Risques professionnels UNE PRÉVENTION EFFICACE OU JUSTE UTOPIQUE ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 259 du 01/05/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 259 du 01/05/2010

 

Le débat

La fréquence des troubles musculosquelletiques augmente chez les salariés. Comment réduire de tels risques ? Cette question suscite un véritable conflit interne au sein de la branche “accidents du travail et maladies professionnelles” (AT-MP) de la Sécurité sociale, chargée d’organiser la prévention.

Yves Gary

Ingénieur conseil responsable du département prévention des risques professionnels à la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts)

Quel est le rôle des Caisses régionales d’Assurance maladie (Cram) en termes de prévention des risques professionnels ?

Depuis sa création en 1946, la Sécurité sociale dispose d’une branche “accidents du travail et maladies professionnelles” (AT-MP). Celle-ci a pour but d’indemniser les victimes, de calculer le taux de cotisation des entreprises pour couvrir les risques professionnels, mais aussi de conduire des actions de prévention. Pour ce faire, la Sécurité sociale dispose d’un réseau, en l’occurrence seize Cram en Métropole et quatre Caisses générales de Sécurité sociale (CGSS) dans les départements d’Outre-Mer. Chacune de ces caisses comprend un service de prévention. Lequel a le droit d’entrer dans les entreprises, de leur demander toutes les mesures justifiées de prévention et de moduler leurs cotisations en fonction des risques. Donc nous sommes dans une logique d’assureurs. Notre mission est d’évaluer les sur-risques.

Quels sont les moyens dont vous disposez ?

Cela passe par de l’information et de la communication. Nous diffusons de nombreuses brochures. Nous bénéficions aussi de l’assistance technique de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité). Nous développons également une offre de formations en matière de santé et de sécurité au travail, ainsi qu’une partie d’ingénierie. La moitié du temps de nos équipes est consacrée à l’intervention directe en entreprise. L’autre partie du temps se répartit entre la “capitalisation” (c’est-à-dire la synthèse de nos travaux) et le déploiement d’actions de prévention.

Comment se mesure l’efficacité de la prévention ?

Depuis les années 1950, nous avons divisé la fréquence des accidents par trois, bientôt par quatre. De même, le nombre de décès a sensiblement diminué. En revanche, les maladies professionnelles ont, elles, plutôt tendance à augmenter. Mais ceci est lié à l’évolution des règles de prise en charge qui permettent de meilleures indemnisations. Je pense notamment aux troubles musculosquelettiques (TMS) dont les règles de prise en charge ont changé en 1992 : c’est la première cause d’indemnisation aujourd’hui. Ces pathologies sont ainsi de mieux en mieux repérées par les médecins et connues par les salariés.

Alain Lidonne

Ingénieur conseil à la Caisse régionale d’Assurance maladie d’Île-de-France (Cramif), syndiqué à la CFE-CGC

Quel est le rôle des Cram en termes de prévention des risques professionnels ?

Les missions des Cram sont d’inciter les entreprises à initier des mesures de prévention des risques professionnels concernant tant les accidents du travail que les maladies professionnelles. Depuis la fin des années 1980, en plus de notre rôle de contrôle, nous menons davantage d’actions de conseil.

Quels sont les moyens dont vous disposez ?

Nous travaillons avec des contrôleurs de sécurité. En termes d’effectifs, nous ne serons jamais assez nombreux pour suivre la totalité des entreprises. Du reste, ce serait un objectif peu réaliste ! En revanche, nous développons des actions pilotes ou en partenariat. Car il faut toujours initier des démarches pour entraîner une adhésion globale. On aimerait pouvoir plus, mais les résultats – au moins en Île-de-France – sont relativement encourageants. Cela dit, nous devons désormais faire face à des contre-pouvoirs qui interfèrent de plus en plus avec nos actions. Pour mener des actions de prévention, il faut que nos interlocuteurs en comprennent l’intérêt. Outre l’aspect humain, la prévention comporte aussi un intérêt financier, mais il se situe à moyen ou long terme. Or le management actuel repose de plus en plus sur une réflexion à très court terme…

Comment se mesure l’efficacité de la prévention ?

Il y a au sein des Cram un gros débat interne à ce propos. D’après notre convention d’objectifs et de gestion, il s’agit de réduire de 5 % par an les accidents du travail graves dans l’interim, le BTP et la grande distribution. Or nous sommes des acteurs indirects. Faire reposer sur nous l’atteinte d’objectifs qui dépendent à 99 % des entreprises ne me paraît pas très raisonnable ! De même, freiner la progression des TMS ne se décrète pas. Cela ne peut se faire que sur du long terme. Notre convention d’objectifs est très ambitieuse. Vu le contexte actuel, nous devrions rester modestes. Nous ne sommes pas seuls à faire de la prévention : il faut s’appuyer sur les autres acteurs de terrain comme les médecins du travail ou les infirmières.