Quand la psychiatrie bouleverse ses pratiques | Espace Infirmier
 

24/06/2019

Quand la psychiatrie bouleverse ses pratiques

Pour mettre fin à des pratiques abusives d’isolement et de contention, les soignants du centre psychothérapique de l’Ain (CPA) ont remis en cause leurs pratiques de soins. Un exemple à suivre.

Parce qu’on y enferme et contraint, les établissements et services de psychiatrie sont des lieux que peut visiter, quand elle le souhaite, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan. En 2016, cette dernière a épinglé sans ménagement le CPA, à Bourg-en-Bresse. Le scandale a été retentissant. Dans des recommandations réalisées en urgence, elle a dénoncé des « violations graves des droits fondamentaux des patients », en particulier « un recours à l’isolement et à la contention utilisés dans des proportions jamais observées jusqu’alors ».

Cet établissement psychiatrique, dont le secteur couvre tout le département de l’Ain, n’a pas d’unité pour malade difficile. Pourtant, un service entier était dédié à l’isolement, où « dans le meilleur des cas », les patients n’étaient enfermés « que dix-neuf heures par jour dans leur chambre », et où certains malades demeuraient « sous contention la nuit, d’autres, en permanence ».

« Ce n’était pas la réalité de la plupart des soins, nuance la directrice des soins, Brigitte Alban. 90 % de notre temps, nous le passions à aider les patients à ne pas aller dans la crise. » Mais elle affirme aussi fermement : « Nous assumons collectivement, c’est notre devoir, une responsabilité pleine et entière. L’établissement a peut-être glissé vers une vision sécuritaire des soins. »

Ouverture des portes

L’établissement a opéré un virage à 180 degrés. Le médecin-chef à l’origine de ces pratiques sécuritaires a été licencié, la moitié des chambres d’isolement ont été fermées, le recours à l’isolement a été divisé par onze.

Et dans un contexte de faiblesse du corps médical – 14 postes de psychiatres sont vacants – les soignants ont été les moteurs du changement. Ils étaient auparavant occupés à gérer les restrictions de liberté : les journées passées à l’isolement et en pyjama à l’admission, l’accès au téléphone limité, le nombre de cigarettes fumées, les heures de sortie. En ouvrant les portes, ils ont dû faire en sorte que les patients restent dans les services, cette fois volontairement.

« Il y a désormais toujours un infirmier dans les couloirs, pour être à l’écoute des patients, explique la directrice des soins. On a développé des espaces bien-être, avec des vélos d’appartement, des sacs de frappe, des tables de ping-pong, pour déjouer autrement la crise. Un infirmier pratique la méditation de pleine conscience et forme d’autres soignants à cette pratique. On a ouvert les services sur l’extérieur, en multipliant les propositions de sorties, mais aussi les rencontres entre services. »

Presque trois ans après la mise en demeure de la CGLPL, « les nouvelles pratiques sont consolidées, se félicite Brigitte Alban. Notre recours à l’isolement est faible, pour une durée très courte, moins de deux jours en moyenne, le temps que passe la crise. »

La CPA est hélas une exception, comme le note Adeline Hazan dans son dernier rapport annuel. La CGLPL est toujours « dans l’attente d’une loi, ou du moins d’un plan ambitieux pour faire face à la gravité de la situation ». Car elle constate qu’en psychiatrie, « les préoccupations sécuritaires se sont substituées à l’objectif de réinsertion ». « La France est progressivement devenue l’un des pays européens qui enferment le plus les personnes atteintes de troubles mentaux. »

Caroline Coq-Chodorge

Psychiatrie : les infirmières sonnent l'alarme

A lire dans « L'Infirmière libérale magazine », n° 359

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