Les cadres interrogent la souffrance au travail | Espace Infirmier
 
Les cadres interrogent la souffrance au travail

20/01/2012

Les cadres interrogent la souffrance au travail

Réunis à Montpellier les 12 et 13 janvier derniers pour leurs 16èmes journées nationales d’études, les cadres de santé ont cherché à se donner des clés de lecture de la souffrance au travail.

« Comment la modernisation du travail a-t-elle pu engendrer sentiment d’abandon, isolement, précarité, peur de ne pas y arriver et méfiance à l’égard des autres ? » La question, posée par Marie-Paule Valeix, formatrice à l’IFCS de Montpellier, a résonné tout au long des 16èmes journées nationales d’étude des cadres de santé, qui se déroulaient les 12 et 13 janvier derniers à Montpellier. Sociologue au CNRS, et membre du Centre de recherches sociologiques et politiques, Danièle Linhart a, d’emblée, évacué toute notion « d’idéologie ou de prédisposition à la plainte » de la part des salariés. La souffrance au travail est une réalité, a-t-elle souligné. Et cette souffrance, qui a de graves conséquences sur la santé, naît très souvent de difficultés dans l’organisation du travail. Intervenant après le directeur du CHRU de Montpellier, invité à ouvrir ces journées d’étude, la sociologue a pris le temps de revenir sur les propos jugés « unilatéraux » de son prédécesseur à la tribune. Au directeur, qui avait conseillé aux soignants se plaignant de leurs conditions de travail, de relativiser, et d’aller voir ce qui se passait en Chine ou en Inde, Danièle Linhart a rappelé que « les risques psychosociaux existaient aussi en Chine. Et que certaines entreprises faisaient même signer à leurs salariés un document dans lequel ils devaient certifier qu’ils ne se suicideraient  pas à cause de leur travail ! » Elle a aussi répondu à l’étonnement affiché par le directeur quant à l’existence d’une souffrance éthique des soignants, en soulignant que cette souffrance éthique (les conflits de valeurs chez les agents obligés de faire des choses qu’ils désapprouvent) était « très présente dans les entretiens et les consultations menés auprès des professionnels soignants. »
 
Travail et identité
Si le travail peut être destructeur, c’est aussi, a expliqué le secrétaire général adjoint du syndicat des médecins inspecteurs du travail, Nicolas Sandret, parce qu’il est constructeur d’identité. Le travail interroge le « qui suis-je ? » Via son travail, chacun est en quête d’une certaine reconnaissance. Cette reconnaissance repose notamment, a souligné Nicolas Sandret, sur le sentiment d’être utile au monde… que le soignant perçoit, par exemple, dans le regard du patient qui sort de l’hôpital en allant mieux. Mais elle tient aussi au sentiment du travail « bien fait », un sentiment qui naît tout à la fois de l’appréciation personnelle, et du jugement de la hiérarchie. En tant que cadre, a souligné Marie-Jo Bernard, cadre de santé en chirurgie au CHRU de Montpellier, il est donc important de ne pas oublier qu’animer une équipe, c’est tout autant évoquer avec chacun ce qui va… que ce qui peut poser problème ! « Rappeler à une infirmière du bloc opératoire que son expertise soulage le chirurgien d’un stress dans son travail », c’est aussi cela, le travail d’un cadre de santé, a-t-elle insisté.
 
Travail prescrit versus travail réel
Revenant sur cette question du travail « bien fait », Nicolas Sandret a évoqué les notions de travail réel et de travail prescrit. Les deux notions ne se recoupent pas toujours, a-t-il rappelé. Le travail prescrit, celui conçu par la hiérarchie, n’épouse pas toujours les contours du travail réellement effectué par les soignants… qui doivent constamment s’adapter à des situations variables, nées de patients toujours différents. Qui plus est, « il y a aujourd’hui une tendance à la méfiance vis-à-vis des salariés, qui sont le plus souvent contrôlés sur le seul travail conçu par les directions, plutôt que d’être félicités pour ce qu’ils apportent réellement à l’activité », a rajouté le médecin. Mais alors, comment faire, en tant que cadre de santé, pour avoir une vue concrète du travail qui incombe réellement aux soignants ? Cela n’a rien d’évident ! Cadre de santé en réanimation à Montpellier, Hervé Barrau a choisi, pour essayer d’y arriver, de retourner régulièrement participer aux soins avec son équipe. Mais une telle démarche est rare ! Reste que, même s’il n’existe aucune solution toute faite, chaque cadre de santé se doit de tenter, par ses propres moyens, de comprendre cet écart entre travail réel et travail prescrit. Difficile, autrement, d’appréhender la souffrance au travail des équipes. Une souffrance devenue véritable phénomène de société. L’enquête SUMER de 2009, relative à l’exposition aux risques professionnels des salariés français, révèlait ainsi qu’un quart d’entre eux (23%) estimaient subir des comportements hostiles au travail. Ils n’étaient « que » 17% en 2003.
 
Thierry Pennable

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