Game of thrones, un monde trop dur pour les infirmières | Espace Infirmier
 

Mestre Pycelle au chevet de Gregor Clegane, dit "La Montagne".

01/08/2016

LA MÉDECINE DANS GAME OF THRONES - Épisode 1

Un monde trop dur pour les infirmières

Auprès des puissants seigneurs qui se disputent le trône de fer, officient les mestres, des érudits qui ont étudié les arts médicaux. Ils partagent de nombreux traits avec les médecins du Moyen Âge. C'est le premier épisode de notre série estivale sur la médecine dans l'univers fantastique de Game of Thrones et dans le monde médiéval, dont la saga s'est inspirée.

Les champs de batailles de Game of thrones (GOT, 1) ont la couleur du sang et des entrailles : les soldats y meurent beaucoup, mais sont rarement soignés. Cette série télévisée, comme la saga littéraire de Georges R. R. Martin - A Song of Ice and Fire - dont elle est adaptée, est sans pitié pour ses héros : les Starks, Lannisters, Targaryens, Greyjoys et autres Baratheons, héros positifs et négatifs, paient eux aussi un lourd tribut. Ils sont quelque fois sauvés, à l’occasion de haletants rebondissements, où les mestres, les médecins de GOT, sont souvent à l’œuvre. Qyburn, mestre déchu, soigne l’amputation de la main de Jaime Lannister, dont le destin sera transformé. Criblé de flèches, le bâtard Stark, Jon Snow, est sauvé par mestre Aemon. Quelques années auparavant, Stannis Baratheon, frère de feu le roi Robert, a remué ciel et terre pour qu’un mestre soigne la léprose de sa fille au berceau, qui survivra mais restera défigurée. « Ils s’occupent de nous chaque fois que nous sommes malades, blessés ou désemparés par la maladie d’un parent ou d’un enfant. Chaque fois que nous sommes vulnérables, ils sont là », observe, acerbe, Lady Dustin, dans le 5e volume de la saga (2).

Un anneau d'argent symbolisant la maîtrise de la médecine

Pour les historiens, Georges R.R. Martin s’est largement inspiré des XIVe et XVe siècles occidentaux. Ses mestres ont donc de nombreux points communs avec les médecins médiévaux. Les premiers suivent plusieurs années d’études dans la citadelle de Villevieille, où ils acquièrent des connaissances sur l’histoire, les arts de la médecine, les corbeaux (pour la correspondance), les comptes ou encore l’astronomie. Les seconds, en majorité des clercs, sont formés dans quelques universités -Montpellier, Paris, Bologne, Salerne (Italie) ou encore Salamanque (Espagne)- d’abord placées sous la tutelle de l’Église (3).

Les mestres sont eux aussi à mi-chemin entre la vie civile et la vie religieuse : ils portent de longues robes grises, un lourd collier dont les maillons représentent les connaissances acquises (l’argent symbolise l’art de guérir), et font le vœu de servir. Dans le Moyen Âge réel, comme dans celui, fictif, de GOT, ils sont très peu nombreux : tous praticiens confondus, ils seraient moins de 400 en France à la deuxième moitié du XIIIe siècle pour dépasser les 2000 à la fin du XVe siècle. Seuls les grands bénéficient donc de leur art. « Chaque grand lord a son mestre, chaque petit lord aspire à en avoir », pointe lady Dustin.

Les mestres manient les onguents, connaissent les poisons, procèdent aux accouchements, étudient les urines, les goûtent même. Les médecins du Moyen-Âge s'intéressent aussi aux urines, mais en intellectuels ils se concentrent sur la clinique, posent des diagnostics, et touchent peu les corps (4).

Aux chirurgiens, le sang

Dans GOT, les mestres sont aussi chargés des écrits et des courriers importants, mais aussi de l’éducation des enfants. « Par gratitude, nous leur attribuons une place sous notre toit et nous les mettons dans la confidence de toutes nos hontes et tous nos secrets, nous leur donnons une place à chaque conseil. Et avant qu’il soit trop tard, le gouvernant est gouverné », vitupère lady Dustin. Ce sont donc les conseillers des puissants. Au conseil restreint qui entoure le roi des Sept couronnes, celui qui est assis sur le trône de fer, siège le Grand mestre Pycelle. Au début de la saga, il exerce cette charge depuis près de 40 ans, et a donc servi de nombreux rois. Mais la reine Cersei va lui préférer Qyburn. Elle lui confie même ses problèmes gynécologiques. « Tu n’as jamais supporté que Pycelle t’examine », s’étonne, suspicieux, son frère incestueux Jaime Lannister dans la série. GOT fait ainsi quelques incursions dans la vie intime de ses personnages.

Au Moyen Âge, la chirurgie est déconsidérée, pratiquée par des chirurgiens laïcs (car « l’Église abhorre le sang »), voire de simples barbiers, qui incisent les abcès, font des saignées, amputent (4). De même, dans la saga fantastique, la chirurgie semble relever de métiers plus « mécaniques » qu’intellectuels. C’est là qu’intervient un personnage furtif mais charismatique, qui, seul, évoque la figure de l’infirmière dans la série télévisée (5). Talisa soigne sur le champ de bataille les terribles blessures des soldats de Robb Stark. Lors de sa première rencontre avec le Roi du Nord, elle conduit une charrette chargée de morts et de blessés. Couverte de sang, elle éconduit un roi empathique, car elle doit procéder à une amputation. Mais elle le charme pourtant, et bientôt le conduira, bien involontairement, à sa perte.




Le monde médiéval est organisé en trois ordres : ceux qui se battent, ceux qui travaillent et ceux qui prient. Les historiens Florian Besson, Catherine Kikuchi et Cécile Troadec, qui se sont penchés sur GOT (6), relèvent la quasi-absence du troisième. « Si les conflits qui déchirent Westeros sont à ce point violents, c’est aussi parce qu’il n’existe pas ces médiateurs professionnels qu’ont été les clercs, toujours prompts à s’interposer, à pousser à la réconciliation, à repriser le tissu social », pointent-ils. Dès l’époque mérovingienne (V-VIIIe siècle), ils se sont occupés des malades, dans les monastères puis dans les hôpitaux (à partir du XIIe sicèle), qui accueillaient toute la misère du monde.

Là officiaient, entre soins et prières, des religieuses, qui sont les ancêtres des infirmières. Dans la saga, « les septa sont davantage des sortes de bonnes sœurs dévouées à l'éducation religieuse et à la morale. Les sœurs du silence s'occupent uniquement des rites et soins funéraires », souligne Cersei, infirmière officiant sur le forum de La Garde de nuit. Dans le cruel univers de Game of thrones, les infirmières n’avaient sans doute pas leur place.

Caroline Coq-Chodorge




1- Nous désignerons la saga littéraire et la série télévisée sous l’appellation commune « GOT », sauf lorsqu’il nous paraît important de distinguer les deux.
2- A Dance With Dragons.
3- Caroline Darricau-Lugat, "Regards sur la profession médicale en France médiévale (XIIe-XVe siècle)", Cahiers de recherche médiévales et humanistes,1999, no 6.
4- Dachez Robert, Histoire de la médecine de l'Antiquité au XXe siècle, Paris, Taillandier, 2008.
5- Dans la saga littéraire, l’épouse de Robb Stark, Jeyne, de la maison Ouestrelin (banneret des Lannister), est une jeune lady tout ce qu’il y a de plus convenable.
6- Florian Besson, Catherine Kikuchi et Cécile Troadec, « Les Moyen Âge de Game of Thrones », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 2015, no 28, p. 479‑507.

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