Attention danger ! - L'Infirmière Libérale Magazine n° 261 du 01/07/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 261 du 01/07/2010

 

Activités parallèles

Dossier

Vous souhaitez exercer vos fonctions soignantes et une autre activité pour gagner plus ? Concilier votre profession et vos passions ? C’est possible, mais pas sans danger. Petite mise au point.

Trop de déplacements, un exercice stressant ? Le besoin de trouver d’autres ressources financières pour les études des enfants, la maison ou le voyage de ses rêves ? L’irrésistible envie de mener à son terme un projet qui dort depuis longtemps dans un tiroir ou encore l’envie de concilier profession et passion ? Quelles que soient les raisons qui poussent une infirmière libérale à exercer une autre activité en parallèle, une telle décision ne peut en aucun cas se prendre dans la précipitation.

Au-delà des réflexions légitimes relatives à la gestion du temps et aux implications financières qu’un tel changement impliquera forcément, la professionnelle doit, pour ne pas se placer “hors-la-loi”, respecter quelques règles élémentaires. Elle devra également se garder de répondre un peu trop rapidement à l’appel des sirènes tentatrices.

ACTIVITÉS LUCRATIVES

Dans le cadre de ce dossier, nous n’aborderons pas la situation des praticiennes qui associent exercice libéral et salariat (dans un établissement privé ou en secteur hospitalier) ou qui se consacrent à des activités bénévoles. Vous pouvez d’ailleurs régulièrement croiser ces dernières dans notre rubrique Initiatives. Ici, notre attention se portera principalement sur les activités parallèles lucratives, qui ne relèvent pas du décret de compétence infirmière, et plus spécifiquement celles sur lesquelles pèse le plus lourdement le risque d’interaction entre la clientèle civile et la clientèle commerciale. Mais nous évoquerons également les activités clairement identifiées par les textes comme compatibles avec l’exercice libéral (enseignement, formation, recherches, activités artistiques).

D’abord, parlons d’un sujet qui fâche : le compérage. Conformément à l’article R. 4312-21 du Code de la Santé publique « est interdite à l’infirmier ou à l’infirmière toute forme de compérage, notamment avec des personnes exerçant une profession médicale ou paramédicale, des pharmaciens ou des directeurs de laboratoires d’analyses de biologie médicale, des établissements de fabrication et de vente de remèdes, d’appareils, de matériels ou de produits nécessaires à l’exercice de sa profession ainsi qu’avec tout établissement de soins, médico-social ou social ».

Que recoupe exactement cette interdiction ? Le compérage peut être défini comme toute connivence ou entente qui entache la liberté et l’indépendance professionnelle de l’infirmière, portant atteinte au libre choix des patients. Le compérage n’est pas réprimé par les juridictions pénales, mais il pourrait être évoqué devant les tribunaux civils et donner lieu à des versements de dommages et intérêts, sous réserve pour le plaignant de prouver le préjudice subi, ce qui peut parfois être le cas.

Le compérage est aussi contraire aux règles professionnelles et donc susceptible de sanctions disciplinaires. Faute pour le Conseil de l’Ordre des infirmiers d’avoir déjà été saisi de telles affaires, nous ne disposons pas encore de décisions relatives aux infirmières.

En revanche, l’examen de la jurisprudence du Conseil national de l’Ordre des médecins permet d’en appréhender les limites. Ainsi dans une décision du 22 novembre 2001 a-t-il été considéré que tous les critères de compérage étaient réunis dans une affaire où un praticien hospitalier remettait directement à son épouse, kinésithérapeute, des prescriptions, et que ce compérage destiné, à tout le moins, à fidéliser la clientèle de sa femme, était de nature à porter atteinte au libre de choix des patients et profitait au couple, tout en portant préjudice aux autres kinésithérapeutes.

Autre cas tout aussi éloquent : le Dr V. avait reçu d’une société d’ambulance, à laquelle il s’adressait habituellement pour le transport de ses patients, des cadeaux dont la valeur a été estimée à 99 000 francs. La section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins (10 octobre 2001) a souligné que « l’acceptation de ces cadeaux […] constituait, du fait du caractère habituel du recours à cette société pour le transport de malades, un compérage au sens de l’article 26 du Code de Déontologie médicale ».

D’autres situations pourraient-elles être qualifiées de “compérage” ? N’étant pas prescriptrice de médicaments, il est peu probable que l’infirmière puisse l’être en étant mariée à un pharmacien, par exemple. Mais il pourrait en être différemment si le conjoint, médecin, renvoyait vers elle de façon systématique tous ses patients, portant ainsi atteinte à leur libre choix. Une professionnelle qui transmet tous ses prélèvements sanguins à un seul et unique laboratoire d’analyses médicales, appartenant à son époux, peut-elle être taxée de compérage ? Nul doute que les instances ordinales apprécieront la situation au regard du nombre de laboratoires existant sur le secteur.

GARE À L’ÉQUATION PATIENT/CLIENT

Deux articles du Code de la Santé publique font clairement référence à la notion de commerce :

 d’une part l’article R. 4312-37 du Code de la Santé publique : « La profession d’infirmier ou d’infirmière ne doit pas être pratiquée comme un commerce » ;

 et d’autre part l’article R. 4312-38 du Code de la Santé publique : « Il est interdit à un infirmier ou à une infirmière d’exercer sa profession dans un local commercial et dans tout local où sont mis en vente des médicaments, ou des appareils ou produits ayant un rapport avec son activité professionnelle. »

Le sens du terme “commerce” doit être appréhendé au sens large, non seulement comme la vente de biens ou de produits, mais également comme la prestation de services.

Il convient de distinguer deux types de commerce : ceux qui ont un lien, plus ou moins direct, avec les soins, et ceux qui n’en ont aucun. Ces derniers n’appellent pas de remarques spécifiques sous réserve du respect des quelques règles énoncées ci-dessous. Tel sera le cas d’une infirmière photographe, fleuriste, boulangère, épicière, etc.

En revanche, les premiers méritent une attention toute particulière. En effet, l’infirmière ne peut en aucun cas se servir de son titre pour attirer des clients vers son activité annexe. Or la création, par exemple, d’un service d’aide à la personne, d’un salon d’esthétique, d’une boutique vendant du matériel médical (protections, alèses), voire l’exercice de la sophrologie, laisse très amplement suspecter une interaction entre les deux activités, les patients pouvant aisément devenir des clients. Si ces activités ne sont pas condamnables sur le plan pénal et civil, puisque n’étant pas réservées à une profession réglementée, elles pourraient cependant attirer l’attention de l’Ordre infirmier sur un plan strictement disciplinaire.

À titre d’exemple, rappelons une décision de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins (3 avril 2009), qui illustre cette interdiction. En l’espèce, un praticien vend à l’une de ses patientes un DVD relatif à une conférence prononcée par lui-même. Pour ses pairs, il a ainsi méconnu le devoir de probité et l’interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce qui s’impose aux médecins. En revanche, n’a pas été considéré comme contraire à l’honneur et à la probité le fait pour une infirmière de vendre, sur son lieu de travail, des billets de cinéma (Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2003).

ATTENTION, CHASSE GARDÉE !

Certaines activités sont, en tout état de cause, interdites aux infirmières libérales car elles relèvent de la compétence exclusive d’autres professions réglementées.

Tel est le cas des épilations au laser ou par lampe flash (cf. rubrique Votre Cabinet, ILM n° 258), sauf si la professionnelle pratique ce type d’épilation sous la responsabilité effective d’un médecin, formé à ces techniques, et qu’elle-même a reçu une formation adaptée. Une jurisprudence constante confirme en effet que ces actes relèvent de la compétence exclusive des médecins, conformément à un arrêté du 6 janvier 1962 qui fixe la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins, et qui précise dans son article 2 : « Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine, conformément à l’article L. 372 (1°) (devenu article L. 4161-1) du Code de la Santé publique, les actes médicaux suivants : […] 5° Tout mode d’épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire. »

Citons également les massages. Rappelons tout d’abord qu’au regard de l’article R. 4321-3 du CSP, « on entend par massage toute manœuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l’intermédiaire d’appareils autres que les appareils d’électrothérapie, avec ou sans l’aide de produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe de ces tissus ».

Dans un arrêt en date du 20 mars 2007, la 1re chambre civile de la Cour de cassation a considéré que « pour la détermination de l’étendue du monopole légal de la profession de masseur-kinésithérapeute, et malgré la finalité donnée à la masso-kinésithérapie par l’article R. 4321-1 “de prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu’elles sont altérées, de les rétablir ou d’y suppléer”, il était indifférent, pour déterminer les limites du monopole, que la pratique du massage présentât un but thérapeutique ou esthétique ». Dès lors, une infirmière qui souhaiterait développer une activité esthétique en faisant, par exemple, l’acquisition de matériel visant à réduire la cellulite et mettant en œuvre la technique du “palper-rouler”, encourt des poursuites sur la base de l’exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute.

Précisons que de toutes les activités annexes doivent être impérativement et très clairement distinguées de l’activité de soins, tant sur le plan juridique, fiscal, social que comptable. Enfin, soulignons que si l’infirmière loue un local pour exercer une activité commerciale, elle ne peut en aucun cas exercer son activité de soignante dans les mêmes locaux.

Au-delà des règles évoquées précédemment, il convient de souligner l’importance attachée aux principes de moralité (cf. encadré p. 22) ainsi qu’à l’obligation faite à l’auxiliaire médicale de préserver l’image de sa profession, principes d’ailleurs rappelés, semble-t-il, dans le futur Code de Déontologie infirmier (cf. encadré p. 20). Ces valeurs doivent imprégner sa conduite en toutes circonstances, dans le cadre de son exercice professionnel ou privé.

La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins (16 mars 2009) a ainsi considéré que « les condamnations judiciaires (banqueroute, interdiction de gérer une personne morale, conduite sans permis) prononcées à l’encontre d’un médecin, même si elles ne concernent pas la médecine, révèlent une méconnaissance caractérisée et persistantes des règles de probité et de moralité, et sanctionnent des actes qui, par leur nature même, portent gravement atteinte à la considération de la profession ».

Sur cette même base du manquement à l’honneur et à la probité, relevons par ailleurs que pourront faire l’objet de sanctions disciplinaires des faits ou des activités n’ayant aucun lien avec la profession, mais qui entachent son image : condamnations pénales pour trafic de drogue, conduite en état d’ivresse, violence conjugale, détournement de fonds, violation du secret professionnel, ou bien encore infirmier ou infirmière se livrant à la prostitution, professionnels faisant l’apologie de mouvements sectaires, auteurs d’écrits racistes et homophobes ou de discours radiophoniques mettant en exergue des techniques non conformes aux données acquises de la science, etc.

Dixit le futur Code de Déontologie infirmier : « La profession d’infirmier ou d’infirmière n’engage pas seulement le professionnel : l’action non pertinente d’un professionnel ne rejaillit pas seulement sur lui, mais sur l’image que le public se fait de la profession. Dans ce contexte, l’infirmier doit veiller à ne pas la déconsidérer. »

ANALYSE
DÉONTOLOGIE

Le CNOI passe son code

Le 1er article de la loi du 21 décembre 2006 portant création d’un Ordre national des infirmiers* l’annonçait : « Un Code de Déontologie, préparé par le conseil national de l’Ordre des infirmiers [CNOI], est édicté sous la forme d’un décret en Conseil d’État. Les dispositions de ce code concernent les droits et devoirs déontologiques et éthiques des infirmiers dans leurs rapports avec les membres de la profession, avec les patients et avec les membres des autres professions de la santé. » Pour le CNOI, « seules quelques professions ont ce privilège. Au vu de l’importance de notre exercice dans la société, il était essentiel que nous en soyons dotés ». S’appuyant sur les règles professionnelles des infirmiers et infirmières datant de 1993 et sur les autres codes déontologiques des professions médicales et paramédicales, un groupe de travail – composé d’infirmiers, conseillers nationaux, et animé par Kine Veyer, présidente du conseil de l’Ordre de la région Île-de-France, et d’un spécialiste du droit – a planché durant plusieurs mois pour élaborer un projet. La dernière mouture est actuellement à l’étude par le ministère de la Santé. Le texte circule aussi sur Internet depuis quelques semaines, « mais les versions ne sont pas toujours fidèles », signale le CNOI. Après sa parution officielle, tout infirmier, lors de son inscription au tableau, devra déclarer sur l’honneur et par écrit au conseil départemental de l’Ordre qu’il a pris connaissance du nouveau Code de Déontologie et s’engager à le respecter. FV

* Journal officiel n° 299 du 27 décembre 2006.

Interview

Trois questions à Dominique Le Bœuf, présidente du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI)

Avec la création de l’Ordre, les infirmiers vont désormais être jugés par leurs pairs et non plus par des médecins. Une belle avancée ?

Pour les infirmiers, dont la pratique est guidée par des valeurs et qui nécessite des repères face à des situations humaines complexes, la mise en place du Code de Déontologie est effectivement une grande avancée. En nous confiant le droit d’écrire nous-mêmes nos propres règles, le législateur, en effet, nous juge à la fois responsables et autonomes.

L’Ordre a-t-il déjà reçu des dénonciations de compérage ou d’activités annexes contestables ?

Oui, c’est le cas. En première intention, ces plaintes vont être traitées au niveau des commissions de conciliation des départements, car les chambres disciplinaires ne sont pas encore installées.

Quand espérez-vous la sortie du Code de Déontologie ? Et par quel canal sera-t-il communiqué aux infirmiers ?

Le Code de Déontologie paraîtra d’ici à l’automne, sous la forme d’un décret pris en Conseil d’État. Il sera envoyé aux infirmiers inscrits au tableau de l’Ordre et mis en ligne sur le site Internet national et tous les sites locaux. FV

ANALYSE
FAUTE PROFESSIONNELLE

Manquements à l’honneur

Rappel de quelques-unes des fautes professionnelles constituant, selon les juges, des manquements à l’honneur et à la probité :

 les dépassements des seuils d’efficience (cour administrative d’appel – CAA – de Marseille, 5e chambre, 14 janvier 2010) ;

 la facturation d’indemnités de déplacement effectués la même journée pour des assurés résidant à la même adresse (cour administrative d’appel de Douai, 1re chambre, 19 juin 2008) ;

 la facturation d’actes non exécutés (Conseil d’État, 20 mai 2005) ;

 le non-retrait, par un infirmier psychiatrique, contrairement aux prescriptions du médecin, de la contention dont faisait l’objet d’un patient en fin de vie (cour administrative d’appel de Bordeaux, 19 mars 2007) ;

 le harcèlement moral et les propos obscènes à caractère sexuel tenus par un infirmier à l’encontre de stagiaires (CAA de Bordeaux, 13 juin 2006) ;

 l’introduction, par un infirmier, de cachets de somnifères dans la boîte de sucrettes de l’une de ses collègues, victime par la suite d’un endormissement au volant et d’un accident de voiture (Conseil d’État, 10 août 2005).