Le soin douloureux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 258 du 01/04/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Libérale Magazine n° 258 du 01/04/2010

 

Cahier de formation

Savoir faire

M. R. nécessite des soins sur un ulcère veineux. Lorsque vous commencez la détersion, M. R. vous arrête en disant que la douleur est insupportable.

Vous dites au patient que vous arrêtez le soin pour l'instant à cause de la douleur. Que vous allez demander au médecin de prescrire un antalgique qui diminuera la douleur et permettra de reprendre le soin de la plaie. Puis vous vérifiez si le patient a déjà une prescription d'antalgique et s'il le prend en respectant les doses et les horaires.

LES SOINS DOULOUREUX

Une priorité de la lutte contre la douleur

Le deuxième plan de lutte contre la douleur pour 2002-2005 prévoyait parmi ses priorités de « prévenir et traiter la douleur provoquée par les soins, les actes quotidiens et la chirurgie ». Toutefois, les douleurs liées aux soins restent très fréquentes et sous-évaluées, en particulier dans les populations fragiles (âges extrêmes, troubles de la conscience ou de la communication...). Prévenir et traiter la douleur induite par les soins nécessite de repérer, évaluer, soulager et anticiper cette douleur.

La douleur au moment des soins

Elle est avant tout nociceptive, surtout lors de la détersion de la plaie, mais peut exacerber une douleur neuropathique.

Traitement de la douleur

Le degré d'anxiété du patient participe à la majoration du vécu douloureux. Il nécessite une réassurance répétée, un respect du patient et de sa pudeur. L'installation confortable, le nettoyage des plaies par lavage, le choix des pansements permettant l'espacement des soins et le choix des moments des soins avec le patient, permettent une bonne réalisation et une meilleure acceptation du soin.

Repérer et évaluer

L'évaluation permet d'identifier les patients douloureux, d'objectiver leur ressenti et de mieux comprendre leur souffrance. Elle permet d'initier ou d'adapter un traitement et d'en surveiller les effets.

Les échelles d'évaluation de la douleur

Elles permettent une évaluation fiable et facilement reproductible de la douleur. Leur intérêt est de garder une rigueur dans des contextes fortement émotionnels ou dans la routine du suivi des malades. Elles aident à suivre l'évolution de la douleur.

Soulager

Il faut vérifier les délais et les durées d'action des antalgiques déjà prescrits et les expliquer au patient. Le soin est effectué pendant la période d'efficacité du médicament. En cas d'antalgie insuffisante ou d'absence de prescription, en parler au médecin pour revoir la stratégie antalgique.

Anticiper

Chaque antalgique a un délai d'action propre, mais assez fréquemment le médicament administré une heure avant le soin sera efficace. Les produits de palier I (paracétamol, néfopam) sont souvent insuffisants. Les produits de palier II peuvent être utilisés : codéine, dextropropoxyphène et tramadol (souvent associés au paracétamol). Le recours d'emblée aux antalgiques de palier III peut être justifié par l'intensité de la douleur (les morphiniques à libération immédiate ont un délai d'action d'environ 1 heure).

AGIR LOCALEMENT

L'anesthésie locale en complément

Les crèmes anesthésiques à base de lidocaïne et de prilocaïne (Emla® 5 % crème, Anesderm® 5 % crème, Lidocaïne prilocaïne Biogaran® 5 % crème) sont indiquées dans l'anesthésie locale des ulcères de jambe exigeant une détersion mécanique longue et douloureuse. Ces anesthésiques locaux agissent de façon directe sur les nerfs en bloquant de manière spécifique, totale et réversible la conduction nerveuse.

Posologie et mode d'administration

La posologie dans cette indication est de 1 à 2 g pour 10 cm2 par application, avec un maximum de 10 g par application (2 tubes). Son utilisation est limitée à un maximum de 8 applications pour un épisode ulcéreux (par exemple une fois par semaine pendant 8 semaines). Appliquer une couche épaisse sur la zone à traiter, sans masser, et en périphérie si les bords sont douloureux au contact. Recouvrir d'un pansement adhésif hermétique.

Délai et durée d'action

Pour un ulcère, il convient d'appliquer la crème 30 minutes avant le début de la détersion.

Compte tenu de la couleur blanc opaque de la crème, retirer complètement la crème pour réaliser une détersion guidée. Pratiquer immédiatement la détersion de la plaie. La durée d'anesthésie après retrait de la crème est estimée à environ 30 minutes.

Réévaluer la douleur

Réévaluer régulièrement, au cours du soin, l'efficacité de l'anesthésie locale offerte par la crème anesthésique. Si la douleur persiste, interrompre la détersion et revoir la stratégie antalgique.

Utilisation hors AMM

Les ulcères de jambe sont les seules plaies répertoriées dans l'indication des crèmes à base de lidocaïne et prilocaïne. Toutefois, leur efficacité est constatée dans d'autres types de plaies (cf. Point de vue). Ces contextes différents doivent être discutés avec le médecin prescripteur.

Effets indésirables

La survenue d'effets indésirables systémiques est peu probable compte tenu des faibles concentrations circulantes.

Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés sont des réactions locales au niveau du site d'application : érythème, rash, irritation de la peau et prurit, sensation de brûlure, dermatite. Ces réactions cutanées sont bénignes, toujours réversibles.

Risque exceptionnel de surdosage

Un risque de surdosage ne peut être exclu en cas de mésusage, comme par exemple en cas d'application simultanée sur un nombre élevé de sites pendant une période prolongée.

Les signes d'intoxication systémique sont : vertige, vomissement, somnolence, convulsions, mydriase, bradycardie, arythmie et choc. En ce cas, une surveillance en milieu spécialisé devra être maintenue durant plusieurs heures après le retrait du médicament, en raison de l'absorption retardée des deux anesthésiques locaux. →

Point de vue...

« J'utilise la crème anesthésique sur d'autres plaies que les ulcères »

Isabelle Gaillard, infirmière libérale, auteur du mémoire Douleur et pansement d'ulcère à domicile, dans le cadre du DU Plaies et cicatrisation de la faculté de Médecine de Grenoble (cf. partie Savoir plus p.50)

« Je suis un patient pour une plaie consécutive à une amputation. Il n'y a pas beaucoup de fibrine mais il m'est impossible de l'enlever à cause de la douleur ressentie par le patient. J'ai demandé au médecin traitant une prescription de lidocaïne en crème. J'ai expliqué au patient de quelle manière on utiliserait la crème. On a convenu d'une heure. Le matin, il a douché sa plaie, appliqué la crème et posé un film transparent. J'ai alors pu faire une détersion correcte en douceur. Si le patient n'est pas en mesure d'appliquer correctement la crème, je fais un autre passage. En faisant une détersion complète, je n'en fais pas un peu chaque jour, et je peux choisir un jour où je peux le faire. Le traitement local en complément d'un antalgique systémique est très efficace quand on est amené à faire une détersion mécanique sur des ulcérations ou des escarres. »