De l'or dans les mains - L'Infirmière Libérale Magazine n° 225 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 225 du 01/04/2007

 

Exercice particulier

Longtemps infirmière libérale, Florence Bruegghe a découvert l'ostéopathie sur le tard. Après avoir exercé les deux professions en même temps, elle se consacre désormais totalement à son nouvel art, sans oublier les acquis de son ancienne vie. Parcours d'une militante.

La douceur de la voix et des mains de Florence Bruegghe semble envoûter Maud, la jeune femme au ventre tout rond. Après lui avoir bien expliqué sur des dessins d'où venaient ses douleurs de hanche, l'ostéopathe est dans la phase active de son travail. Maud se laisse faire avec un apparent bonheur sous les mains expertes de l'ostéopathe qui la manipule avec force et douceur, en lui expliquant ses gestes au fur et à mesure. Maud est une des nombreuses femmes enceintes soignées par Florence Bruegghe, qui s'occupe aussi beaucoup de bébés. « Avant, je soignais le dernier âge de la vie et, maintenant, je reviens à ses origines ! » La boucle est donc bouclée pour cette ancienne infirmière libérale qui a longtemps soigné les personnes âgées en fin de vie. Elle a aujourd'hui un joli cabinet d'ostéopathie dans le Ve arrondissement de Paris.

Quel que soit l'âge de ses patients, Florence Bruegghe a le goût du soin chevillé au corps. Sous des airs décontractés, derrière sa petite voix douce, se cache une détermination de fer, comme le démontre son parcours de battante. À 51 ans, cette soignante a déjà de beaux combats et de belles victoires personnelles à son actif.

Une histoire de famille

Elle avoue que, dans sa famille, le virus du soin se transmet de génération en génération. « Mon grand-père maternel était infirmier. Ses trois enfants ont été aides-soignants. Ma soeur est sage-femme. Mon grand-père paternel était magnétiseur. Et ma fille est en école de massage ! Il y a dans notre famille une inclination naturelle pour le soin, pour l'aide, nous voulons nous sentir utiles. Mais c'est vrai qu'il faut aimer le contact, ne pas avoir peur de la souffrance morale ou physique. »

Rien n'arrêtera donc cette passionnée pour aller au bout de son rêve. Pourtant, rien n'est gagné au départ... En 1973, Florence a dix-sept ans. Sans bac, elle devient agent hospitalier : le bas d'une échelle qu'elle est bien décidée à gravir ! Quelques années plus tard, en effet, elle entre par le concours interne en école d'infirmières : première victoire. Elle reste une dizaine d'années à l'hôpital. Mais cette indépendante souffre des relations avec la hiérarchie. Et, déjà à cette époque, le manque de personnel rend le travail difficile à l'hôpital.

Libérale, liberté et humanité

En 1984, c'est enfin le grand plongeon dans la liberté : Florence Bruegghe devient libérale. Cette jeune maman, qui élève seule sa fille de cinq ans, trouve soudain la vie plus facile. « J'étais plus disponible. » Dans son nouvel exercice, la jeune femme travaille essentiellement avec des personnes âgées. « Les toilettes à domicile, en fait, ressemblaient davantage à du maintien des personnes chez elles : je prenais un café, je signais le chèque du loyer, j'apportais la baguette... Finalement, j'avais une approche globale de la personne. C'est ce côté humain dans le libéral que j'aimais beaucoup. Et c'est ce qui me plaît tant dans l'ostéopathie. » Pas facile pourtant d'accompagner la fin de vie. « ça m'est arrivé plusieurs fois de tenir la main d'une personne en train de mourir. »

En 1986, la jeune libérale découvre son futur métier : l'ostéopathie. « J'accompagnais, chez un ostéopathe, ma fille qui avait des problèmes pour s'endormir. J'ai trouvé ça serein, calme. Je voyais ma fille qui se détendait. Je me suis dit que ça devait être agréable comme métier. Je me suis projetée... » Ce sont les prémices de sa nouvelle aventure. Mais des personnes la convainquent de ne pas se lancer dans la formation : ils lui prédisent l'échec, pour elle, l'infirmière, sans notions d'anatomie. Elle renonce donc... temporairement. Mais la passion est latente.

Sept ans plus tard, elle plonge et s'inscrit à l'école d'ostéopathie, tout en restant libérale. « C'était vraiment dur de reprendre des études à 37 ans. » À la fin de l'année, sans surprise, elle est la dernière. Au lieu de renoncer, Florence Bruegghe décide de s'accrocher. Avant l'examen de rattrapage, des amis de la promo se relaient chaque jour pour la faire travailler. Résultat : elle passe en deuxième année. L'ostéopathe se souvient de l'impression qu'elle a, dès cette première année, d'appartenir à une famille : « Un peu comme quand j'étais infirmière. »

Jusqu'en fin de troisième année, Florence Bruegghe doit se battre. « J'étais toujours dernière de la promo. Mais, en quatrième année, on a attaqué le viscéral. Là, en tant qu'infirmière, j'ai commencé à être avantagée sur les kinés ! »

D'infirmière à ostéopathe

Elle choisit son sujet de mémoire de fin d'études lors d'un séjour de découverte de l'ostéopathie aux États-Unis. En effet, elle découvre là par hasard une femme des années 1930, méconnue : le docteur Charlotte Weaver, élève du fondateur de l'ostéopathie. Cette pionnière a ouvert la voie à Florence Bruegghe car, comme elle, c'est une ancienne infirmière devenue ostéopathe. « J'ai été passionnée par l'histoire de cette femme. Pour la connaître, j'ai mené une vraie enquête policière ! » Et cela paie : elle finit l'école avec une mention excellente pour son mémoire. « J'en suis fière, s'enthousiasme-t-elle. J'ai eu beaucoup de plaisir à le faire ! »

En 2002, elle est enfin diplômée, mais, pendant deux ans, elle reste infirmière libérale en parallèle de son cabinet d'ostéopathie, pour ne pas laisser tomber ses derniers patients âgés. « J'ai beaucoup aimé cet accompagnement, mais c'était dur. Je suis arrivée au bout de ce que je pouvais donner là. » Depuis trois ans, elle est ostéopathe à temps plein.

L'enthousiasme qu'elle a mise dans ses études se confirme dans la pratique. Au fond, les deux professions lui permettent de vivre son empathie naturelle pour les gens. « Ce que j'aime, au-delà du soin, c'est d'avoir le temps d'écouter mes patients. Des liens se créent. »

Florence Bruegghe est bien consciente aujourd'hui des enrichissements que son expérience de libérale apporte à sa pratique d'ostéopathe. Sur le plan médical, elle a gardé le bon réflexe réseau : envoyer ses patients faire une radio, appeler un médecin... Sur le plan humain, elle constate au quotidien ce que lui ont apporté ses longues années d'accompagnement des mourants, en particulier pour rassurer ses patients. « Finalement, je dis un peu les mêmes mots aujourd'hui à un bébé qui pleure qu'à un mourant : "Tu n'es pas seul, ne t'inquiète pas, ça va aller"... Les femmes enceintes, elles, ont des "fantômes", des peurs : elles ont aussi besoin d'être apaisées. »

L'amour du contact

Ce qui change, en revanche, dans l'ostéopathie, c'est le contact physique avec les personnes. « Avant, quand je faisais la toilette des personnes âgées, il y avait le gant entre leur peau et la mienne. À présent, quand je touche une personne, il n'y a plus d'écran. Et j'aime ce contact : je fais corps avec le patient, je suis son mouvement. C'est très agréable ! » L'ancienne libérale résume son savoir-faire dans un savoir-être : « Il faut avoir de la compassion. Sans aimer donner et recevoir, on ne peut pas soigner les gens. » Pour aider le mieux possible ses patients, elle travaille une fois par mois à quatre mains avec une amie ostéopathe, sur les cas les plus difficiles.

Florence Bruegghe se sent aujourd'hui très concernée par le combat mené par les ostéopathes pour la reconnaissance de leur discipline par le gouvernement. « Les décrets en cours me mettent très en colère. Je crois à ce que je fais. Mais si les textes passent comme ça, ce sera un CAP d'ostéopathie, du bidouillage ! C'est pour cela que j'ai participé à toutes les manifestations organisées par les ostéopathes. »

Florence Bruegghe sert aussi sa discipline avec son talent pour l'informatique. Elle a créé un site Internet ambitieux sur lequel elle présente l'histoire de l'ostéopathie, illustrée de vieilles photos. Elle y résume aussi son histoire personnelle : « Pour encourager les infirmières qui souhaiteraient se lancer dans l'ostéopathie ! » On y retrouve enfin la vie de Charlotte Weaver. Pour Florence Bruegghe, ce site a demandé beaucoup de travail car elle a voulu tout faire seule.

Aujourd'hui, cette femme qui concrétise ses rêves a un nouveau projet, déjà bien avancé : un livre illustré pour expliquer l'ostéopathie aux enfants. Là encore, elle fait tout : mise en page, textes et dessins. Son but : que l'ouvrage soit mis à disposition des enfants dans les salles d'attente.

Quand on lui demande si elle ne s'arrête jamais de se lancer dans de nouvelles aventures, elle répond : « Peut-être que j'ai besoin d'avoir un nouveau projet pour avancer... Et puis, je trouve du plaisir à le faire. » Cette femme-là avance sans laisser ses ambitions dans ses cartons !

Les ostéopathes en colère

- Les ostéopathes attendent que l'État leur donne un statut professionnel exclusif. « Notre demande est très simple, explique Jean Fantello, président du Snof (Syndicat national des ostéopathes. Nous réclamons au gouvernement la reconnaissance de l'ostéopathie comme une profession exclusive et la conservation du niveau d'études actuel. » Autant de demandes auxquelles répond parfaitement la loi de 2002 les concernant qui s'inscrit dans le cadre de la loi Kouchner sur la qualité des soins et de la sécurité des patients. Mais, paradoxalement, les décrets proposés par le gouvernement, devant rendre valide cette loi, ne sont pas du tout en accord avec elle. Ils veulent au contraire réduire la durée et la qualité des études (qui

seront inférieures au reste de l'Europe) et partager le titre d'ostéopathe entre les ostéopathes, les médecins et les kinés. Pour les ostéopathes, cela réduirait la qualité des soins car ces deux dernières professions ne pratiquent pas l'ostéopathie à temps complet et ne méritent donc pas le titre. « Il est prouvé par les assurances que les exclusifs sont beaucoup moins dangereux que les non-exclusifs ! », assure Jean Fantello. Les ostéopathes ont donc demandé des décrets conformes à la loi voulue par le législateur lui-même. Ils sont aujourd'hui en attente d'un jour à l'autre de la réponse du gouvernement. Si la réponse ne les satisfait pas, ils feront un nouveau recours.