voyage régulier à Saint-Jean-Pied-de-Port pour récupérer les 4 000 credentials vendus par an. Elle les stocke ensuite dans une pièce de sa maison.

À pied d’œuvre

Coup de sonnette. En entrant chez cette nouvelle patiente, Catherine aperçoit sur le frigo la coquille aux couleurs de l’Europe. Une fois le soin prodigué, elle lui parle un peu, mais « pas la première fois, par discrétion » : « Alors, ce chemin, il était beau ? » Surprise, la patiente l’interroge : « Comment le savez-vous ? » « J’ai vu une coquille à l’entrée… » Débute alors une conversation agréable qui les amène à repartir mentalement sur les chemins de Compostelle.

Et deux jours plus tard, c’est un « jeune homme de 85 ans », auquel Catherine refait un pansement, qui lui raconte qu’il partira sur le chemin d’Arles. Alors, comme diraient les pèlerins de Saint-Jacques pour s’encourager à aller plus loin : Ultreïa !

EN SAVOIR +

→ Camino de Santiago, Édition Michelin, 5,90 euros.

→ Léonnard Leroux, Le bonheur en 100 photos, Sur les chemins de Saint-Jacques, Sky Comm, 19,90 euros.

→ Gaële de la Brosse, Guide spirituel des chemins de Saint-Jacques, Presses de la Renaissance, 14,90 euros.

→ La Fédération Française des Associations des Chemins de Saint Jacques de Compostelle : site www.union-jacquaire-france.net.