Les 14 besoins fondamentaux… théorie vs réalité ? | Espace Infirmier
 

16/03/2018

Les 14 besoins fondamentaux… théorie vs réalité ?

Durant ses études, Marine Papail, IDE en psychiatrie, a été initiée au concept des 14 besoins fondamentaux d’une personne hospitalisée. Elle revient aujourd’hui sur la réalité du quotidien du monde hospitalier, souvent bien éloignée de la théorie…

Durant nos études en soins infirmiers, nous avons entendu parler des 14 besoins fondamentaux, identifiés par Virginia Henderson. Nos études, nos stages, nos démarches de soin ont tourné autour de ces valeurs reconnues et adoptées par tous, selon lesquelles « les soins infirmiers consistent principalement à assister l'individu, malade ou bien portant, dans l'accomplissement des actes qui contribuent au maintien de la santé (ou à une mort paisible) et qu'il accomplirait par lui-même s'il avait assez de force, de volonté ou de savoir. C'est probablement la contribution spécifique de l'infirmière de pouvoir donner cette assistance de manière à permettre à celui qui la reçoit d'agir sans recours à l'extérieur aussi rapidement que possible. »

Oui, nous aussi, nous sommes dévoués à notre métier. Mais malheureusement, au quotidien, il s’avère qu’on ne peut pas toujours répondre à ces 14 besoins si fondamentaux. Prenons l’exemple du milieu psychiatrique où j’exerce depuis cinq ans : nous sommes trois soignants pour 25 patients. Patients dont les besoins sont très variés : de la personne âgée dépendante et démente à celle qu’il faut surveiller constamment car suicidaire, en passant par celle qui a besoin d'une prise en charge pluriquotidienne (comme dans le cas d’un diabète) qu’elle ne peut assurer seule à cause d’une acutisation des pathologies psychotiques.

« Le besoin de respirer : nécessité de disposer d’une oxygénation cellulaire satisfaisante »
Sauf que lorsqu’une personne manifeste une détresse respiratoire, la chambre n’est pas toujours équipée d’une rampe à oxygène et les bouteilles d’urgence ne restent jamais longtemps dans le service car la location coûte trop cher.

« Le besoin de boire et manger : nécessité d’entretenir son métabolisme afin de produire de l’énergie, de construire, maintenir et réparer les tissus »
Et si nous commencions par des repas équilibrés à l’hôpital ? Notamment en arrêtant de saler systématiquement les plats ; de servir tous les légumes saucés avec des poissons reconstitués ou encore, de donner des fruits qui ne sortent pas du réfrigérateur. Ils ne sont alors que rarement appréciés et finalement jetés. Ne dit-on pas que la nourriture est la base pour une santé de fer ?

« Le besoin d’éliminer  : nécessité d’éliminer les déchets qui résultent du fonctionnement de l’organisme »
Effectivement, lorsqu’une personne à mobilité réduite doit aller à la selle et que je suis seule pour la soulever, les protections pour adulte deviennent la solution idéale. Je prends l’exemple-type du patient à son arrivée dans un établissement de soins, personne autonome en termes d’élimination et qui a seulement besoin d’aide pour marcher et déboutonner son pantalon. Il faut à un soignant cinq minutes pour changer une protection mais dix de plus pour aider à lever la personne et l’emmener aux toilettes. Il est presque certain qu’il n’aura pas l’accompagnement dont il aura besoin.

« Le besoin de se mouvoir et de maintenir une bonne position : nécessité d’entretenir l’intégrité et l’efficacité des systèmes biophysiologiques, de permettre la réalisation des activités sociales et de construire et maintenir l’équilibre mental »
Comme je suis seule pour lever et mettre au fauteuil une personne à mobilité réduite, cela devient un véritable effort d’haltérophilie. Il est arrivé à de nombreuses reprises que des patients développent des escarres, des phlébites, etc., car il était impossible pour nous de les mobiliser régulièrement et de prendre le temps de les stimuler.

« Le besoin de dormir et de se reposer : nécessité de prévenir et réparer la fatigue, diminuer les tensions, conserver et promouvoir l’énergie »
Peut-on enfin concevoir des chambres seules avec des volets ? Car les bâtiments des années 1950 ne disposent que de chambres doubles, et lorsque les volets cassent, ils ne sont pas remplacés.

« Le besoin de se vêtir et de se dévêtir : nécessité de se protéger et d’exprimer son identité physique, mentale et sociale »
Lors d’un accompagnement aux urgences, un patient est revenu sans pantalon. Ils ont dû le couper par manque de personnel pour le retirer rapidement lors des soins et l’hôpital n’avait alors que des chemises ouvertes. Je vous laisse imaginer notre difficulté pour le ramener en respectant le mieux possible son intimité. Les pyjamas de l’hôpital ne sont pas assez nombreux.

« Le besoin de maintenir la température du corps dans les limites de la normale : nécessité d’assurer le rendement optimal des fonctions métaboliques, de maintenir les systèmes biophysiologiques et de maintenir une sensation de chaleur corporelle satisfaisante »
Pourriez-vous nous procurer assez de thermomètres pour un service ? Un thermomètre pour 25 patients, cela peut suffire. Mais une panne mobilise l’instrument pour 24h de maintenance. On emprunte alors celui du service d’à côté. Thermomètre que l’on rend plusieurs heures après, voir plusieurs jours car on ne sait plus qui l’a pris à qui.

« Le besoin d'être propre et de protéger ses téguments : nécessité de maintenir l’intégrité de la peau, des muqueuses et des phanères, d’éliminer les germes et les souillures, et d’avoir une sensation de propreté corporelle, élément de bien-être »
Un matelas anti-escarre semble indispensable pour les personnes âgées avec peu de mobilité. Seulement, on attend désormais que les personnes à risque en développent pour louer un matelas, la location journalière étant trop chère pour l’hôpital. De plus, des quotas limitent le service.

« Le besoin d'éviter les dangers : nécessité de se protéger contre toute agression externe, réelle ou imaginaire et de promouvoir l’intégrité physique, l’équilibre mental et l’identité sociale »
A-t-on la possibilité d’adapter les locaux aux normes d’aujourd’hui et de respecter les effectifs pour une surveillance infaillible ? Cela me semble utile ; d’autant plus que les personnes qui entrent à l’hôpital ont besoin de plus d’attention qu’un individu qui se trouve dans un endroit « familier ». Il y a des chambres sans douche individuelle, d’autres dans les couloirs qui sont mixtes par manque de place, ou des salles à manger accessibles par des escaliers que la personne en fauteuil ne peut atteindre.

« Le besoin de communiquer : nécessité de transmettre et de percevoir des messages cognitifs ou affectifs, conscients ou inconscients, et d’établir des relations avec autrui par la transmission et la perception d’attitudes, de croyances et d’intentions »
Lors d’une journée de huit heures pour 80 patients en maison de retraite, discuter n’est pas toujours possible. Chaque soin est chronométré pour ne pas mettre à défaut l’organisation du service. Il nous arrive de ne pas connaître les souhaits de la personne en face de nous en cas de décès, ou ses préférences de repas le jour où on doit le lui donner et qu’elle n’est plus en capacité de l’exprimer. Tout cela est relégué au second plan, alors que la personne a orienté sa vie autour de certains principes.

« Le besoin de pratiquer sa religion et d'agir selon ses croyances : nécessité d’être reconnu comme sujet humain, de faire des liens entre événements passés, présents, à venir et se réapproprier sa vie, de croire en la continuité de l’homme, de chercher un sens à sa vie et s’ouvrir à la transcendance »
Il arrive qu’une personne fasse des choix pour son régime alimentaire, comme manger sans porc ou sans aliment d’origine animale. Il est alors très compliqué pour l’hôpital de proposer une alimentation variée. Ces personnes se voient servir des haricots ou des petits pois quotidiennement. Quant aux souhaits des patients (se rendre sur la tombe d'un parent, par exemple), les demandes d’accompagnement non indispensable sont rejetées.

« Le besoin de s’occuper et de se réaliser : nécessité d’exercer ses rôles, d’assumer ses responsabilités et de s’actualiser par le développement de son potentiel »
Nous avons régulièrement des patients dont les familles nous demandent si ces derniers peuvent participer à des occupations de la vie quotidienne, des activités en dehors de l’unité, dans le simple but de les occuper, car ils étaient actifs chez eux. Très souvent, nous leur répondons que les activités sont restreintes à une population « type », qu’ils ne peuvent y participer pour des histoires de responsabilité et que les sorties « loisirs » se font rares à cause des restrictions budgétaires.

« Le besoin de se recréer : nécessité de se détendre, de se divertir et de promouvoir l’animation du corps et de l’esprit »
Dans mon hôpital, cela fait quatre ans qu’aucun soignant n’est détaché pour mettre à profit les formations permettant ces temps de détente, dont on connaît par ailleurs les bénéfices, comme les ateliers esthétiques, la relaxation, la gym douce, ou encore la musicothérapie…

« Le besoin d'apprendre : nécessité d’évoluer, de s’adapter, d’interagir en vue de la restauration, du maintien et de la promotion de sa santé »
L’arrivée d’un patient à l’hôpital est régulièrement liée à une phase critique ou d’évolution de sa pathologie dite « chronique ». Cela signifie que celui-ci la connaît, vit avec au quotidien et qu’une éducation et un suivi réguliers sont indispensables pour éviter les complications sur le long terme. Mais nos échanges avec eux sont réduits ou quasi inexistants, en raison du manque de temps et de personnels. Aucune formation en éducation thérapeutique ne nous est proposée à cause des restrictions budgétaires. En particulier dans le domaine psychiatrique, où les pathologies restent méconnues, voire taboues pour le grand public, alors qu’une personne sur quatre est touchée par des troubles mentaux au cours de sa vie(1).


À cela, je me permets d’ajouter un besoin que je trouve important car il est la base de la vie même : celui de se reproduire et d’avoir une activité sexuelle. Il est aujourd’hui reconnu qu’il est important, en termes de construction psychique et physique, d’avoir une vie sexuelle active et d’avoir le droit, comme la plupart des individus, au plaisir. D’un point de vue soignant, je trouve qu’il serait normal et indispensable d’accéder et de dialoguer autour de ce sujet « tabou ». Pourtant, il est extrêmement rare que le médecin aborde ce sujet avec le patient, et c’est inversement encore plus rare. Nombreuses sont les conséquences sur la pathologie si on ne prend pas en compte cette normalité : arrêt des traitements après une impuissance (souvent cachée) ; syndrome dépressif caché par le manque d’attention intime d’un(e) partenaire ; conduites à risques par le manque et le désir humain. Seule les pathologies des dérives sexuelles sont prises en compte lors d’une prise en charge, une fois que celle-ci a eu des conséquences importantes sur la personne.

1. Chiffres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)

Les dernières réactions

  • 22/03/2018 à 09:23
    Noisette
    alerter
    Bravo Marine pour ces 14 vérités sur les 14 besoins fondamentaux de Virginia... ! C'est exactement ça !
    Je suis infirmiere depuis 25 ans, et pour toutes ces raisons cela fait 20 ans que ce métier ne m'apporte plus la satisfaction que j'en attendais avec

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